Bazoum Mohamed a de beaux discours. Dans ce qu’il dit, il rassure et souvent, naïvement, il fait rêver ; rêver de paix et de fraternité nouvelles. Et l’on est confiant à l’entendre dire ce qu’il pense du Niger, du chantier de sa construction aujourd’hui difficile, soumise à moult aléas. Sauf que l’on a l’impression d’entendre les mêmes mots ronronnant, fastidieusement ressassés par le philosophe-président qui, dans le fait, semble vouloir le bien pour rentrer dans la légende, mais qui, visiblement aussi, manque cruellement les moyens de ses ambitions quand, dans son cercle, il doit gérer des contradictions et des adversités internes qui le prennent en tenaille, handicapant son action pour le laisser patauger dans une inertie qui ne lui rend pas service politiquement afin d’aborder sereinement la fin de son premier mandat, et lui laisser le rêve plausible d’un second. Les mots, on les a pour les maux, mais les actes manquent de sorte que les maux se tassent, rendant compliquée la gouvernance qu’un héritage politique lui impose. Du reste, lui-même, se rend compte qu’il se plante dans la redite lorsqu’il peut avoir souvenance de ses premières paroles. Ce 3 août, on peut l’entendre rappeler : « Conformément à mon discours d’investiture, je reste très ferme dans le combat pour le respect des biens publics ». Mais, on ne voit rien de concret. Et il a raison : il reste ferme….dans la parole seul.

Sur les questions économiques abordées, nous ne dirons rien. On attend de juger sur pièces. Pour le moment, l’on n’a vu que des schémas. Des tracés incertains, prévoyant de meilleurs lendemains à l’économie nationale. Mais peut-il avoir oublié que cette économie est soumise à des impondérables peu jaugés dans les ambitions portées pour l’économie nationale qui souffre d’impunité et de gestion patrimoine et opaque auxquelles, pour ouvrir des perspectives, il doit courageusement faire face, la vérité étant qu’on ne prédit pas les évolutions économiques sans une maitrise des impondérables, justement, qui dépendent de conjonctures historiques associées et imprévisibles. Quant à l’école, nous savons que tout est à refonder mais ses hommes et ses spécialistes qui, abusant de sa confiance, continuent de jouer de colmatages pour prétendre répondre à ses ambitions qu’il a pour redresser le système. Et c’est d’autant complexe qu’il s’agit d’un système, non, par exemple, de la problématique de la pédagogie des mathématiques et des langues qui sont aussi des problèmes cruciaux de l’école nigérienne.

Dans ce discours, il revient sur les mêmes thèmes, mais s’éloignant de questions qui, de manière obsédante, intéressaient son prédécesseur : migration, dividende démographique, transition écologique. Indépendamment de la question écologique qui est, à travers la cérémonie de plantation d’arbres qui célèbre l’événement, nous retenons ici les plus importants. Il y a, actualité oblige, le problème de l’insécurité et du terrorisme qu’il aborde, sans grande annonce, effrayé sans doute de faire des annonces, d’oser une promesse de paix quand il peut voir, comme son peuple sceptique, la situation dégénérer même quand, par les larbinismes de son système, des partenaires et notamment les Français, avec leurs armes et leurs soldats, avec leur logistique militaire et leur expertise supposée, s’installent sans que rien ne change à la violence terroristes subie et endurée. Il sait qu’il reste à convaincre sur un tel sujet même lorsque lui peut encore rester là – et on sait pourquoi – à vanter encore des alliances militaires douteuses et controversées, en tout cas peu efficaces, du moins jusqu’ici.

L’autre thème abordé concerne les libertés publiques. Avouons dans un tel domaine, et notamment par rapport à l’objet qu’il évoque, qu’il y a eu un progrès. Combien d’hommes et de femmes, sous Issoufou Mahamadou, l’on envoyait en prison, pour avoir tenu des paroles blessantes, souvent injurieuses, hélas, il est vrai. Mais dans ce cas, la précaution ne se justifiait pas quand, sous le même régime, il pouvait couvrir d’impunité ceux qui volent à l’Etat des milliards, et donc à l’ensemble du peuple, et surtout, ceux qui de son camp, pouvaient tenir les propos désobligeants à l’endroit d’autres Nigériens. C’est vrai, comme il le dit qu’une époque a changé, précisément depuis qu’il initiait une « révision récente de la loi sur la répression de la cybercriminalité au Niger, afin d’en supprimer la peine d’emprisonnement encourue en cas de délits d’injure ou de diffamation commis par un moyen de communication électronique ». D’ailleurs, les Nigériens n’en étaient pas coutumiers car, pendant toujours, ils avaient cette culture du vivre-ensemble qui les défendait d’agressivité et de provocation vis-à-vis de l’autre, et leur enseignait le respect de l’autre dans sa différence. Mais sous Issoufou, les Nigériens avaient tout perdu de ces valeurs, les uns et les autres s’en voulant à l’inimitié du fait que la gouvernance en cours se rabaissait dans les égouts, faite de rancune et de désir de vengeance. Tous les comportements déviants déplorables que l’on a observés dans la société ne sont que la conséquence du dirigisme d’un homme qui a été incapable de s’élever à la fonction de Chef de l’Etat à laquelle le soumet la loi fondamentale, gouvernant plus pour un clan que pour l’ensemble des Nigériens.

Mais, le plus grand thème abordé est politique dans le discours de ce soir du 2 août 2022. Il est sans doute le plus attendu par l’ensemble des Nigériens, mais à l’exception sans doute des faucons qui tiennent le nouveau magistrat dans leur carcan, pour l’en tenir isolé dans son pouvoir, sans marge de manoeuvre. Mais même là, après plus d’un an d’exercice du pouvoir, l’on n’a eu que de belles paroles pour comprendre au moins qu’il a connaissance du tort que cette situation faite de fractures diverses et de rancoeurs, cause au Niger et à sa cohésion. Peut-être a-t-il compris avec le recul, même si pour certains il y aura contribué par un certain discours qu’il tenait pour faire plaisir à son mentor en une époque récente, que son régime a causé de grands torts au pays et à sa cohésion sociale qui tenait tant à Diori Hamani et à Seyni Kountché qui ont gouverné pour le Niger, pas pour leurs clans a fortiori pour leur région. En tout cas, il a cette conscience historique des devoirs auxquels appelle la construction de la nation, devoirs auxquels les premiers dirigeants du pays, de Diori à Salou Djibo, n’avaient jamais manqué, conscients tous, du fait que le Niger est une nation, une et indivisible. C’est ainsi qu’il rappelle qu’ « En accédant à l’indépendance, le Niger, notre pays, Etat enclavé et sahélien à très vaste étendue, a fait de la consolidation de son unité la pierre angulaire de son projet de bâtir une Nation prospère et épanouie ». On savait que cette nation, par les différences qui la traverses, et les diversités dont elle est tissée, est fragile et qu’il fallait en prendre soin, pour construire, pierre après pierre, une nation solide et durable. On ne peut donc que croire cette parole au coeur de nos dissensions et de nos divisions lorsqu’à l’occasion de ce discours à la nation, Bazoum Mohamed dit, non sans avoir raison, que « Le dessein d'édifier une Nation nigérienne Une et solidaire est une boussole qui a servi de repère à toutes les générations de dirigeants de notre pays, malgré les vicissitudes auxquelles ont pu être confrontés les différents régimes politiques qui se sont succédé ». Face à l’Histoire et au peuple, cela ne peut qu’être un crime de détruire les acquis d’un tel chantier poursuivi depuis des décennies par des hommes qui croyaient à la nation et au Niger, à l’homme et à la unicité de la nation bâtie de différences et de pluralité. .
Retourner aux valeurs fondatrices de la nation nigérienne…

Mais cette ambition ne peut pas être si, pour gouverner et pour vivre dans la société, l’on ne réapprend pas à réhabiliter nos valeurs séculaires de tolérance et de pardon, de vivre-ensemble et de fierté. Gouverner bien, dans la justice et pour l’intérêt général, reste, pour ainsi dire, le seul moyen de fortifier la nation, et de rassurer l’homme dans la nation. Bazoum Mohamed, sans son speech peut le comprendre et le dire : « Notre quête d’un régime politique devant épouser nos valeurs sociétales fondamentales, tout en adhérant aux valeurs universelles de la démocratie et de l’Etat de droit, est adossé à l’exigence de la préservation des vertus cardinales que sont l’unité, la culture de la paix, la tolérance, la solidarité et la concorde nationales ». Mais, ce beau discours ne peut être audible que lorsque, allant au-delà des mots faciles, le magistrat suprême pose des actes pour convaincre de ses convictions intimes sur une telle compréhension de la nation et de sa construction, de l’Etat de droit et de la justice sociale. Et, encore fois, il ne peut que laisser à faire douter de sa parole quand, dans ce discours bien élaboré sur les préoccupations du pays, l’on ne peut entendre aucune grande annonce qui détend un climat politique depuis des années qu’une certaine classe politique ne peut plus se parler, notamment dans le cadre institutionnalisé du CNDP. Lorsqu’il dit : « Dans mon discours d’investiture du 2 Avril 2021, j’affirmais que « notre unité et notre solidarité seront notre immunité vis-à-vis de nos deux grands ennemis que sont le terrorisme et la pauvreté », qu’a-t-il fait, de symbolique, qui puisse traduire cette volonté ? Rien, sinon que de ne pas déranger ses opposants. Mais de quoi peut-il les accabler quand ils ne font plus rien et disent rien, dormant tranquille, chacun chez lui ?

D’ailleurs, un fait oblige à être dubitatif quand, il rappelle que « Dès [s]on accession à la magistrature suprême [il a] entamé des consultations régulières et inclusives avec les représentants des forces vives de la Nation, qui ont largement contribué à la création d’un climat sociopolitique apaisé ». Pourtant, il sait bien – et les Nigériens le savent – qu’il n’a jamais rencontré, ni pris langue avec ses adversaires. Ici, il fait de la manipulation et cela donne à comprendre qu’il n’est pas prêt d’oser ce pas. Il est vrai que la société civile qu’il a rencontrée et certains syndicats lui accordent une trêve, en se complaisant dans l’inertie et l’attentisme, mais peut-il s’être demandé jusqu’à quand cela devrait-il durer avec ces nouvelles mesures de hausse du prix gasoil qui risquent d’aggraver les conditions de vie des Nigériens et de les réveiller de leur sommeil ? La rencontre des trois ministres avec certains groupes organisés ne change rien aux colères et aux positions futures que les Nigériens devront prendre pour faire face à la situation ainsi créée.

Peut-il d’ailleurs croire que c’est cette rencontre qui lui donne l’accalmie précaire de cette première année d’observation et de test auquel le soumettent les forces sociales et politiques qui lui en font cette faveur au nom du discours responsable qu’il a eu jusqu’ici relativement à la gestion de son pouvoir ? Rien n’est acquis pour lui, si dans l’urgence et au moins, au terme de son présent mandat que l’usure du pouvoir lui bouffe sans qu’il ne s’en rende compte, il ne trouve pas des réponses à certaines questions qui préoccupent les Nigériens.

Bonne gouvernance
C’est à croire que là aussi, Bazoum le sait bien. Tant que la gouvernance ne change pas, tant qu’il n’améliore pas la gouvernance et tant qu’elle devrait rester dans les mêmes pratiques décriées, il ne peut, à terme, que faire face, un pour ou l’autre à des contestations pour lesquelles, des germes existent déjà. Issoufou Mahamadou lui-même le sait quand on le voit s’agiter à contenir son pouvoir, à le contrôler pour mieux se protéger de sa mauvaise gestion unanimement dénoncée. Bazoum le reconnait lorsqu’il évoque « Le rapport Général Public 2021 de la Cour des Comptes [qui leur] a montré que [leur] gouvernance publique continue d’être caractérisée par des pratiques préjudiciables à la crédibilité de l’Etat mettant, ainsi, à rude épreuve la construction de l’Etat de droit, avec le risque d’ébranler dangereusement les fondements de notre démocratie basée notamment sur les socles de justice sociale, de la solidarité nationale et de l’attachement au caractère sacré des biens publics ». A travers ce descriptif, le Chef de l’Etat traduit des appréhensions quand à la gestion d’un pouvoir qu’il sait fragile. Sa survie pourrait dépendre plus des valeurs qui le fondent, des princes de gouvernance établis sur lesquels il repose. La gouvernance est à refonder mais ceux qui ont profité des laxismes et des légèretés d’une époque de grands pillages ne peuvent lâcher prise, s’évertuant à le dominer et à dompter son pouvoir. Faut-il croire que le moment n’est pas venu pour lui de se libérer de ce carcan ? Il doit le savoir, mieux, le décider.

Bazoum Mohamed ne doit pas être qu’un président du discours et des beaux discours. Il doit être surtout, un homme d’action. Il a conscience du challenge et des attentes : « Parce que notre véritable Indépendance, en tant que Nation, [dira-t-il] est tributaire de notre effort dans le développement de notre pays, nous devons profondément corriger notre manière de gérer la chose publique pour que nos politiques publiques soient vertueuses et garantes des effets positifs de long terme ». Mais on peut encore lire chez l’homme qui a promis que plus personne ne sera d’un secours pour un autre, les mêmes promesses, les mêmes voeux pieux : « Les dossiers qui appellent davantage d’éclaircissements seront traités à travers les canaux appropriés afin que toutes les conséquences en soient tirées ». C’est vague et imprécis. Ça ne conne pas à espérer pour la lutte contre l’impunité qu’il ne peut toujours pas inaugurer.
Encore que des mots !

ISAK