PhD Mamoudou Djibo,Historien-politologue et Dr Issoufou Yahaya, ENS historien et Politologue

Le Niger est une république indépendante depuis le 3 Aout 1960. Chez l’homme, 60 ans est l’âge mûr. Celui de la sagesse et du discernement propice à une longue réflexion en vue d’esquisser le bilan d’une vie. A cette occasion et à la veille de l’élection d’un nouveau président de la République (le 10ème), le journal Seeda a sollicité la contribution de deux universitaires nigériens de rang magistral pour nous dresser un état des lieux, une rétrospective des réalisations les plus significatives depuis 1960. Il s’agit respectivement de Mamoudou Djibo PhD de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines spécialiste de l’histoire politique du Niger et Issoufou Yahaya de la Faculté des Sciences de l’éducation historien et politologue.


Lire la première partie de l'interview : 60 ANS D’INDEPENDANCE, neuf (9) Présidents de la République : Quels héritages ? / Regard croisé de deux historiens et politologues (première partie)


Journal Seeda : Suite à un coup d’Etat militaire le président Ibrahim Baré Mainassara accède au pouvoir en 1996 après une expérience cahoteuse de fonctionnement des institutions démocratiques mises en place après la conférence nationale.

PhD M. DJIBO : Le général Ibrahim Baré Mainassara initialement était venu comme arbitre, il s’est laissé gagner par les sirènes et il est allé contre son engagement de ne pas rester. Mais pour l’avoir approcher, sa décision de briguer la présidence est partie du fait que la vieille garde politicienne qu’il avait évincé s’apprêtait à revenir aux affaires. A l’image du feu Djermakoye qui disait à qui nous allons laisser ce pays ? Et le président Baré de leur répondre si vous êtes là je suis là…. Donc c’est pour faire face aux gens qu’il a évincé qui ont reconnu leur échec devant la télévision nationale ; ces gens allaient revenir au pouvoir et le général Baré s’est imposé. Mais Baré a commit un pécher en organisant le holdup électoral qui a décrédibilisé son pouvoir. Ainsi il ne pouvait qu’échouer. Mais son échec ne devait pas conduire à la situation malheureuse par laquelle il a finit. C’était un patriote à l’inverse de beaucoup de gens, Baré aimait sérieusement le Niger.

Pr I. YAHAYA : Qu’est ce qui justifie l’arrivée du président Ibrahim Baré Mainassara au pouvoir ? C’est l’incapacité des politiciens à trouver des solutions politiques aux problèmes politiques. Donc ils se sont rentrés dedans, les politiciens nigériens, d’ailleurs ils ne changent jamais, ils se sont rentrés dedans au point où ça a débouché sur le blocage du fonctionnement régulier des institutions. Et comme vous le savez, les militaires attendent toujours le moment opportun pour venir soit disant mettre fin à la chienlit. Donc le colonel Baré est venu et c’était un peu l’héritier du président KOUNTCHE car il a un sens de nationalisme aigu. Il était aussi un peu internationaliste puisque il a une culture idéologique au-delà de ce qu’on peut trouver au Niger. Idéologiquement il est construit et il est marqué car il a pris sur lui certaines causes internationales. A l’intérieur il a voulu mettre à plat certains écueils mais malheureusement il s’est laissé aller par l’appétit du pouvoir et a voulu légitimer son coup d’Etat en organisant un simulacre d’élection. Donc du Général Baré ce qu’il faut retenir c’est sa témérité, son sens de l’Etat, sa culture idéologique, sa volonté de servir le Niger, mais malheureusement les politiciens ont eu le dessus sur lui et le commandant Wanké de sa garde présidentielle a dirigé un coup d’Etat qui a mis fin à son régime et malheureusement à sa vie.

Journal Seeda : nous en arrivons au président Mamadou TANDJA, pourquoi les nigériens font un lien entre TANDJA et le monde rural ?

Pr Issoufou YAHAYA : Vous savez le président Tandja c’était toujours affiché aussi comme un héritier du président Kountché. Kouncthé c’était le monde rural. Le président Tandja ce n’est pas un grand intellectuel au sens de la formation académique comme on le dit mais il a l’intelligence politique que nombre d’hommes politiques n’ont pas. Le président Tandja c’est un homme qui a le sens de l’intérêt général et le fait d’avoir été militaire l’a beaucoup aidé à comprendre les difficultés du monde rural. Donc il a une conception beaucoup plus égalitaire de la répartition des richesses et des biens du pays. Donc pendant les dix années il y’a eu une stabilité économique et politique. Il a été capable de laisser ses propres ministres répondre à la loi, les dignitaires n’étaient pas au dessus des lois. Il faut lui reconnaitre aussi d’avoir des positions internationales fortes pour défendre l’intérêt et les biens du Niger. S’opposer à AREVA à l’époque, il fallait le faire. Empêcher que le Niger ne devienne un circuit de rodéo pour les occidentaux, il a osé dire non. Il y’a eu des débordements quelques privations de libertés, des journalistes emprisonnés mais d’une manière générale le régime du président TANDJA a été profitable au Niger puisqu’il a revalorisé les ressources nationales. Il a pris des décisions importantes qui ont débouchées sur la production du pétrole. Par ailleurs il a poussé l’outrecuidance jusqu’à casser l’édifice institutionnel, en allant vers la 6ieme république qui a posé beaucoup de problèmes et finalement avec le temps si on voit en côte d’ivoire le président OUATTARA a modifié la constitution pour rester au pouvoir, en Guinée le président CONDE a également fait la même chose alors je pense que le cas du TAZARCHE revient à l’ordre du jour.

PhD M. DJIBO : Le président Mamadou TANDJA est quand même originaire du Conseil Militaire Suprême de Seyni KOUNTCHE qui avait promis qu’aucun nigérien ne mourra de faim tant qu’ils seront au pouvoir. TANDJA avait donc comme principal cheval de bataille la lutte pour l’autosuffisance alimentaire et il voulait utiliser les ressources naturelles pour développer le pays et surtout le monde rural. Pour que cela soit possible il fallait que l’uranium soit payé à sa juste valeur. Il fallait que le pétrole que les français disaient économiquement non rentable soit exploité afin que les nigériens puissent gagner de quoi assurer leur développement. Malheureusement il a commis trois erreurs. Premièrement c’est comme le président Diori il a demandé la revalorisation du prix de l’uranium ce n’est pas acceptable chez les français. Deuxième erreur il a accordé l’exploitation du pétrole aux chinois de même qu’une mine d’uranium celle d’Azélik alors que les conventions interdisaient que cela échappe à la France car c’est le découvreur qui a la priorité pour exploiter. Tandja avait considéré que c’était une ressource nationale. Troisième erreur, Le président Mamadou TANDJA avait voulu poursuivre l’ancien président américain Georges BUSH devant les tribunaux internationaux pour avoir menti sur le Niger et discréditer son image au motif que le Niger aurait vendu de l’uranium à l’Irak qui lui aurait servi de fabriquer des bombes de destructions massives qu’on a jamais découvertes. Cela a été utilisé comme argument pour détruire l’Irak, on a la preuve que c’est des faux documents produits par la CIA pour discréditer le Niger et TANDJA tenait coute que coute à ce que l’honneur du Niger soit lavé et je connais l’équipe qu’il a mise en place pour poursuivre ce dossier. Enfin, et là c’est juste un prétexte car en histoire nous faisons la différence entre la structure et la conjoncture, le Tazartché est devenu un alibi contre lui.

JOURNAL SEEDA : en dehors du monde rural et des ressources naturelles Y a t-il d’autres domaines où TANDJA a laissé des empreintes ?

PhD M. DJIBO : Le président Mamadou TANDJA a laissé beaucoup d’empreintes d’abord de mon point de vu par sa gestion. Ils ont trouvé un pays qui ne payait pas les salaires. Ils ont fait pratiquement 10 ans et demi où y’a jamais eu d’arriérés de salaires et je pense que cela est déjà une prouesse. Par ailleurs il avait restauré les fêtes tournantes du 18 décembre qu’on avait oublié depuis l’époque des semaines de la jeunesse et les festivals de Kountché. Tandja a également osé diversifier les relations du Niger avec d’autres pays notamment la place particulière prise par la république populaire de Chine.

Journal Seeda : Enfin nous en arrivons au cas du président Issoufou MAHAMADOU qui comme le président Tanja a bénéficié aussi de deux mandat pour laisser un héritage.

Pr I.YAHAYA : Vous savez, le président Tandja avait dit en son temps qu’il n’avait pas de compte bancaire ailleurs, ce n’était pas un homme d’argent, certes c’était un homme de pouvoir mais aujourd’hui c’est beaucoup plus des hommes d’argent qui sont au pouvoir que des serviteurs de l’Etat. Je crois que la différence est à ce niveau. Si personne ne paye alors tout est lié. En histoire on peut raisonner par déduction pour combler un vide, logiquement si y’avait pas de lien entre ceux qui ont bénéficié des marchés et ceux qui leurs ont attribué, ils iraient en prison. Il y’a surement une ramification que la justice va peut-être établir un jour.

PhD M. DJIBO : Pour l’instant il est encore au pouvoir alors ce n’est pas de l’histoire c’est de la chronique. Vouloir faire le bilan d’une action en cours n’est pas historiquement fondé. Il a eu deux mandats, Dieu merci deux mandats tranquilles comme Tandja. Y’a pas eu de coup d’Etat y’a juste eu des dénonciations de tentatives de coup d’Etat. Mais nous attendons surtout le président Issoufou sur un de ses principes la lutte contre la corruption. Malheureusement les détournements des deniers publics et surtout l’impunité se sont instaurés et cela est dommage parce que ses ambitions pour le Niger étaient réelles. A Propos de détournent, c’est la justice qui est prompt à s’autosaisir et elle a préféré ne pas s’en saisir mais le temps cours et c’est l’histoire alors tôt ou tard justice se fera. Sinon c’est pas le détournement en lui-même qui est grave c’est ce qui se dit si cela s’avère vrai, que les gens aient commandé de fausses armes et de fausses munitions pour envoyer les enfants des autres sur le front se faire canarder comme des poulets si cela est vrai c’est très grave, c’est criminel et c’est très sale.

Pr I. YAHAYA : Bon vous savez avant d’être président il a été opposant. C’était une opposition de service ou une opposition réelle ? Puisse que quand il était opposant il était reçu chaque mois par le président TANDJA, lui ça fait 10 ans qu’il est au pouvoir il n’a jamais reçu le chef de file de l’opposition. il y’a des questions à se poser sur ce comportement. Puis il a trouvé un pays construit par le président TANDJA entre autres avec beaucoup de ressources et de partenaires. Eh bien toutes ces ressources dont il a hérité quelle destination ont-elles prises ? Pourtant beaucoup de nigériens avaient nourri de manière démesurée l’espoir que le président Issoufou allait changer le Niger. Au bout de dix ans à quelques mois de la fin de son règne on peut faire un bilan. La renaissance elle s’est traduite par quoi ? Des choix politiques, des choix économiques mais est ce que se sont les meilleurs choix pour le Niger ? En quoi s’est traduite la renaissance culturelle ? A mon avis à pas grand chose .Moi personnellement je n’ai pas vu grand chose sinon des choses totalement négatives. C’est une gestion un peu familiale, cela a peut être existé avant mais cette fois on a atteint le summum. Une impunité absolue, parce que vous prenez tous les scandales qui ont été mis sur la table quasiment personne n’a payé. Par exemple le cas du ministère de la défense où des milliards ont pris des destinations, malheureusement c’est le Niger qui a perdu. Donc il y’a eu des détournements considérables des biens de l’Etat. Il y’a aussi des réalisations douteuses. Quand bien même on dit qu’on a fait une route est ce qu’elle a été faite là où il fallait ? Puis combien elle a couté ? Sans compter la surfacturation des ouvrages. Regardez le chemin de fer à quoi il sert ? Il n’a aucun intérêt et il devait être fait là où il devait servir. Regardez aussi au Burkina on a construit une université à 30 milliards, au Niger on utilise 25 milliards pour construire des bureaux. Donc il y’a un manque de vision, c’est mon point de vue personnel, le président Issoufou n’a pas eu la vision d’un homme du 21ieme siècle, parce que si on a négligé l’éducation, si la santé est à deux poids deux mesures. Par ailleurs la justice est aux ordres. Je pense que ce sont dix années de régression démocratique, de régression économique, de régression en termes de choix pour construire un pays. Quand on n’a pas de vision on pense que ce qu’on fait est bien. Pourtant avec le président Issoufou en terme de richesses on a jamais été aussi riche mais ça fait dix ans qu’on est dernier de la planète, comment vous le justifié ? Une étude de l’UEMOA sortit en juillet dernier a dit que le Niger est le pays le plus pauvre de l’UEMOA. Avec tout ce qu’on a avec une vision on serait ailleurs. Il y’a des pays qui ont beaucoup moins et ils s’en sortent nettement mieux. Pire, qu’on soit surendetté et qu’on soit dernier, je pense que les dix ans du président Issoufou n’ont bénéficié qu’à une toute petite poignée de nigériens et son entourage politique.

Vous parlez d’impunité, durant le régime Tandja au moins quelques ministres ont été emprisonnés pour leur implication dans des détournements, comment expliquer que présentement des milliards ont disparus mais personnes ne répond devant les tribunaux ?

Journal Seeda : de Diori à Issoufou, quel est selon vous, le chef d’Etat qui a le mieux su gérer deux des dossiers les plus sensibles, l’Uranium et le contexte sécuritaire ?

PhD M. DJIBO : Vous savez puisque vous parlez de contexte, chaque situation intervient dans un contexte particulier, ce ne sont jamais les mêmes conditions de température et de pression donc sa ne peut pas être les même réalités ni les mêmes situations. Le président Issoufou s’est retrouvé dans une situation où le pays est en guerre sur deux fronts EST et OUEST. Aucun dirigeant nigérien n’a été confronté à une telle situation. Cela compromet toute action de développement et déstabilise aussi bien le pays que le régime. Le président Tandja a connu des rebellions qu’il a su gérer et les rebelles sont rentrés dans les rangs même si il y’a eu des privilèges. Aujourd’hui c’est la guerre et une guerre asymétrique avec des gens qu’on ne voit pas, c’est une nébuleuse, des gens qui ont des agendas qu’on ne connait pas, qui cherchent à se créer des espaces de pouvoir et des espaces économiques que personne ne maitrise. Sans noter la complicité de beaucoup de prétendus amis du Niger l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Burkina de Blaise COMPAORE, la France et même l’Algérie.

Pr Issoufou YAHAYA : De manière indéniable pour moi c’est le président Tandja. A son temps quand le Niger a connu la rébellion il a opté pour faire face frontalement. Ce qui n’était pas à priori la meilleure solution mais à la fin il a pu déboucher sur la paix. Pour moi, il a fait mieux que les autres en matant une rébellion. Concernant l’uranium, le président Diori a essayé il fut renversé. Le président Kountché vers 1985 quand le Niger a commencé à connaitre une morosité économique a même dit qu’il était prêt à vendre l’uranium au diable. Malheureusement sa maladie a gagné du terrain il n’a pas pu faire grand-chose. Mais le président Tandja a été capable de faire venir le président français Nicolas SARKOZY à Niamey. En matière de relations internationales, vous ne pouvez pas concevoir ce que cela représente comme prouesse de montrer qu’on a des positions et qu’on reste sur sa position parce que on a l’avantage d’avoir la matière première. Le président Tandja était conscient que les français voulaient notre uranium et bien s’ils voulaient c’étaient à eux de faire le premier pas. Le président Tandja a revalorisé le prix de l’uranium je pense qu’il faut le lui reconnaitre. Maintenant il est parti sur un coup d’état et tout ce qui a été convenu avec lui a été remis en cause par la transition et le régime qui a suivi. Journal Seeda : Les nigériens ressentent-ils les retombées du Pétrole ?

Pr Issoufou YAHAYA : Quelques nigériens. Vous pouvez demander à Mr Foumakoye GADO il vous dira ce qu’ils ont fait des dix mille milliards parce que il y’a une opacité. Quand ce régime est arrivé au pouvoir tout le monde sait à combien on vendait le litre d’essence, aujourd’hui c’est le même prix. Le nigérien en dépit de toutes les difficultés l’achète. Les retombées n’ont véritablement pas servit le peuple car c’est une richesse nationale mais qui est captée par un groupuscule d’individus qui pensent que le Niger finalement ils l’ont plus ou moins gagné sur un coup de dé à la faveur des élections. Donc pour moi il y’a un partage inégalitaire des richesses et peut être que les nouvelles autorités qui seront issues des prochaines élections vont mieux servir le Niger qu’il n’a été servit ces dix dernières années. Je pense que si on doit faire le bilan de ces dix dernières années, le Niger n’a pas gagné beaucoup mais certains individus ont gagné le jackpot.

Propos recueillis par
Abdoul Karim Alpha GADO
Mahamane Moumouni

Source : SEEDA - Mensuel nigérien d’informations générales