Le Niger est à une étape cruciale de son histoire. Le climat est délétère. Irrespirable. Depuis des jours, l’on y respire que l’odeur âcre des gaz jetés sur des manifestants et des populations de quartiers, dans le mépris des populations. L’atmosphère est lourde, chargée de silences, de craintes, d’angoisse, de peurs, de crises graves, de méfiance, de haines, d’envies immenses d’en découdre, de se libérer d’un système inique qui veut imposer qui il veut à un peuple qu’il ne sait ni écouter ni respecter. Le pays n’a jamais connu une telle situation avec deux Niger qui se regardent, en chiens de faïence, douloureux, gravement irréconciliables ; deux Niger qui se portent des haines irréductibles. Le Niger va où ?

Où sont ceux qui doivent lui éviter l’enlisement, le chaos ? Où est celui que la loi fondamentale élève au statut de Père de la nation et de garant de l’unité nationale ?

Pourquoi continue-t-il à se taire ?

Est-ce lui le commanditaire de tout ce qui se passe ? Peut-il en assumer la responsabilité politique, morale et historique, face à l’Histoire qui s’écrit déjà avec le sang de ses enfants ?

Que fait-il au coeur de ces malaises pour éviter au Niger de tomber, un jour ou l’autre, dans la chienlit, dans la violence barbare ?

Faut-il croire qu’il peut être complice d’un drame qui se tisse, emballe toute la société ? Peut-on dire depuis des jours qu’on ne voit rien et que le Niger serait un pays normal ?

Il faut pourtant ouvrir les yeux. Regarder. Et voir. Ça ne va pas.

Le Niger va mal. Et l’heure est grave. Il faut interpeller les Nigériens qui peuvent encore être lucides pour se détacher de la conflictualité et prendre des distances par rapport à la crise pour se libérer d’hypocrisies ou de peurs de parler et de dire – si ce devrait être au prix de notre paix commune – des vérités qui gênent afin d’arrêter un système dans ses errances suicidaires. Le Niger est malade. Cela fait pourtant des années qu’un chercheur émérite, Jean- Olivier de Sardan, appelait à faire attention à cette gouvernance socialiste à laquelle il reprochait un déficit de qualité.

Et pourtant, il ne manque pas de citoyens abrutis pour soutenir la méchanceté, une gouvernance de la vendetta, du règlement de compte, une gouvernance qui ramène à la surface un débat nauséabond dont certains, depuis des années, ont fait, dans la clandestinité, leur fonds de commerce politique. Des hommes responsables qui aspirent à gouverner une nation ne peuvent pas fonder leur discours public sur l’ethnie. Il y a de quoi être sidéré en écoutant la déclaration de ceux qui soutiennent Bazoum. C’est leur droit de soutenir même celui qui, pour certains d’entre eux, ne serait pas un Nigérien d’origine, mais il faut savoir parler avec mesure. C’est fondamental en politique.

C’est tout un peuple qui en a marre.

Le Niger vit un calme précaire et la situation peut à tout moment exploser. Ce qu’on a vu cette semaine en dit long sur la profondeur des malaises, sur la grave crise que traverse le Niger. Une rumeur distillée par les réseaux sociaux qui parlait d’une manifestation monstre le vendredi 12 mars 2021, avait retenu le souffle au pays, suspendu à ce que pourrait être cette autre fureur annoncée, après celle des quatre jours que la capitale avait connue à la suite de la proclamation des résultats globaux provisoires par la CENI. Une fureur qui rend compte de la réalité des colères dans le pays. Jamais une élection n’a fait vivre au pays une telle crispation.

Dans les villes comme dans les campagnes, partout les Nigériens se sentent frustrés, mis en marge dans leur pays. Comment peut-on gouverner dans une telle situation ?

Peut-on forcer à gouverner un peuple qui pris conscience et refuse le faux, le mensonge, la méchanceté pour aspirer à vivre digne ? La Renaissance n’appelle-telle pas à la radicalité, par ses contradictions ?

Elle doit éviter de jeter de l’huile sur le feu. Aujourd’hui, beaucoup de Nigériens sortent de leur silence, et ce n’est pas rien. C’est tout un peuple qui en a marre.

Que ce soit au pays, comme dans la diaspora, partout, des voix s’élèvent pour marquer leur désapprobation par rapport aux nouvelles moeurs que le socialisme promeut dans nos élections. Tout le monde avait vu que les Nigériens s’étaient mobilisés pour le changement, pour l’alternance véritable et étaient allés voter pour réaliser ce voeu. Est-il donc possible de contrarier cette volonté populaire, ce besoin immense de changement sans que cela ne coûte cher au pays ?

À quel prix peut-on contrarier la volonté d’un peuple qui n’est plus celui de 1960, a fortiori, de 1990 ? Peut-on avoir besoin, lorsqu’on est sûr d’avoir gagné une élection, de se servir d’armes pour protéger sa victoire ?

Au coeur du malaise, l’on peut entendre, partout, les Nigériens se demander si l’on peut aujourd’hui leur imposer un président ? L’immixtion de certains pays étrangers dans l’élection présidentielle a de quoi inquiéter les Nigériens pour l’avenir de leur pays. Quel Nigérien sérieux, après avoir pris connaissance de la déclaration du président algérien, ne s’est-il pas inquiété pour son pays ? Qu’a fait ce pays pour mériter de tels dirigeants insouciants ? Le régime a conscience des tares de sa victoire annoncée ; une victoire qui apparaît aux yeux de tous, comme un hold-up électoral. Mahamane Ousmane a averti. Et il a le soutien de la majorité écrasante du peuple nigérien.

État de siège sur la démocratie…

Niamey est sous état de siège depuis des jours avec, partout, des corps habillés pour réagir au moindre petit bruit de rue. La précaution est dissuasive, ressort de l’intimidation pour espérer que par l’impressionnant dispositif qui quadrille la «ville rebelle», l’on vainc les rancoeurs, les fureurs de populations qui n’en peuvent plus et qui ne sauraient se taire même lorsque, enfin, le régime consent à rouvrir les portes fermées du grand marché, sans doute en signe d’apaisement. Ce n’est pas une solution et le quartier Goudel en a donné les preuves.

L’on peut d’ailleurs se demander et à juste titre, jusqu’à quand des FDS peuvent- elles continuer à obtempérer à des ordres manifestement illégaux qui dénient à un peuple son droit constitutionnel inaliénable de manifester et de dire «non» ?

C’est pour dire qu’en démocratie, il est incompréhensible de croire qu’on peut régner par les armes, imposer des résultats électoraux par des armes, hier dans certaines circonscriptions, et aujourd’hui, à un niveau central, en se servant des forces de l’ordre qui, comme tout citoyen, ont voté pour faire entendre leur choix.

Peut-on donc indéfiniment instrumentaliser cette composante essentielle de la nation ?

Le régime a certainement tort de croire qu’avec des armes braquées sur le peuple, il peut régner ad vitam aeternam. Cette situation inédite ne présage rien de bon pour le Niger et pour sa stabilité que des hommes, parce qu’ils sont au pouvoir, ont cru être une simple affaire d’arithmétiques galvaudées.

Démocratie armée…

Faut-il donc croire que nos FDS, pendant les cinq années à venir, n’auront rien à faire que de protéger une victoire usurpée, quand à nos frontières, tous les jours, nous sommes menacés ?

Peuvent-elles d’ailleurs tenir dans l’effort que le faux leur commande quand, comme le peuple, dans les rues, elles courent aussi pour s’acheter «massa» afin de tromper leur faim ? Elles finiront par comprendre que leur rôle, pour lequel l’État les paie au moyen des impôts du peuple, est de protéger le peuple, non de retourner contre ce peuple-là. Il est donc compliqué de vouloir gouverner un pays en état de siège permanent.

On le pourra peut-être pendant un ou deux mois, mais la précaution ne saurait prospérer face à l’usure.

La vérité des urnes est sans doute la seule solution possible pour faire face à la situation, le meilleur bouclier au pouvoir. S’y refuser, c’est choisir le chaos pour le pays. Et celui qui arrive dans les pipelines du complot international n’a pas le verbe sédatif pour gérer une situation nécessairement explosive. Le Niger vit des heures graves. Qui le sauvera ? Dieu, disent les plus fatalistes. Mais certainement un peuple debout qui peut avoir la bénédiction du Tout-puissant.

A.I