Bazoum Mohamed est-il réellement capable de matérialiser le changement de gouvernance auquel aspirent les Nigériens ? C’est la question qui est au centre du débat public. Et pour cause, après près de 100 jours, le bilan de Bazoum Mohamed à la tête de l’Etat est plus que mitigé. Il a certes collectionné les coups d’éclat en opérant des changements dans les façons de faire de son prédécesseur et mentor. Il a ainsi allégé le dispositif sécuritaire lors de ses déplacements, supprimé les postes de directeur de Cabinet dans les ministères, réduit le nombre de portefeuilles ministériels. Récemment, il aurait rejeté la facture de 40 millions proposé pour un seul jalonnement lors de ses déplacements. Tous ces actes lui valent, certes, la sympathie d’un grand nombre de ses compatriotes, mais ils restent nettement en deçà des attentes populaires. Ce sont, estime-t-on, des actes sans véritable enjeu. Au terme des 100 jours de magistère qui, habituellement, sont l’occasion d’un bilan primaire pour les présidents au Niger, la déception risque d’être au rendezvous. 100 jours, ce n’est probablement pas assez pour juger un gouvernement, mais ils sont plus que suffisants pour percevoir sa volonté de rupture d’avec son prédécesseur. Volonté de rupture ? Il n’y a pas, pour les Nigériens, de raison réelle de s’y attendre. Si là résident leurs plus grandes aspirations, Bazoum, lui, a promis et chanté, tout au long de sa campagne électorale, la continuité. Pourtant, par ses premiers pas, Bazoum a su susciter chez ses compatriotes, l’espoir d’un changement dans la gouvernance.

Tout ce qu’il a entrepris à ce jour tranche d’avec la continuité

La situation est assez cocasse. Voici un chef d’Etat qui a promis la continuité, mais dont il est attendu l’amorce d’un changement de paradigme dans la gouvernance. C’est lui qui en est le responsable. S’il était resté fidèle à sa ligne politique en mettant les pieds dans les souliers étroits de son prédécesseur, personne ne s’attendrait à grand-chose de sa part. Peut-être, oui, dans le pire. Mais, certainement, pas dans la perspective d’un lendemain meilleur. En initiant un certain nombre de mesures qui le distinguent d’Issoufou Mahamadou, voué aux gémonies, Bazoum Mohamed a compliqué la lecture de ses desseins véritables. Et de plus en plus, de voix s’élèvent pour soutenir qu’il ne pensait pas un traître mot de son engagement à assurer la continuité. Tout ce qu’il a entrepris à ce jour tranche d’avec la continuité. Si, légitimement, il peut se targuer d’avoir pris des résolutions qui forcent l’admiration de ses compatriotes. Là réside justement le problème. C’est un véritable couteau à double tranchant. Car, notent des observateurs, si Bazoum n’est pas sincère dans ce qu’il a posé comme actes jusqu’ici, il risque gros. Son petit jeu sera rapidement découvert et il donnera raison à ceux qui considèrent ses actes théâtraux et sans lendemain.

Bazoum Mohamed à la tête de l’Etat ? A ce jour, rien que des intentions et des petits coups sans enjeu

Le bilan des 100 jours de Bazoum sera très laborieux à concocter. Rien de sérieux dans les domaines et secteurs d’activités qui sont en général pris en compte. L’impatience et la déception pointent déjà au rendez- vous. Bazoum Mohamed à la tête de l’Etat ? Rien que des intentions ! Ainsi, sur le plan sécuritaire, le Niger continue de subir des attaques meurtrières et d’innombrables personnes fuient leurs villages sur les menaces d’hommes armés dits djihadistes. L’armée nigérienne, sans grands moyens aériens, est confrontée à une mission difficile sans la maîtrise aérienne. Si, notamment à propos de l’Anzourou, il reste que c’est encore loin des aspirations des Nigériens qui attendent des autorités qu’elles fassent plus et mieux, dans un changement radical de politique. Récemment, la résidence du président de l’Assemblée nationale, Seïni Oumarou, a fait l’objet d’une attaque armée nocturne au cours de laquelle un garde a été tué et un autre, grièvement blessé. La sécurité intérieure est passée au premier rang des préoccupations et des priorités des Nigériens. Le gouvernement de Bazoum est impatiemment attendu sur la question au terme des 100 Jours. Et la sentence risque d’être quelque peu sévère.

Au plan social et économique, Bazoum est attendu fermement

Au plan social et économique, Bazoum Mohamed n’a encore rien entrepris de tangible et de sérieux. Depuis 2018, le gouvernement nigérien met en oeuvre une loi de finances antisociale dont l’impact sur le niveau de vie des Nigériens est sans précédent tandis qu’elle fait la part belle aux sociétés étrangères. L’allègement de ces mesures particulièrement contestées qui ont provoqué de grands remous sociaux est pour quand ? Nul ne le sait et Bazoum n’a rien dit à ce propos. La continuité ? Bien sûr, disent certains. Les perspectives économiques ne sont pas non plus heureuses. Bazoum a bien promis une lutte sans merci contre la corruption et les infractions assimilées. Mais, visiblement, il bute déjà contre un obstacle de taille. Son prédécesseur est cité dans une affaire d’acquisition d’un terrain appartenant à la société nationale des transports nigériens (Sntn), une société d’Etat. Un cas puni par l’article 52 de la Constitution puisque ladite acquisition est intervenue alors qu’Issoufou Mahamadou était au pouvoir.

Au plan politique, les prisonniers politiques enlèvent tout crédit aux intentions du Président Bazoum Mohamed

Quant au plan politique, la situation est encore plus critique. C’est sur ce terrain, estiment certains, que Bazoum Mohamed trahit ses véritables desseins. Pour nombre de Nigériens, si Bazoum semble s’accommoder de l’existence de prisonniers politiques dont certains ont été arrêtés récemment, c’est parce qu’il se retrouve dans cette façon de faire. En tout cas, il s’y complaît et ne semble nullement pressé d’y mettre un terme. Des dizaines de personnes, adversaires politiques, acteurs de la société civile et militaires mis à l’arrêt sur des bases plus que troublantes, croupissent dans de nombreuses prisons sans le moindre jugement. Le bilan des 100 jours de Bazoum Mohamed sera sans doute fait d’intentions qu’il aura du mal à matérialiser. Quoi qu’il en soit, l’impatience des Nigériens est à ses portes et il sait qu’il n’a qu’un choix : clarifier rapidement ses choix de gouvernance.

YAOU