Peut-on savoir quel est le but de votre voyage à Paris ?

Je suis à Paris pour des raisons familiales, donc dans un cadre privé.


Pouvez-vous nous définir votre parcours ?

J’ai eu un parcours professionnel assez spécial. J’ai commencé ma carrière de haut fonctionnaire, il y a un peu plus d’un quart de siècle, au Ministère des Finances, à la Direction de la Comptabilité Publique, comme Chef de Service du Centre Comptable. Puis, j’ai été détaché auprès de nos services diplomatiques à Bruxelles en tant que Chargé des questions financières. Après quoi, j’ai travaillé dans des cabinets présidentiels et ministériel, en tant que Conseiller pour les questions financières et fiscales. J’ai également eu le privilège de diriger pour 9 ansnotre administration fiscale, en qualité de Directeur général des Impôts. Par ailleurs, j’ai eu la charge de la direction générale de la SOPAMIN SA (SOciété de PAtrimoine des MInes du Niger), qui est une entreprise publique sous l’empire des règles « OHADA », donc, au mode de gestion privé. Voilà, succinctement, le parcours que j’ai eu dans le public.

Actuellement, je m’occupe d’intérêts économiques familiaux, depuis plus d’un an. A ce titre, je dirige le Groupe « GLOBAL SAHEL SA » et conseille en stratégie la Directrice Générale de la société de micro-finance « ASUSU SA » dans laquelle GLOBAL SAHEL a quelques intérêts.

Et peut-on savoir les raisons qui vous ont poussé à aller vers le privé ?

Si je voulais rire, je vous dirais : les héros contemporains ne sont ni politiques, ni militaires, ni religieux, ni même savants. Ils sont sportifs, acteurs et artistes, entrepreneurs à succès. J’ai envie de devenir un héros.

Non ! Objectivement, ce sont des raisons familiales et l’opportunité de servir mon pays autrement, avec de nouveaux challenges, qui m’ont poussé à aller vers le privé.

Subjectivement, le sentiment, la frustration de ne pouvoir faire les choses le plus souvent qu’à moitié a aussi favorisé ce choix. Par exemple, le fait qu’il s’écoule, quand tout se passe bien, un an entre le moment où une mesure est annoncée par le Gouvernement et le moment où elle entre en application ne me paraît plus adapté à un monde qui tourne à la vitesse d’un clic. Il faut aller beaucoup plus vite ! Or, il faut bien reconnaître que, dans le public, beaucoup de choses non dites parasitent le processus de décision : deux niveaux assez différents, l’administratif et le politique. Leurs temps et leurs enjeux de pouvoir ne sont pas forcément les mêmes.

A titre personnel, je n’ai jamais arrêté d’essayer de proposer, de pousser le service public à mieux traverser l’évolution du monde. Et, je veux être clair ; je n’ai pas pensé ma démarche dans le rejet de ces nombreuses années durant lesquelles j’ai conseillé et exécuté des réformes au sein de l’administration nigérienne des finances.

Mais, après 25 ans de service, j’avais, de plus en plus, du mal à m’accommoder de ce comportement binaire.

A contrario, la gestion, l’empowerment, dans le privé, me semblent plus flexibles. Je peux, par exemple, sans remettre en cause les fiches de poste de chacun, déplacer une personne d’un projet à un autre ou faire appel à des ressources extérieures, afin de répondre au mieux aux besoins de la clientèle. C’est un réel levier de motivation pour tout le personnel. Les employés, à l’écoute du changement et de la nouveauté, donc davantage impliqués dans l’innovation, n’en sont que plus dynamiques.

Aussi, la vie, c’est la somme de tous vos choix ! Et la vie est courte. Vous avez donc intérêt à hiérarchiser vos priorités, vos choix.

Je me suis donc tout naturellement tourné vers le privé autant pour le plaisir de travailler en famille que pour l’opportunité de profiter des nouveaux espaces d’interaction, d’influence entre public et privé sur la scène sous – régionale, de construire une expérience enrichissante, valorisante, intellectuellement stimulante ainsi que de m’épanouir professionnellement au-delà des objectifs habituels et de la dualité qu’impose le statut du fonctionnaire.


Hamma Hamadou 02Quelle a été l’étape la plus marquante dans l’histoire de Global Sahel ?

GLOBAL SAHEL est une sorte d’excroissance d’un Groupe familial né hors du Niger depuis plus d’une cinquantaine d’années.

Du point de son opérationnalité et de son histoire, ce n’est pas, à certains égards, une jeune entreprise. Mais sa présence au Niger est plutôt récente. Elle date l’automne 2015. De ce point de vue, GLOBAL SAHEL peut être perçue comme une jeune entité, un jeune Groupe, avec en son sein de petites entreprises.

Le choix d’investir sur la juridiction du Niger s’est fondé à la fois sur le patriotisme économique de l’Actionnaire - qui a toujours eu la sainte volonté d’allier le business au social - et sur l’opportunité de saisir des vents économiques favorables. Oui, quelle que soit votre volonté, en économie, il vous faut un marché parce qu’investir représente toujours un risque.

Après quoi, il nous a bien fallu construire une vison et un business-plan aussi stratégique que finançable.

Nous souhaitons finalement prendre prétexte des recettes qui ont marché ailleurs, les cloner, saisir les opportunités d’affaires partout où c’est possible, pour créer de la valeur ajoutée mais aussi, sans complexe, tirer des revenus bien mérités. Notre vœu le plus cher est d’être fièrement nigérien et sincèrement international.


Avez-vous rencontré des difficultés ?

Les rets de la bureaucratie toute puissante sont encore trop solides et garrottent souvent les fauves entreprenariaux qui s’y agitent.

En réalité, il y a toujours des difficultés, surtout lorsqu’on deale avec le transport, l’hydraulique et les services financiers, dans un environnement comme le nôtre. Mais, je dois avouer que nous avons eu probablement moins de difficultés que d’autres.

Lorsque vous vous engagez à créer une entreprise, les difficultés viennent généralement des premiers contacts que vous avez avec l’administration, les services publics. Le fait que j’ai été un fonctionnaire ayant occupé de hautes responsabilités a probablement joué dans la facilitation des procédures de mise en place de GLOBAL SAHEL autant avec les services publics que les notaires et experts comptables qui nous ont accompagnés dans nos démarches.

Nous avons donc rencontré moins d’entraves. Cela ne veut tout de même pas dire qu’il n’y a pas eu de difficultés. Dans l’exercice de tous les jours, il y a toujours quelques lourdeurs administratives que l’État gagnerait à corriger. Mais, cela ne doit pas décourager les candidats à la création d’entreprises. Bien au contraire, se battre pour passer ces contraintes peut aussi contribuer à vous immuniser contre les difficultés de l’environnement concurrentiel qui ne manqueront. Vous savez, rien de facile n’est durable sinon tout le monde serait un Bill GATES.

Je ne suis pas masochiste mais je pense que lorsque vous avez affronté des difficultés, cela vous rend, en principe, plus fort et mieux préparé à vaincre d’autres écueils, d’autres avatars.

Je sais que notre jeunesse est pour une grande part droguée à la facilité mais je dis que l’eau tiède n’a jamais fait gagner un combat ! La constance, la discipline et les efforts sont la base du succès.


Pouvez-vous nous parler de vos réalisations ?

Nous sommes encore dans notre premier exercice fiscal, au Niger. Nous sommes donc plus dans la perspective que dans le bilan des réalisations. Mais, nous pouvons modestement revendiquer, en étant qu’actionnaire principal dans ASUSU SA qui offre tous les jours des services financiers de proximité à plus de 600.000 personnes parmi les moins nanties, que nous participons à la lutte contre l’exclusion financière que je considère personnellement comme l’une des causes structurelles de l’extrêmisme que connaît la sous-région.

Dans le même temps, nous avons pu réaliser plusieurs ouvrages hydrauliques financés par les PTFs, dans les régions de Tillabéri, Maradi, Tahoua et Zinder.

Et, dans le domaine de transport où il y a une multiplicité d’acteurs, nous pensons avoir déjà impacté, à notre échelle, la rénovation du parc automobiles national, participé à la sécurité de l’offre de transport et à rendre les coûts des services plus compétitifs pour nos hommes d’affaires.

En fait, notre projet d’investissements structurants dans les domaines du transport, de l’hydraulique et des services financiers est construit :

  • pour le premier, dans le but de moderniser un secteur (où tout le monde sait que les camions d’occasion et l’informel sont prédominants) avec des équipements neufs conformes aux besoins d’efficacité et de coûts les plus compétitifs possibles ;
  • pour le second, de par le désir de participer aux côtés des pouvoirs publics, des Partenaires Techniques et Financiers et des ONGs à la couverture progressive des zones rurales en ouvrages hydrauliques adaptés aux besoins contemporains des hommes, de la faune et de la flore ;
  • pour le troisième, sur la volonté de participer à la rénovation de l’économie par une finance débarrassée des contraintes habituelles de la garantie réelle, moins exclusive, plus proche, plus sociale mais non moins rentable.

Hamma Hamadou 04Quels sont vos conseils aux jeunes nigériens de la diaspora qui veulent investir au pays ?

On comprend toujours mal ce qui provoque les miracles de la croissance économique mais je dis : si le ciel vous jette une datte, ouvrez la bouche !

Certes, sur plusieurs aspects notamment dans sa construction économique, notre pays est resté dans le monde d’hier. L’incivisme, l’ignorance et l’inertie y sont devenus structurels et pesants. Et, la politique y a pris un tel rôle de lubrifiant dans la corruption et la recherche du gain facile qu’on peut avoir la faiblesse de penser que c’est un territoire économiquement perdu pour de bon.

A mon opinion, ici comme là, les entreprises sont amenées à se substituer progressivement à l’indigence budgétaire de l’État.

Et, parce qu’elle est moins assujettie à la pression domestique au Niger, je veux voir dans la Diaspora, dans son expérience économique et multiculturelle, dans ses nouvelles compétences acquises, une formidable chance pour changer la donne, dans le sens du progrès de notre pays.

Je pense et j’espère fermement que la génération actuelle de la Diaspora peut et va tenter de créer davantage de ponts entre le Niger et le monde qui réussit. GLOBAL SAHEL est à ce titre illustratif, à mon point de vue.

L’économie nationale n’a que trop peu d’argent actuellement et j’ai la faiblesse de croire que la Diaspora nigérienne, elle, en a. L’économie manque de formalisme et de finance, probablement d’expertise aussi mais elle a l’avantage d’être presque vierge. Sous la poussée des syndics économiques, des partenaires techniques et financiers, et parce qu’aussi c’est son intérêt, je peux témoigner que l’État travaille à améliorer progressivement la sécurité et l’environnement des affaires.

Par ailleurs, de nombreuses études économiques récentes montrent que l’Afrique est devenue une promesse d’avenir, le continent où le retour sur investissement est le plus optimal. Je crois que c’est le cas au Niger, même du point de vue de la pression fiscale de loin inférieure à celle des pays hors UEMOA qui accueillent nos expatriés.

A nos investisseurs potentiels de la Diaspora qui hésitent, je dis que c’est bien connu : le coût d’opportunité est le moins cher et le profit optimal quand l’argent est rare. C’est une vraie chance pour eux.

Au Niger, les opportunités de business me sont réelles dans l’agro-industrie, dans l’énergie, dans l’hydraulique, dans la restauration, dans l’hôtellerie, dans la formation, dans la finance, dans la santé, dans le transport notamment aérien…

Cependant, je dis à nos futurs jeunes investisseurs de la Diaspora qu’il existe sûrement des différences culturelles entre le Niger et leurs pays d’accueil, dans la manière de faire du business. Il ne faut pas les sous-estimer. La culture entrepreneuriale et la concurrence ne sont pas forcément les mêmes. Pour réussir une startup, ici, il faut avoir un esprit de conquête, afficher ses ambitions, savoir à quel besoin concret on apporte une solution, dans quel segment de marché on se situe et comment le conquérir. Mais attention, pour se distinguer, il faut se presser lentement, faire les bons choix stratégiques ; ce qui nécessite de faire des ajustements fondamentaux dans la façon de penser le business et d’aborder les gens comme l’administration.

En partant de hypothèse qu’il y a de nombreux et divers talents dans la Diaspora et que le ratio de nigériens à succès est de loin supérieur à celui de nos concitoyens au pays, je veux croire que nos jeunes de la Diaspora, notamment ceux d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie, peut-être même d’Afrique occidentale, s’ils prennent le risque de revenir investir tout ou partie leur finance au pays, par leur exigence de qualité, par le rapport à l’effort et au mérite, pèseront rapidement sur l’environnement économique national, dans le sens du progrès pour tous.

Et si notre diaspora accepte de s’engager davantage, par sa réussite contagieuse, elle va changer la culture, pas seulement dans l’économie et au niveau des administrations mais au coeur même de la société.

Personnellement, j’ai la faiblesse de croire que, si le Niger devait se développer un jour, il le devra aussi et surtout au concours déterminant de sa formidable Diaspora.

Quelles sont vos perspectives d’avenir ?    

Professionnellement, je souhaite me consacrer à mon nouveau job, qui consiste au développement de notre Groupe, en termes d’efficacité et de performance, à le mener le plus loin possible pour devenir un acteur majeur, essentiel de l’économie, au Niger et pourquoi pas de la sous-région. Voilà mon ambition première !

Je souhaite également apporter, dans le monde des affaires au Niger, ma contribution dans le sens de la rénovation du système de gestion et surtout des rapports entre l’administration et le privé. Actuellement, j’ai l’impression que ces relations sont davantage vécues de façon conflictuelle alors qu’elles devraient être plutôt complémentaires. Il ne s’agit pas simplement de se critiquer mutuellement. Il s’agit de voir ce que nous partageons comme ambition et destin et d’y mettre le focus.

Je veux aussi offrir aux jeunes nigériens des idées, raconter l’histoire de mon parcours de vie et expliquer comment j’entrevois la passerelle pour aboutir aux succès dans un environnement aussi difficile que le nôtre. On a besoin de transmettre à la jeunesse ce fil de parcours sans que ça ne soit un débat ou une divergence idéologique. Dans notre pays, nous avons de nombreux talents qui ont vécu un certain nombre d’expériences dont les récits de parcours peuvent amener à responsabiliser notre jeunesse.

A titre personnel, je me sens quelque part privilégié : j’ai eu beaucoup de chance, et j’en remercie Dieu et la Patrie. Je veux, en retour, convaincre de mon engagement au service de mon pays, de mon expérience, de mes compétences, de ma volonté à contribuer au progrès du plus grand nombre de concitoyens.

J’envisage donc d’aider les pauvres à s’emmener vers les marchés de capitaux et les marchés de capitaux vers les pauvres, pour le financement de l’économie.

Je vais aussi contribuer, chaque fois que j’en ai l’occasion, à sensibiliser le plus de gens sur la nécessité d’un patriotisme économique.

Merci beaucoup pour cet agréable moment que vous avez consacré à Nigerdiaspora.

C’est moi qui vous remercie !

Réalisée par Boubacar Guédé

21 septembre 2016
Source : http://Nigerdiaspora.Net/