Il n’a pas fallu longtemps et beaucoup de chemin pour que les partisans de Bazoum Mohamed se rendent compte qu’il s’est fait avoir. Ambitions aveugles ou calculs machiavéliques de la part d’un homme qui a déclaré, à la télévision, que « plus comploteur que lui, tu meurs » ? Depuis son investiture, le 2 avril 2021, Bazoum est pratiquement pris dans une sorte de tournis qu’il doit à la propension de son mentor et prédécesseur de lui imposer une sorte de bicéphalisme au sommet du pouvoir. Issoufou Mahamadou, au nom des services qu’il a rendus à Bazoum dans la quête du pouvoir, ne compte pas, visiblement, le laisser gouverner à sa guise. Il veut le tenir sous son influence afin que les Nigériens, qui applaudissent son départ, sachent qu’il n’est jamais parti. Sans être le président en fonction, il entend toutefois montrer qu’il est le véritable détenteur du pouvoir et que Bazoum gouverne par procuration. Premier acte, il quitte la fonction, mais part avec une bonne partie de la Garde présidentielle. Dans sa nouvelle résidence comme dans sa villa privée sise à proximité du stade Kountché, les hommes de Tchiani, lourdement armés, sont là. Pourtant, la famille Issoufou n’habite plus dans cette seconde maison depuis son élection, en 2011. À moins qu’il y fasse un tour nocturne, de temps à autre. C’est, donc, toujours la Garde présidentielle qui continue à assurer la sécurité de l’ancien président et ce n’est pas, loin s’en faut, le pire pour Bazoum.
Bazoum Mohamed a-t-il été obligé d’accepter les conditions d’Issoufou Mahamadou pour accéder au pouvoir ?
Tout, selon des sources internes au Pnds, s’est passé lors de ce voyage d’Issoufou Mahamadou à Paris ; un séjour d’une semaine au cours duquel, entre le premier et le second tour de l’élection présidentielle, Bazoum Mohamed l’a rejoint dans la capitale française. Là, les choses auraient été clarifiées entre le mentor et son protégé. Bazoum Mohamed a-t-il été obligé d’accepter les conditions d’Issoufou Mahamadou pour accéder au pouvoir ? Dans les milieux du Pnds, il se susurre que le partage du pouvoir, après le retrait d’Issoufou, a été au centre du séjour des deux hommes en France. Quoi qu’il en soit, Bazoum Mohamed est aujourd’hui pris dans un piège dont il aura du mal à sortir. Sa volonté de remettre en cause nombre de pratiques entretenues par son prédécesseur va nécessairement croiser l’opposition tenace de celui à qui il dit devoir tout dans son discours d’investiture. Une quadrature du cercle qui va l’étouffer au plus haut point, les prémices d’une impossibilité pour lui de gouverner apparaissant déjà au grand jour.
Issoufou Mahamadou, le véritable commandant de la Garde présidentielle sous Bazoum Mohamed
Les velléités d’émancipation de Bazoum Mohamed vis-àvis de son mentor ne sont que des chimères entretenues par des partisans qui ont du mal à admettre ce qu’ils entendent dire à propos de Bazoum. Avec une pointe de mépris, des Nigériens soutiennent que le nouveau locataire du Palais présidentiel est un «kama mini», c’est-à-dire un simple fairevaloir. Pris en sandwich entre Ouhoumoudou Mahamadou, Premier ministre, que l’on dit être pratiquement le frère d’Issoufou, Abba Issoufou, le fils de l’ancien président et un certain nombre d’obligés de son prédécesseur, Bazoum Mohamed aura du mal, pour ne pas dire qu’il sera incapable, de se défaire du piège dans lequel il s’est laisser tomber. Selon des sources politiques crédibles, les divergences apparaissent déjà au grand jour. Issoufou Mahamadou se fait trop présent et sa volonté de régenter le magistère de Bazoum Mohamed est manifeste. Le fils au Pétrole et aux Energies renouvelables, Ouhoumoudou Mahamadou, Premier ministre, Alkache Alhada à l’Intérieur, Hassoumi Massoudou aux Affaires étrangères et à la Coopération, Alkassoum Indatou à la Défense nationale, ce qui est appelé dans les cercles du Pnds, le quota d’Issoufou Mahamadou, constitue un maillage infaillible du pouvoir. Et à moins d’un miracle, il est impossible pour Bazoum de faire le poids face à cette machine issoufienne. Les fers dans lesquels il s’est fait enchaîner sont durs à casser. Outre l’occupation, par des hommes-liges ou pleins de ressentiments vis-à-vis de Bazoum, de postes stratégiques au sein de l’appareil d’Etat, la Garde présidentielle reste bien issoufienne. Le général Tchiani, tout comme le général Boulama, sont de fidèles officiers restés loyaux à Issoufou durant une décennie. Ce qui fait dire à certains que c’est désormais Issoufou Mahamadou, le véritable commandant de la Garde présidentielle, celui qui veille sur la sécurité de Bazoum Mohamed et de son pouvoir.
La configuration de la majorité parlementaire ne milite pas en faveur de Bazoum Mohamed qui devrait craindre, dit-on, de susciter le mécontentement de son mentor.
La Garde présidentielle ne traduit pas, à elle seule, le malaise du nouveau pouvoir incarné par Bazoum. À l’Assemblée nationale aussi, c’est Issoufou Mahamadou, selon des sources politiques crédibles, qui tient les ficelles du pouvoir. Il commande et c’est fait. La configuration du parlement ne milite pas en faveur de Bazoum Mohamed qui devrait craindre, dit-on, de susciter le mécontentement de son mentor. « S’il désobéit à Issoufou, renseigne une source parlementaire qui a requis l’anonymat, eux le descendraient sans état d’âme et c’est vite fait ». Bazoum, ajoute- t-il, n’a pas de pouvoir et il le sait parfaitement. Il ne peut que faire ce que Issoufou lui suggère de faire. Mal parti dans la course à l’élection présidentielle avec cette histoire de pièces d’état-civil frauduleuses, Bazoum sait d’où il vient. Il sait surtout que pour survivre là où il est là, il est obligé de subir, de tout supporter lorsque ça vient d’Issoufou. Une réalité étouffante pour un homme si fier de son courage politique.
Après la formation du gouvernement, il ne reste plus rien à Bazoum. Ce sont bien les hommes d’Issoufou, à la tête des départements ministériels stratégiques, qui vont proposer d’autres hommes pour une nomination aux postes déterminants à la Défense, à l’Intérieur, aux Affaires étrangères, au Cabinet du Premier ministre, au Pétrole et aux Energies renouvelables. Et ce sera sans doute autour d’Issoufou Mahamadou que se feront les conciliabules et les propositions de nomination. Une perspective non réjouissante pour les partisans de Bazoum, malheureusement sans grande influence au sein du Pnds. Les observateurs sont unanimes : soit Bazoum fait sa traversée de la mer, seul ; soit, il se noie.
Laboukoye