Le Niger est une république indépendante depuis le 3 Aout 1960. Chez l’homme, 60 ans est l’âge mur. Celui de la sagesse et du discernement propice à une longue réflexion en vue d’esquisser le bilan d’une vie. A cette occasion et à la veille de l’élection d’un nouveau président de la République (le 10ème), le journal Seeda a sollicité la contribution de deux universitaires nigériens de rang magistral pour nous dresser un état de lieux, une rétrospective des réalisations les plus significatives depuis 1960. Il s’agit respectivement de Mamoudou Djibo PhD de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines spécialiste de l’histoire politique du Niger et Issoufou Yahaya de la Faculté des Sciences de l’éducation historien et politologue.
JOURNAL SEEDA - Depuis 1960, 9 chefs d’état se sont succédé au pouvoir. Certains d’entre eux comme Diori Hamani et Seyni Kountché sont restés assez longtemps au pouvoir. D’autres comme Daouda Mallam Wanké et Salou Djibo le temps d’une transition à peine 1 an. Est-il normal de les mettre au même pied d’égalité en ce qui concerne les réalisations ? Commençons si vous le voulez bien par le Président Diori Hamani, qu’est-ce qu’on peut retenir de son passage au pouvoir ?
M. DJIBO : On peut retenir beaucoup de choses du passage du président Diori au pouvoir parce que quand le Niger accédait à l’indépendance y’avait rien il fallait tout construire ; il fallait tout inventer. Le Niger n’avait pas d’infrastructures ni de ressources humaines. Le président avait tout mis en place. Par ailleurs Diori a laissé au Niger environ 71 unités industrielles, même si ce ne sont pas de très grosses industries, il a quand même construit un tissu économique qui malheureusement a disparu aujourd’hui. Le président Diori a également réussit a marqué le Niger sur le plan international par une diplomatie dynamique très active, même si on l’appelait le pigeon voyageur ; Diori a réussit sur tous les fronts de crises en Afrique à intervenir pour faire entendre raison aux gens et les ramener au calme. Diori a joué au plan international au moins deux actions de taille. La première action c’est par rapport à la guerre du Biafra où la France, la Côte d’ivoire de Félix Houphouet-Boigny et le Gabon d’Omar BONGO soutenait la sécession Biafraise mais Diori a refusé. Il a analysé et apprécier à sa juste valeur que si le Nigéria éclatait sur une base ethnique s’en est finit de la stabilité du Niger et il a fait le choix qui a payé de soutenir le gouvernement fédéral envers et contre la France et la Côte d’ivoire qui ont été pour lui les parrains politiques qui l’ont porté au pouvoir. Les témoins racontent qu’au moment du déclenchement de la guerre l’armée nigériane était totalement démunie et que c’est l’intégralité de l’armement de l’Etat du Niger que Diori a fait convoyer nuitamment pour aller doter l’armée nigériane. Il a aussi fermé les yeux sur le recrutement de volontaires nigériens pour aller faire la guerre. Le président Diori a aussi refusé d’être associé à l’embargo car la France voulait que le Niger soit acquis pour la cause du Biafra pour prendre en étau le gouvernement fédéral mais Diori a refusé.
Par ailleurs Diori a également refusé de soutenir le Général DE GAULE dans sa campagne pour l ’ indépendance du QUEBEC, il a estimé que le CANADA était un pays fédéral et qu’il ne fallait pas le diviser.
Puis quand Diori a eu l’initiative de la FRANCOPHONIE qu’on attribue aujourd’hui à SENGHOR et BOURGUIBA la France ne voulait surtout pas que sa soit le CANADA qui soit invité, elle voulait que sa soit le QUEBEC, il a refusé en réussissant par une diplomatie discrète mais très efficace à faire venir non seulement le gouvernement fédéral de Pierre-ELIOT TRUDEAU mais également le gouvernement québécois et celui du nouveau Brunswick (MONCTON). C’est comme ça que par la prouesse du président Diori l’ACCT l’ancêtre de l’OIF fut créée à Niamey le 20 mars 1970.
Les exploits de Diori ne s’arrêtent pas là. Les canadiens ayant reconnu ses efforts pour la consolidation de l’unité du Canada vont prendre des mesures pour aider le Niger à leur tour notamment en finançant l’intégralité des études pour le transport de l’électricité à partir de KAINJI au Nigéria. Le président Diori a également demandé aux canadiens de l’aider à recoller la partie EST du Niger à savoir la région de Diffa au reste du pays. Parce que cette région était extravertie car orientée vers le Nigéria et le Tchad. C’est donc avec le président Diori que le gouvernement fédéral du Canada construisit la route Gouré- N’Guiguimi en plein désert, une vraie prouesse pour l’époque. En conclusion on peut dire qu’il est vrai que le président Diori était surtout à ces débuts entre les mains des français, il est aussi vrai qu’ils ont réussit à lui faire avaler beaucoup de couleuvres mais sur certaines questions il a beaucoup osé. Et même sur la question de l’Uranium qui lui a valu le coup d’Etat car il a demandé la revalorisation du prix de ce produit très stratégique pour les français.
I. YAHAYA : Pour ce qui est de l’action publique, la première remarque qu’il faut faire c’est qu’on n’a pas besoin de rester 10 ans, 20 ans au pouvoir pour marquer son époque, pour laisser des traces indélébiles. Comparaison n’est pas raison comme on dit, vous avez des chefs d’Etats qui se sont succédés, on a autant de personnalités que d’actions publiques. Puisque vous voulez adopter l’ordre chronologique, si on commence avec le président Diori HAMANI, ce qui doit rester aujourd’hui de ce grand homme d’Etat c’est cette capacité à avoir construit un pays à partir de rien. Pendant 14 ans dans des conditions difficiles car le Niger à l’époque n’avait pas de ressources. Il n’avait pas le pétrole, il n’avait pas l’or, l’uranium ét a i t jus t e au d é b u t de s o n exploitation. Malgré tout ce régime avait construit un pays avec des institutions. Pour moi ce qui est le plus important c’est surtout le fait d’avoir scellé l’unité nationale sur des aspects socioculturels. Donc l’unité nationale a été mise en place, consolidée au point où le nigérien peu importe d’où il est se sent nigérien en dépit de beaucoup de contingences. Donc pour ce qui est du président Diori il y’a un pays qui a été construit, une unité nationale, et des sociétés d’états qui ont été mises en place et sur ce point je pense qu’on ne peut pas égaler le régime Diori.
JOURNAL SEEDA « Après 15 ans de règnes », pour paraphraser le CMS, les militaire ont pris le pouvoir et Président Kountché a succédé à Diori, que faut-il retenir du règne du général Seyni KOUNTCHE ?
PhD M. DJIBO : s’agissant du début du règne de Seyni KOUNTCHE il faut signaler un paradoxe. La France a cautionné son coup d’Etat contre le président Diori mais cela n’a pas empêché Kountché de demander le départ du détachement militaire français qui était à Niamey et c’est là que se trouve le paradoxe.
Contrairement à Diori qui s’est beaucoup investit dans la diplomatie externe, Kountché s’est surtout intéressé à relever la dignité de l’homme nigérien. Il s’est présenté en modèle d’intégrité. Une dictature militaire implacable a remplacé une dictature civile. Sur le plan économique Kountché a bénéficié d’un bonus de l’uranium car la France a quadruplé la part concédée au Niger. Ceci lui a permis d’engager des grands travaux (le palais des congrès, l’hôtel gaweye, le stade Seyni Kountché, la route Tahoua Agadez Arlit, des aménagements hydro agricoles…) qui ont fini par endetter le Niger. Mais Seyni Kountché a réussi a moralisé la gestion des affaires publiques tant il traquait la corruption et les fonctionnaires indélicats.
Pr I. YAHAYA : A p r è s l e président Diori, le militaire Seyni KOUNTCHE est venu au pouvoir avec ses frères d’armes. Ils ont hérité d’un pays durement frappé par la sécheresse, par les calamités naturelles mais ce qu’il faut beaucoup retenir du président KOUNTCHE c’est son nationalisme. Il a consacré sa vie au pays et en dépit de toutes les contraintes, je pense qu’il est à la base de ce rayonnement politique que le Niger a connu. Une diplomatie beaucoup plus offensive, un sens aigu de l’Etat, la préservation des biens de l’Etat, la lutte contre la corruption, la lutte contre l’impunité, l’austérité aussi caractérisait le président Seyni KOUNTCHE. Il a aussi était en mesure de consolider l’unité nationale parce que pour lui tous les citoyens sont égaux devant la loi.
JOURNAL SEEDA Le président KOUNTCHE était un exemple d’intégrité reconnu par tous mais comment expliquer le cas BONKANO ?
Pr Issoufou YAHAYA : Bon vous savez il y’a toujours des réalités qui échappent, Bonkano c’était un homme de l’intérieur et les intrigues politiques ont toujours existées de même que les révolutions de palais. Je pense que Bonkano avait la primeur de l’information. Probablement il était l’un de ceux qui savait que le président KOUNTCHE était malade.Donc y’avait une situation qu’il pouvait exploiter. Alors d’ici à là, je pense qu’il a franchi le pas et comme il l’a expliqué de son vivant ils l’ont conçu ensemble et la fiction à dépasser la réalité et il s’est retrouvé malgré un lourd handicap, ce manque de légitimité à diriger un pays. Puisque il y’a des réalités qui sont là dont on ne peut pas faire l’économie et bien il s’est totalement empêtré, malheureusement il a perdu le fil du contrôle et il s’est retrouvé largué…
PhD M. DJIBO : Malgré tous les efforts du président Seyni Kountché il y’a eu des abus. Il ne faut pas oublier que Bonkano était le bras droit de Kountché et qu’il s’était enrichi plus que n’importe quel homme politique au Niger, pour l’époque en tout cas et Kountché a cautionné en fermant les yeux la dessus. Par ailleurs ce personnage a réussi à prendre sur lui tous les abus du régime avec son Bureau de Coordination et de Liaison BCL qui symbolisait le bras armé du régime qui empêchait aux nigériens de respirer. Ce qui explique que sa disgrâce fut beaucoup saluée et que nos concitoyens pardonnent au général Kountché l’épisode BONKANO. Ce qui avec les expériences du processus de démocr a t i s a t i o n amène les nigériens à ê t r e m ê m e nostalgiques de l’époque Kountché ce qui dénote la faillite de notre démocratie. Quand dans un système démocratique on en arrive à avoir l a n o s talgie de la dictature, c’est terrible…
JOURNAL SEEDA : Comme vous venez de faire la transition entre l’époque de la dictature et le processus démocratique dans notre pays alors nous en arrivons au président Mahamane OUSMANE. Dans quels domaines a-t-il laissé un héritage perceptible aux nigériens ?
Pr Issoufou YAHAYA :Apres Kountché, avant d’aborder Mahamane Ousmane, il convient d’ évoquer le le président Ali SAIBOU qui était un militaire particulier parce qu’il était resté loyal envers le président Seyni KOUNTCHE. Mais ce qu’il faut retenir surtout du général Ali SAIBOU c’est le fait d’avoir décrispé le climat politique qui était très chargé et d’avoir eu cette vision comme il l’a dit de ne pas faire obstacle au cours de l’histoire. Je pense que pour tous ces éléments c’est un homme qui a laissé une empreinte, puisque c’est aussi avec lui que la démocratie est revenue et il n’a pas fait obstacle. C’est quelqu’un qui ne sait pas opposé au vent de l’histoire c’est-à-dire l’avènement de la démocratie. Beaucoup de ces homologues et contemporains (NDLR MOUSSA TRAORE, GNASSIMBE EYADEMA…) s’y étaient opposés, il y’a eu des tueries mais lui avait une lecture totalement différente, au fond c’était un humaniste, il n’a pas beaucoup de sang sur les mains. Même le cas du 9 février est discutable, peut être que les véritables auteurs seront un jour connus et pourtant il a eu le grand mérite d’avoir assumé…
PhD M.DJIBO : Le président Mahamane OUSMANE a surtout laissé aux nigériens un mauvais souvenir. Intelligent qu’il était, on a découvert que c’était un régime pratiquement défaillant, carrant. L’affairisme s’est rapidement développé, l’exclusion ethno régionaliste de son fait ou pas je n’en sais rien a été systématisée et de toutes les façons le président Mahamane OUSMANE ne pouvait pas réussir. Au premier tour des élections le Candidat TANDJA Mamadou du MNSD avait fait 44% des électeurs, Mahamane OUSMANE 32%, Issoufou MAHAMADOU 16% et Adamou Moumouni DJERMAKOYE 12%. C’est dans ce contexte que le premier ministre Cheffou AMADOU, au mépris de l’article 39 du code électoral qui condamnait et interdisait toute alliance sur la base de partage, a inventé l’AFC. On comprend aujourd’hui que c’était pour couvrir ses arrières car jusqu’à présent on n’a pas encore fait le bilan de sa transition. Taiwan ou le Chaos personne ne sait ce qui s’est passé qu’est ce que Cheffou a trouvé qu’est ce qu’il a laissé ? où est ce qu’ils ont mis l’argent de Taiwan que le président Issoufou était obligé de payer quand il est arrivé au pouvoir ? Donc il a organisé sur la base de la violation du code électoral une AFC qui est née malade précisément de ce pécher originel. Et l’AFC a mis à l’opposition le parti qui représentait 44% des nigériens. Il va de soit que le pays ne pouvait pas être gérable. Puis l’alliance ne s’était pas fait sur des affinités idéologiques alors rapidement la gourmandise des uns et des autres a pris le dessus et a dévoyé le processus. Le président OUSMANE voulant tout prendre, le premier ministre Issoufou MAHAMADOU refusant et finalement en septembre 1994 le PNDS a décidé de quitter l’alliance. C’est vrai que Mahamane OUSMANE est le premier à être élu démocratiquement (NAFARKO 1er), mais je ne connais pas de bons souvenirs de son passage au pouvoir, sur le plan historique en tout cas.
Pr Issoufou YAHAYA : En ce qui concerne le président Mahamane Ousmane, il est arrivé dans un contexte totalement différent parce que c’était par le biais d’élections libres, démocratiques et transparentes. Il est venu au pouvoir après une transition due à la conférence nationale. Donc c’est quelqu’un qui avait la légitimité des urnes comme on dit et c’est la première véritable alternance que le Niger ait connu. Alors qui dit alternance dit avènement de nouvelles autorités. Ça été l’une des grosses difficultés puisque le président OUSMANE est venu dans le cadre d’une coalition alors est ce que ses camarades de la coalition étaient déjà sincères à l’époque ? Aujourd’hui on peut bel et bien se poser la question, en particulier le PNDS parmi ses alliés. Son parti a remplacé l’ancien parti Etat donc il a eu beaucoup de difficultés à s’imposer et le PNDS ne faisait pas franc jeu car il a rapidement connu des difficultés du fait d’un certain nombre de démembrements d’institutions, pour ne pas la citer la commission d’attribution des marchés qui était au cabinet du premier ministre et qui devait être rattachée à la présidence. Donc le président Mahamane OUSMANE a perdu son principal allié et s’est vite retrouvé en cohabitation. Alors la démocratie nigérienne à peine née a connu une évolution politique significative parce que les français ont mis pas moins d’une vingtaine d’années pour connaitre une cohabitation politique. Au Niger juste après 18 mois on se retrouve en cohabitation, je pense que c’est un pas majeur. Mais ce qu’il faut retenir du président OUSMANE c’est que c’est un démocrate. Quoi qu’on puisse dire de Mahamane OUSMANE on retiendra que c’est un grand démocrate. Les libertés individuelles, les libertés collectives et les libertés constitutionnelles, le président Mahamane OUSMANE les a respectées. Et aujourd’hui encore si on fait un retour en arrière on constatera que le président OUSMANE a joué le jeu de la démocratie jusqu’à se perdre, jusqu’à perdre le pouvoir, Mahamane OUSMANE a été un démocrate vraiment modèle.
Propos recueillis par
Maman Moumouni
Mooussa Abdoul Rahmane
AbdoulKarim A.Gado
Source : SEEDA - Mensuel nigérien d’informations générales