Lettre au “président de la République” Monsieur le “Président”
Les Nigériens sont jaloux de leur souveraineté et ne sont pas prêts à accepter l’injustice jusqu’à un certain niveau. Ils sont décidés à se battre pour vous imposer la voie de la justice et vous n’avez pas une autre alternative que de vous y conformer
Ce sont sans doute les toute dernières lettres que je vous écris. Le 27 décembre 2020, les urnes sonneront le glas de votre magistère, aux sons et aux couleurs de l’espoir d’un peuple qui a longtemps attendu l’occasion de vous voir partir. Vous l’avez si éprouvé, si méprisé qu’au fond, on peut estimer que l’échec retentissant, le revers, que votre parti politique, le Pnds Tarayya, vient de subir aux élections locales est le vôtre d’abord. Vous l’avez sans doute compris. C’est la première sanction que le peuple nigérien, mature, discipliné et responsable, a tenu à vous infliger. Dans moins de deux semaines, la coupe sera remplie, avec les législatives et le premier tour de l’élection présidentielle qui, j’en fais le pari, verront les Nigériens se mobiliser encore plus que lors des élections municipales et régionales. Leur impatience est si grande de mettre un terme à cette gouvernance scabreuse que vous avez inaugurée en avril 2011.
Monsieur le ‘’Président’’
J’ai appris que malgré le drame survenu à Toumour, à 75 kilomètres de Diffa, vous avez pris l’avion pour aller assister à la cérémonie d’investiture d’Alassane Dramane Ouattara. Ce sont tout de même 78 compatriotes qui ont trouvé la mort dans l’attaque sauvage de Toumour entièrement calcinée et saccagée et vous voir partir, avec un coeur si léger, pour honorer une cérémonie, a de quoi choquer. Certains de vos compatriotes l’ont signifié, mais il me semble qu’il n’y a rien, là, de quoi surprendre de votre part. Ce n’est pas la première fois que vous agissez ainsi, en vous contentant d’un communiqué pour exprimer votre peine et votre compassion. Ce qui vous émeut venant d’ailleurs en veut fait ni chaud ni froid lorsqu’il s’agit de votre peuple. Vous êtes si singulier à ce propos que ceux qui attendent un changement de paradigme de votre part à la veille de votre départ sont eux-mêmes d’une certaine singularité pour ne pas se rendre compte que vous allez probablement terminer sans jamais faire droit aux attentes du peuple nigérien.
Monsieur le ‘’Président’’
Le peuple nigérien pleure ses morts de Toumour comme il a pleuré ceux de Chinagoder, d’Inatès, de Karamga, d’Ayorou ou encore de Mangaïzé pour ne citer que ceux-là. Pendant ce temps, vous vous êtes fait plaisir en faisant plaisir à un autre chef d’État avec lequel vous prétendez ne rien partager en commun dans vos rapports avec la démocratie et les mandats présidentiels. Il y a toujours un intérêt à communiquer et votre dépladéplacement à Abidjan est un acte de communication majeur. Que cherchez-vous en préférant faire plaisir à Alassane Dramane Ouattara plutôt qu’en partageant le deuil de votre peuple ? N’est-ce pas vous-même qui avez décrété un deuil de trois jours après le drame de Toumour pour le violer ensuite ? C’est ça, le mépris dont vos compatriotes. On vous a bien vu honorer des décès de parents d’alliés de votre système de gouvernance. Si vous ne voyez pas de motif valable pour aller réconforter des compatriotes victimes d’agressions aussi barbares que ce qui s’est passé à Toumour, dans la nuit du 12 au 13 décembre 2020, c’est indiscutablement parce que vous ne vous sentez pas concerné. Vos dix années à la tête de l’État, dit un ami, sont une longue procession de morts qui ne vous ont nullement empêché de dormir. Vous aurez sans doute, après le 2 avril 2021, l’occasion de revoir ce film horrible qui a endeuillé tant de foyers nigériens. Toumour n’est, donc, pas une exception, elle est un chaînon de ce chapelet tragique qui a caractérisé votre gouvernance mais que vous ignorez royalement dans vos bilans à l’eau de rose.
Monsieur le ‘’Président’’
Le dimanche 13 décembre 2020, le peuple nigérien a voté. Il a voté dans le calme et la discipline pour élire ses représentants dans les conseils municipaux, régionaux et de ville. Il a promis de sanctionner sévèrement votre gouvernance et il l’a fait, dans les urnes et non pas dans la violence souhaitée, attendue et presque provoquée. C’est dans cette sanction sans ambiguïté que réside votre bilan. Le Pnds Tarayya, ce parti politique qui vous a porté au pouvoir et dont vous n’avez jamais cessé de vous réclamer, a échoué face au peuple souverain qui a librement refusé, dans une majorité écrasante, de faire à nouveau confiance à votre parti politique. Il a décidé, dans la paix et la quiétude sociale, dans le respect strict des suffrages sortis des urnes, de demander à vos partisans de débarrasser le plancher, d’aller se rhabiller aux vestiaires. La sanction est sévère et préfigure, vous vous en doutez, l’issue des élections législatives et présidentielle qui auront lieu dans une dizaine de jours. Le pouvoir du Pnds, selon toute vraisemblance, est à son terme et vous aurez sans doute l’intelligence de ne pas entraver, de quelque façon que ce soit, le cours inéluctable.
Le peuple nigérien vous a administré la preuve qu’il n’est pas ni amnésique ni irresponsable pour vous donner la chance de pérenniser plus longtemps cette gouvernance scabreuse que Bazoum promet de continuer. Est-il compréhensible pour Bazoum de perpétuer ce que les Nigériens ont vécu au cours de vos dix années de pouvoir ? Le trafic de drogue et d’armes, les détournements massifs des deniers et biens publics, la confiscation des libertés publiques, la rupture d’égalité des Nigériens devant la justice, le mépris de leurs attentes et aspirations, les violations continues de la Constitution, la caporalisation des instances chargées du processus électoral, les emprisonnements fantaisistes de citoyens qui dérangent, le massacre des populations civiles et militaires, l’enrichissement illicite de proches, la corruption, les fraudes aux concours, les détournements des aides alimentaires et budgets militaires, la prééminence de la famille présidentielle sur l’État, le hold-up électoral, etc. C’est ça que Bazoum, ce candidat aux pièces d’état-civil controversées, promet aux Nigériens de continuer. Y a-t-il plus grand mépris vis-à-vis d’un peuple ?
Monsieur le’’Président’’
Bazoum, vous le savez mieux que moi, n’a pas la qualité requise pour prétendre à la magistrature suprême. Vous avez vu le tollé général que cela a soulevé de vouloir imposer Bazoum comme candidat ? De la coalition Cap 20-21, les contestations ont gagné la société civile, puis Mahamane Hamissou du Pjd Hakika et aujourd’hui, Salou Djibo du Pjp Doubara et de l’Apr de Seïni Oumarou, sans compter la frange importante du Pnds opposée à toute candidature de ce bonhomme dont il est impossible, à l’heure actuelle, de statuer sur la véritable identité. Non seulement il a fait manifestement du faux, mais il ne s’appelle pas, selon de nombreux témoignages, Bazoum Mohamed mais plutôt Bazoum Salim.
La Cour constitutionnelle est empêtrée dans une situation sans autre issue que de dire le droit. Elle est déjà dans le collimateur des populations nigériennes et ce serait mettre leurs vies en danger que de persister dans cette logique insensée où le plus arriéré des villageois comprend fort bien ce qui se trame. Je n’ai jamais vu une Cour constitutionnelle autant décriée, autant traînée dans la boue et discréditée. Je n’ai jamais vu autant de jets de discrédit sur une Cour constitutionnelle. Vous l’avez compris, les Nigériens sont jaloux de leur souveraineté et ne sont pas prêts à accepter l’injustice jusqu’à un certain niveau. Ils sont décidés à se battre pour vous imposer la voie de la justice et vous n’avez pas une autre alternative que de vous y conformer.
Mallami Boucar