Avec Freud, les psychanalystes auraient nommé cela un acte manqué, soit un acte passé à côté d’un objectif consciemment visé,traduisant l’expression d’un désir inconscient. Il y a, quelque part, dans la propension du président Mahamadou Issoufou à se saisir de la moindre occasion pour dire et redire «sa décision» de ne pas briguer de troisième mandat, quelque chose comme du refoulé, sachant, mutatis mutandis, que la constitution du pays lui fait interdiction de nourrir une telle ambition.
Quoi que disent les communicants du régime, son départ prochain du palais de la présidence de la république –dans un peu moins de six mois— relève, en effet, non pas de son gré, mais de la volonté populaire sanctuarisée par le constituant qui a «bétonné» la loi fondamentale nigérienne contre toute velléité contraire. Les alinéas 1 et 2 de l’article 47 de la constitution nigérienne sont sans équivoque : «Le Président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq (5) ans, renouvelable une (1) seule fois. «En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux (2) mandats présidentiels ou proroger le mandat pour quelque motif que ce soit».
On ne peut, sans impertinence, faire l’insulte de ne pas comprendre ces dispositions d’une constitution qu’il est sensé respecter et faire respecter au président Issoufou, ingénieur de formation ayant fait ses humanités au Lycée national de Niamey, un établissement scolaire d’excellence hérité de la colonisation.
Un «NON !», dit-on, n’a de sens et de valeur que si celui qui l’exprime peut aussi dire «OUI !». Mais alors pourquoi répète-t-il ad nauseam qu’il ne fera pas ce que, de toute façon, il ne peut pas faire ?
La manoeuvre de filouterie intellectuelle qui consiste à tirer gloriole d’un nonévènement renvoie, sans doute, aux démons de grandeur qui habitent l’homme. De son accession à la magistrature suprême du Niger en avril 2011 à ce jour, on ne compte plus le nombre de décorations de complaisance et autres prix de pacotille qu’il a engrangés, souvent après avoir versé d’importantes sommes d’argent en espèces sonnantes et trébuchantes aux promoteurs de cette nouvelle forme d’arnaque des dirigeants en quête de notoriété.
Selon ses hagiographes, le GRAAL espéré sur ce chapitre à la fin de son ultime mandat est le «MO Ibrahim Prize» qui récompense les chefs d’Etat africains ayant fait montre d’un leadership vertueux à la tête de leurs pays et ayant ?uvré à la promotion de la démocratie.
Depuis son institution en 2007, ce prix n’a enregistré que six lauréats : Joaquim Chissano du Mozambique et Nelson Mandela d’Afrique du Sud (lauréat d’honneur) en 2007, Festus Mogae du Botswana en 2008, Pedro Pires du Cap-Vert en 2011, Hifikepunye Pohamba de la Namibie en 2014 et Ellen-Johnson Sirleaf du Liberia en 2017. Les membres du jury, des personnalités triées sur le volet jugeant sur pièces et non sur paroles et autres tours de passe-passe, n’ont estimé aucun candidat digne de cette récompense en 2009, 2010, 2012, 2013, 2015, 2016, 2018 et 2019.
Dans une de ses chroniques hebdomadaires consacrées à l’analyse des situations politiques en Afrique sur les antennes d’une radio internationale, notre confrère franco-togolais, Jean- Baptiste Placca a cru devoir, samedi 17 octobre, rendre hommage à la «magnanimité» et à la grandeur d’âme d’un chef d’Etat qui, au contraire de certains de ses homologues de la sous-région, n’a pas trituré la constitution de son pays pour briguer un troisième mandat.
A l’âge de la «toile mondiale», quelques clics sur son ordinateur auraient suffi à M. Placca pour consulter la loi fondamentale du pays et réaliser que celle-ci abolit un tel exercice de sorcellerie et que les déclarations du chef de l’Etat nigérien sur la question relève d’une simple opération de communication destinée à la consommation des… gogos.
L’Afrique, notamment dans sa partie dite francophone, serait donc à ce point moralement atteinte que ses dirigeants doivent être célébrés comme des héros pour le seul fait qu’ils respectent les lois de leurs pays ?
La vérité est que M. Issoufou est, aujourd’hui, un chef d’Etat en fin d’exercice hanté par l’espoir d’une sortie de scène honorable avec, à la clé, sinon une reconnaissance internationale, du moins, un statut «sécurisé» d’ancien président de la république.
Dans l’entretien accordé récemment à la télévision française France 24 et qui est salué comme une victoire de la raison politique par le journaliste Jean-Baptiste Placca, il a dit exactement ceci :«Ce serait un évènement historique pour le Niger et j’espère que j’aurais la chance de rentrer dans l’histoire du Niger comme étant le premier président du Niger qui aurait passé, de manière pacifique, le témoin à son successeur».
Rien n’est moins sûr !
A la veille des consultations pour son second mandat, en 2016, le président Issoufou avait fait le serment d’organiser des élections «propres et non tropicalisées», faisant de la transparence du scrutin un défi personnel qu’’il jura de relever. Forcé à un second tour par un challenger embastillé, il s’en tira avec un score soviétique de 92%, au prix d’un hold-up électoral mémorable auquel il dut associer l’essentiel de la classe politique contre promesses de postes au gouvernement et dans l’administration… Aujourd’hui, à moins de trois mois du début des élections générales et alors que le collège électoral est déjà convoqué pour les consultations locales (13 décembre) et législatives couplées au premier tour de la présidentielle (27 décembre), nombreux sont les observateurs qui doutent encore de la volonté des pouvoirs publics de conduire le Niger vers les élections crédibles et inclusives promises urbi et orbi.
Le processus électoral est grippé, marqué par une absence totale de consensus des acteurs politiques.Toutes les instances de médiation socio-politique, étatiques ou de la société civile, sont soit caporalisées par le pouvoir, soit rendues obsolètes par un parti présidentiel hégémonique.
Malgré le volontarisme débonnaire de son président, Me Issaka Souna, la Commission électorale nationale indépendante (CENI), dont la composition est depuis toujours contestée par les partis de l’opposition, peine à maîtriser son propre chronogramme et des retards significatifs sont déjà enregistrés, notamment dans l’installation de ses structures régionales ainsi que dans la confection et la distribution des cartes d’électeurs.
A en croire les médias locaux qui suivent cette actualité au quotidien, de lourdes hypothèques pèseraient sur le principe même de l’éligibilité de deux des principaux candidats en lice pour l’élection présidentielle, à savoir Bazoum Mohamed du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, au pouvoir) et Hama Amadou du Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine (MODEN/ FA LUMANA/AFRICA), chef de file de l’opposition.
Au total, en l’état actuel des choses, il est pratiquement acquis que le pays court vers des scrutins locaux et nationaux gros de conflits pré et postélectoraux, le tout dans un contexte sanitaire et sécuritaire pour le moins problématique. Dans des régions entières, y compris des zones officiellement en état d’urgence, des hommes en armes lèvent l’impôt sur des populations qui ne prennent même plus la peine d’informer les autorités administratives…
Devant tant de périls, la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) a, aux dernières nouvelles, entrepris de mettre en place un «Comité de sages» ad hoc composé de leaders religieux, de magistrats de renom et autres notabilités, pour tenter de renouer les fils du dialogue entre les protagonistes du processus et sauver ce qui peut l’être encore.
Rien ne bougera, cependant, sans un engagement hardi du président Issoufou, clé de voûte du système. Celui-ci reste de marbre. Tout se passe comme si l’homme a la maîtrise de ce «chaos organisé» dont l’issue prévisible est un scrutin présidentiel tellement tarabiscoté que personne n’en reconnaîtrait les résultats, ce qui appellerait une transition. Pour le meilleur et pour le pire… Il est minuit !
Par BORY Seyni