Profitant des célébrations du nouvel an, le président Issoufou a livré à la nation, l’un de ses derniers messages à la tête de l’Etat du Niger. C’est l’un des messages à la nation les plus sobres et les plus brefs depuis dix ans qu’il dirige le pays et le moins versé sur l’autosatisfaction. L’homme, dans l’angoisse du prochain et proche départ pour lequel ces élections ne donne aucune assurance, semble avoir perdu ses enthousiasmes que l’on sait. Pour une fois, et l’exception est importante pour être relevée, l’homme, soulignons-le, pouvait ne pas verser dans l’autosatisfaction en faisant étalage d’un bilan invisible, vaniteusement étalé. En dix années, sous les socialistes, le Niger est resté tragiquement dernier de la planète et jamais les Nigériens n’auront été aussi pauvres qu’en ces dix dernières années. Quelle gloriole peut-on donc sensément tirer de la médiocrité surtout lorsqu’au lieu de travailler au mieux-être des populations, l’on est resté à faire le mal, à régler des comptes, à diviser les Nigériens, à oublier la jeunesse, à abandonner l’école, à protéger des voleurs, à cultiver le clanisme, à oublier les urgences ? Pour une fois donc, l’homme apparait plus humble à reconnaitre, alors qu’il est sur le point de départ, que tout, contrairement à ce qu’il ne cesse de ressasser, n’est pas rose sous son empire. Comme saisi par une certaine humilité, il pouvait relever que la situation du pays est aujourd’hui préoccupante. Mais avant d’y arriver, soulignons au passage que le discours, pour une fois, est beaucoup plus unifié au travers d’une cohérence thématique qui s’est bâtie autour de l’insécurité, de la Covid-19, de la ZLECAF. Le Niger va mal, et Issoufou Mahamadou, par lui-même, pouvait le relever après dix années de gestion pendant lesquelles, son système entretenait des contrevérités, cultivait des illusions et des mensonges.
Enfin, de la bouche du président lui-même, habituellement si fier d’avoir fait du Niger un nouvel eldorado, l’on devrait entendre que le pays va mal, tirant le bilan de l’année qui s’est achevée. En effet, dira-t-il, «Globalement ce fut une «annus horribilis», une année horrible, surtout sur le plan sanitaire et sécuritaire».La Renaissance revenait, les pieds sur terre, quittant ses illusions. Evoquant surtout la question de l’insécurité qui a profondément marqué les Nigériens ces dernières années, le magistrat suprême, traduira toute sa compassion à l’endroit du peuple et de son armée. Il a ainsi des mots gentils à l’endroit de l’armée nationale dont il salue la mémoire des martyrs pour lesquels il a une pensée pieuse et compatissante. Mais l’acte, relevons-le, en ces moments de processus électoral, est assez politique. Tout le monde, pouvait d’ailleurs le comprendre. Aussi, dira-t-il, «Le sacrifice de nos martyrs d’Inatès, de Chinagodar et d’autres champs de bataille ne sera pas vain : en effet, plaise à Dieu, nous gagnerons ce que les historiens appellent désormais les guerres du Sahel et du bassin du Lac Tchad».
On peut se rappeler, en 2015, au cours de son premier mandant, évoquant le terrorisme, devant une foule conquise à la Place de la Concertation, le président Issoufou, fit la promesse de faire du Niger la tombe de Boko Haram, promesse qu’il ne put tenir, plus de sept ans après. Comment ne pas d’ailleurs remarquer, lorsque parlant de «nous gagnerons », l’homme remet tout encore dans la promesse, dans un futur imprécis et vague qu’un successeur positionné ne peut déterminer et ce en se servant ici, comme hier, de ce «futur imparfait» qui souligne, hélas, l’impuissance de la Renaissance à faire face à une situation sécuritaire qui s’est largement complexifiée et qui déborde de ses compétences. Le futur reste de mise comme pour montrer qu’en la matière, il n’y a pas de résultats tangibles à présenter aux Nigériens. En effet, comme dans la conscience de son échec, il console les Nigériens de ce que «Cela permettra de rendre définitive notre victoire contre l’ennemi, cet ennemi qui inflige tant de souffrances à notre peuple dont il persécute femmes et enfants, cet ennemi qui a fait tant de victimes parmi les populations civiles et militaires. Je confirme la solidarité de l’Etat vis-à-vis de toutes les familles des victimes militaires et civiles de cette tragédie. J’ai une pensée pour les déplacés et les réfugiés auxquels je souhaite la sortie des camps et une normalisation de la situation». Mais les femmes et les enfants de N’Guéléwa, ne sont plus à l’agenda depuis qu’ils ont été enlevés. Le silence, comme en d’autres occasions, est tragique à leur propos. Le deuxième sujet abordé est, actualité oblige, les scrutins organisés au cours de ce mois de décembre. Se réjouissant de la mobilisation des Nigériens pour ces élections de la controverse, il dira : «En effet, vous vous êtes rendus aux urnes le dimanche 13 Décembre pour élire vos conseillers municipaux et régionaux et le Dimanche 27 Décembre pour élire vos députés et le président de la République ».
Mais ce qu’il ne dit pas et on sait pourquoi, est de pouvoir analyser les raisons d’une telle mobilisation qu’il avait du reste constater au premier tour des élections de 2016 pour lesquelles, pour remporter les élections, l’option de trafiquer les élections afin de pouvoir rempiler s’était imposée à lui. Les Nigériens en ont marre et ils sont las, fatigués d’espérer. Ils ont besoin de changement, d’alternance. Ils ont en marre d’avoir supporté un socialisme asocial qui a gouverné pour la mal et par le mal. Mais comment peut-on croire dans une telle situation, à l’optimisme débordant d’un homme qui doit vivre ces jours-ci, les moments les plus anxieux de sa vie politique avec les incertitudes qui planent sur l’aventure du candidat qu’il a imposé à son parti et qui, contre toute attente, s’embourbe dans son aventure problématique ? Aujourd’hui, alors qu’il découvre l’erreur d’un tel choix, il tente de le justifier avec un gros mot – détribalisation – qui ne veut absolument rien dire pour les Nigériens. Au nom de ce qu’il appelle la détribalisation, peut-il imposer un autre aux Nigériens ? Au Niger, la détribalisation telle qu’il la conçoit, n’a aucun sens car pour les Nigériens, c’était déjà une manière de détribaliser la politique dans le pays quand, des hommes pouvaient, faisant abstraction de certaines considérations, choisir des hommes sur la seule base de critère raisonnés, rationnels. Peutil se rappeler le choix de Hama Amadou contre Seïni Oumarou ? Le choix de Salou Djibo contre le MNSD de Seïni Oumarou ? Le choix d’Amadou Salifou contre Seïni Oumarou et en faveur, à l’époque d’Albadé Abouba ? C’était cela la détribalisation et elle n’a pas existé aujourd’hui, sous Issoufou. Mais alors, que peut appeler, cet autre choix, quand, son système pouvait arracher Salah Habi, et Albadé Abouba à d’autres acteurs politiques avec lesquels, l’on ne peut savoir pouvoir, ils ne devraient plus cheminer pour aller rejoindre son camp. N’est-ce pas cela la tribalisation ? C’est de la manipulation que de vouloir présenter les choses sous un angle qui ne saurait être vrai. Pourquoi donc vouloir flatter les Nigériens, notamment lorsqu’il dit : «Vous êtes les ardents acteurs de la modernisation de la politique dans notre pays, notamment de sa détribalisation. C’est une révolution que nous sommes en train d’opérer dans les moeurs politiques non seulement nigériennes mais africaines. Vous faites de notre pays un modèle de démocratie en Afrique et dans le monde». Issoufou parle ici à la communauté internationale qu’il tente ainsi de séduire par le choix qui fut le sien de ne pas se présenter et d’imposer un candidat moins en phase avec le peuple, rejeté par l’ensemble de la classe politique et dont il se sert pour sa propagande dans le monde. Plus grave, c’est sous la Renaissance, qu’on peut entendre, les officiels tenir certains propos sidérants qui évoquent la nation dans ses différences et sa diversité. Comment, un ministre de la République, si tant est qu’il pouvait être suffisamment responsable, peut-il parler «officiers ethnicistes» que son système pouvait réduire à des fonctions subalternes et sans que cela ne choque le magistrat suprême ? Pourquoi donc un tel homme peut paraitre à ses yeux le meilleur de son parti pour porter les couleurs du Pnds qui n’aurait plus d’hommes valables au-delà de cette personnalité controversée ? Comment peut-on tenir d’aussi graves propos et notamment lorsqu’on peut aspirer à la fonction suprême ? N’est-ce pas cela la tribalisation de la vie politique dans un pays ?
Peut-il encore se souvenir de ce que, président du MNSD, Tandja Mamadou avait Tillabéri et Niamey parmi ses fiefs les plus constants ? La politique nigérienne, depuis cette époque, était détribalisée. La prouesse, si c’en est une, est moins de la Renaissance qui a plutôt exacerbé certaines tensions dans le pays, construit des murs qui séparent, érigé et tracé des frontières. Aujourd’hui, les mots seuls ne suffisent pas. Il faut des actes. Le régime, peut-il donc se rendre compte à quel point il est allé loin dans l’exclusion, dans la marginalisation de certains Nigériens devenus des parias sous leur gouvernance ?
Peut-il se souvenir de tout le mal fait à Ousmane, à Hama, à Yacoubou et même à des alliés qui, en de longues années d’amitiés difficiles, sont restés à endurer le mépris de leurs partenaires ? On ne peut donc pas croire ces propos lorsqu’il dit : «Comme par le passé, nous surmonterons ces nouvelles épreuves, car nous sommes un peuple paisible et uni». Uni où et comment quand ces élections divisent profondément les Nigériens ?
C’est peut-être parce que nous ne le sommes plus qu’il le dit. Il va sans dire que si cela était vrai, il n’aurait pas eu besoin de le dire parce que simplement, ce ne serait plus nécessaire de le rappeler. Prend-il conscience aujourd’hui des graves blessures qui endolorissent le corps social ? Faut-il dès lors lire ici le désarroi d’un homme qui prend subitement conscience des graves périls qui guettent la nation, des graves problèmes d’instabilité qui menacent le pays et sa cohésion ?
Quand on gouverne un pays, il faut éviter certains discours extrémistes pour avoir la bonne mesure. Le Niger ne pouvait avoir besoin de tels hommes et de tels discours faits d’insouciance et d’irresponsabilité.
Il y a à faire beaucoup attention à ce pays…
AI