« Y en a de parler », comme dirait feu Maman Arrivé, notre regretté comédien. « Y en a de parler » et je me demande, bien, par quel bout commencer. Le Niger que vous laisserez est tellement malade, tant sur le plan de la gouvernance que sur le plan moral. Vous savez de quoi je parle et vos compatriotes, tôt ou tard, finiront par savoir, tout savoir. Ce jour-là, même ceux qui vous vouent un soutien aveugle, comprendront à quel point ils ont été abusés. J’excuse beaucoup d’entre eux parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’est le développement. Je les excuse parce qu’ils ne comprennent pas que construire un immeuble de 16 étages dont on n’a pas besoin dans les circonstances actuelles, est plus un acte d’enterrement que de renaissance. Que reprochez- vous au bâtiment actuel du ministère des Finances pour en construire un nouveau ? Je vous l’avais dit, ce n’est pas de tels projets qui vous feront de vous une référence, demain. Malheureusement, vous êtes en fin de course pour pouvoir vous remettre en cause, corriger les erreurs et redresser la barre. Vous avez commencé dans les erreurs, vous allez terminer dedans. À propos, j’ai appris que vous êtes parti à Kao, dans la région de Tahoua, pour poser la première pierre de la construction de la cimenterie de la localité. Lorsque je l’ai appris, je me suis dit que ce n’est pas possible que vous le fassiez, six ans après la première pierre que vous avez posée pour le même projet et toujours à Kao. C’était en 2014 que vous avez procédé à la pose de la première pierre de la construction de la cimenterie de Kao. Pourquoi vous sentezvous subitement en …de refaire la même cérémonie à cinq mois de votre sortie. Ah, vous intriguez, vraiment et je comprends fort bien ceux qui jouent.
Monsieur le ‘’Président’’,
Je vous disais tantôt que le jour où vos compatriotes comprendraient sur quel désastre vous êtes assis, les immeubles, hôtels et autres échangeurs seront les charges qui anéantiront votre image. Il n’y a rien de mieux pour rester en bonne place dans la mémoire de ses compatriotes que de travailler à l’amélioration de leurs conditions de vie. Bref, ma sentence est connue : vous serez logé à une enseigne peu flatteuse. Dans une poignée de mois, vous partirez. Et j’ai décidé, afin que vous partiez avec ce souvenir amer de ce que vos compatriotes pensent de votre gouvernance, vous rappeler quelques symboles forts de votre échec. Le premier, c’est l’école, cette vénérable vénérable institution qui a fait de vous ce que vous êtes et à l’endroit de laquelle vous avez fait les plus belles promesses. L’école nigérienne est malade, très malade. Vos décisions à l’emporte-pièce l’ont surtout clochardisée. À propos des 15 000 salles de classe en matériaux définitifs par an, j’ai démontré, très tôt, qu’il s’agit d’une pure chimère. Le calcul, simple, en donne la preuve. 15 000 salles de classe, ça 1250 par mois, 41 par jour. Or, réaliser une seule salle de classe par jour, y compris en version préfabriquée chinoise, est impossible. En matériaux définitifs, il faut sans doute disposer d’une baguette magique. J’ai été d’ailleurs heureux de constater que si vous n’avez pas requis mon conseil avant de le déclarer, la première fois, vous avez toutefois abandonné la ritournelle.
Toujours, à propos de l’école, vous avez sur les bras, presque 600 enseignants du secondaire affectés depuis septembre 2019 et qui enregistrent 12 mois d’arriérés de salaire. Pourquoi ne sont-ils pas payés ? Vous trouvez judicieux de construire un ministère des Finances, sur fonds propres, dites-vous, ce qui ne me convainc pas, alors que des fonctionnaires que vous vous êtes tant vanté de recruter ne sont pas payés depuis 12 mois ? Vous êtes-vous demandé avec quoi vivent-ils et font-ils vivre leurs familles ? Chacun de nous, ne l’oubliez pas, rêve d’offrir le meilleur aux siens.
Ces enseignants du secondaire ne sont pas un cas isolé. Des médecins, recrutés et affectés dans des postes reculés, en brousse, et qui sont dévoués à servir leur pays, sont dans une situation plus lamentable. Ils n’ont pas obtenu de numéros matricules. En langage clair, cela veut dire qu’ils n’ont aucun lien avec la Fonction publique qui les utilise. Ils ont été recrutés depuis le 18 juin 2020 et n’ont, à ce jour, ni matricule, ni salaire.
Monsieur le ‘’Président’’,
J’ai l’impression qu’en cette fin de mandat, le monde entier a décidé de lever, enfin, le voile sur ce qu’a été votre gouvernance au cours de ces dix années. Traitant de la famine dans le monde, l’International Food Policy Research Institute (IFPRI) vient de classer notre pays 104e sur 107 pays. Un rang qui ne nous surprend guère. Pendant 10 ans que vous avez régné sur le Niger, et malgré les immenses ressources dont vous avez disposé, notre pays a été régulièrement classé dernier au classement de l’Indice de développement humain par le Programme des Nations unies pour le développement. À ce rang qui renseigne sur la nature de votre bilan à la tête de l’État, il faut bien agréger le classement de l’Union économique et monétaire Ouest-africaine (Uemoa) qui, il y a à peine, deux mois, soulignait que, de tous les pays membres, le Niger est celui qu concentre le plus grand nombre de pauvres. 75,5% des Nigériens sont pauvres. C’est un autre camouflet. C’est la plus belle illustration que notre pays est éloigné du bilan insolite que vous brossez de vos dix ans. Avec ça, lorsqu’on continue de parler d’autre chose, c’est qu’il y a problème.
Malgré tout, vous avez trouvé le moyen d’investir, dites-vous, 25 milliards de francs CFA pour ériger un nouvel immeuble pour le ministère des Finances. 25 milliards, dans un pays, comme l’a si bien souligné Moussa Tchangari, où les enfants étudient sous des paillotes, dans beaucoup de cas, à même le sol, sans tables-bancs et exposés aux intempéries. Vous avez, je dois le reconnaître, des choix illogiques pour quelqu’un qui a tout eu pour réussir à l’école. Ce bâtiment dont vos partisans tirent une fierté béate, vous l’avez fait construire en 12 mois. Ce qui a conduit un de vos compatriotes à demander pourquoi on ne construit pas alors avec la même célérité et la même qualité nos écoles, universités et laboratoires de recherche ?
Monsieur le ‘’Président’’,
Vous allez bientôt partir, laissant à votre successeur un lourd tribut. Un endettement extraordinaire dont on s’interroge sur la destination des fonds, une école démantelée, un système de santé en lambeaux, une corruption endémique, le territoire nigérien comme plaque tournante des trafics de drogue et d’armes, l’impunité, la rupture d’égalité des Nigériens devant la loi, des lois partisanes, bref, vous laissez un Niger où tout est à reconstruire. Mais, de grâce, partez sans chercher midi à 14 heures ; partez sans chercher à imposer subtilement votre successeur car c’est au peuple de le désigner, pas vous ; partez en sachant que si vous avez échoué dans votre mission, vous avez au moins, et ce n’est pas mince, la consolation d’avoir permis au Niger de réaliser sa toute première transition démocratique. On est libre de semer ce qu’on veut, mais on est obligé de récolter ce qu’on a semé, dit-on. J’aime bien ce dicton pour ce qu’il renferme de sagesse. Le processus électoral actuel est une bombe à retardement pour le Niger. Songez-y et réagissez à temps pour éviter la déflagration.
Mallami Boucar