Lettre au président de la République (BM) Monsieur le Président Soyez comme ces Français qui, sous la houlette du Général De Gaule, ont demandé, en 1966, aux forces armées américaines de partir de France où elles étaient stationnées depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

J’ai appris que vous étiez en Turquie, en visite de travail et que la question essentielle qui vous y a conduit est liée à la recherche de moyens de guerre modernes de qualité pour les Forces armées nigériennes. Je vous en félicite et vous encourage à aller vite dans cette voie qui, quoi que disent certains, est le pré requis d’une armée que l’on veut forte et efficace. Cela, bien entendu, ne suffit pas et chacun de nous le perçoit aisément. Cependant, c’est une condition à remplir et l’on ne peut que vous soutenir, vous accompagner dans cette voie pleine de mérites. J’ai entendu des critiques acerbes contre vous à ce propos, mais je puis vous dire qu’elles résultent d’un malentendu consécutif de la politique sécuritaire et des pratiques qui ont prévalu jusqu’ici. Votre démarche, je le comprends, doit être entendue comme l’expression d’une volonté, la vôtre, de changer de registre par rapport à l’autre, votre prédécesseur. Aucun Nigérien peut être contre une initiative visant à doter les Forces armées nationales de matériels et d’équipements militaires modernes et de qualité. Je vous encourage dans cette voie et vous demanderai par ailleurs de solliciter de vos partenaires turcs de raccourcir au maximum les délais de livraison des drones de surveillance, hélicoptères de combat, avions de chasse, véhicules blindés, systèmes de radar, de reconnaissance, missiles et rockets que vous entendez acquérir pour les Forces armées nigériennes.

Je puis également vous dire que ceux qui ont formulé des critiques à votre encontre dans le cadre de cette visite en Turquie ne contestent pas fondamentalement l’idée que le chef suprême des armées ait décidé l’acquisition d’armements modernes de qualité. Ils doutent plutôt de la sincérité du projet, de la solidité de votre volonté à aller jusqu’au bout de cette logique qui présente un avantage essentiel, celui de rétablir la toute puissance de l’État dans un domaine où l’immixtion d’intermédiaires non étatiques conduit à la catastrophe. Si des compatriotes ont émis des doutes quant à la sincérité de votre projet, c’est parce qu’on a vu faire marche-arrière sur d’autres questions où vous avez pourtant martelé votre volonté d’aller jusqu’au bout. Dès lors, le risque de vous voir embourbé dans une situation similaire comme celle de la lutte contre la corruption est vivace dans les esprits. Et puis, entre nous, c’est bien sous votre magistère que le dossier des fonds de l’armée détournés a connu le fâcheux épilogue matérialisé par un désistement de l’État à se constituer partie civile. Or, vous connaissez bien l’extrême gravité de ce dossier et les tortuosités imaginées pour le vider de son essence au bénéfice des mis en cause. Il est bien vrai qu’en termes de logique, un tel épilogue n’était pas si surprenant sous votre gouvernance puisque, face aux étudiants de l’université Abdou Moumouni de Niamey, vous aviez déclaré, en tant que candidat à l’élection présidentielle (déjà !) que l’ancien ministre de la Défense nationale, Issoufou Katambé, qui ne trouvait aucune excuse possible aux auteurs et complices de l’affaire, n’avait pas dit la vérité. Et qui ne dit pas la vérité ne peut que mentir.

Monsieur le “Président”

Vous comprenez sans doute que vos compatriotes doutent quelque peu de votre affaire. Chat échaudé craint l’eau froide, dit-on. Ils ont peur de vous voir dans un faire semblant, ce qui encore plus préjudiciable que l’absence de volonté. Le faire-semblant, c’est la crainte de ceux qui ont critiqué avec véhémence votre mission en Turquie dans cette perspective redoutable : aller en Turquie, faire le plein de bruits là-dessus, c’està- dire en mettre plein les yeux et les oreilles aux Nigériens et puis, plus rien. Pour vous résumer la situation, vos compatriotes approuvent votre démarche, mais émettent des doutes et des réserves. Ceux-là préfèrent attendre de voir pour juger. En revanche, moi, je vous accorde le bénéfice du doute, étant entendu que si vous avez fait le déplacement de Turquie uniquement pour amuser la galerie, on ne manquera pas de le savoir bientôt. Pour le moment, et sur la base des informations dont je dispose, vous êtes en droit d’attendre de vos compatriotes le soutien nécessaire.

Mon avis est que vous méritez sur ce sujet un soutien des plus fermes et je voudrais bien saisir l’opportunité de cette lettre pour dire que vous avez déjà assez à faire pour y arriver. Je sais, par expérience, qu’il y a des forces centrifuges qui ne sont pas d’accord avec vous sur l’option turque et que, si vous êtes sincère, il vous a fallu leur livrer un combat acharné. Peut-être que vous n’avez encore remporté que la première manche et que vos adversaires attendent d’avoir une opportunité pour prendre leur revanche. Je connais assez bien leur hostilité à la voie tracée. Si vous êtes véridique, ils ne peuvent vous laisser agir à votre guise que lorsqu’ils ne peuvent plus rien entreprendre pour l’empêcher. J’espère, pour le Niger, que ceux qui ne croient pas en votre sincérité sur ce registre précis seront obligés, dans quelque temps, de reconnaître leur erreur d’appréciation.

Monsieur le “Président”,

On ne joue pas avec le feu. La sécurité et la défense du Niger n’ont pas de prix. Vous avez bien vu que face à la crise russo-ukrainienne, que les Européens songent désormais à une politique autonome de défense. Pourquoi devonsnous, nous autres, sous-traiter notre défense ? Pourquoi est-ce à la France ou à une autre puissance militaire, d’assurer notre sécurité ? L’assistance militaire étrangère, vous avez pu le vérifier au regard de l’expérience ukrainienne, ne sert pas à grand-chose. Elle ne sert que les intérêts de l’armée occupante.

La cohabitation entre armée nationale et armées étrangères n’est jamais facile, pour ne pas dire préjudiciable à la première. Les armées étrangères, au Niger, ne servent que les intérêts de leurs pays. Elles ne nous servent à rien et vous le savez mieux que moi. Doter les Forces armées nationales de moyens modernes est, certes, un mérite essentiel. Mais, ce n’est pas tout. Car, encore faut-il qu’elles disposent d’une liberté de mouvement totale sur le territoire national, un contrôle sans limites sur les 1 267 000 km2 de superficie et une capacité de manoeuvres militaires appropriées. Un Etat ne peut pas exister dans un autre État. Prenez vos responsabilités de chef suprême des armées et assumez-vous en renvoyant toutes les forces militaires étrangères chez elles. Encore une fois, elles ne nous servent à rien, pratiquement.

Monsieur le “Président”

Soyez comme ces Français qui, sous la houlette du Général De Gaule, ont demandé, en 1966, aux forces armées américaines de partir de France où elles étaient stationnées depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Souvenez- vous surtout que lorsque Washington demanda la faveur de rester encore deux années supplémentaires, Paris a catégoriquement rejeté la requête des Etats- Unis d’Amérique. Pourquoi devons- nous, nous, maintenir la présence de forces militaires étrangères qui ne nous servent strictement à rien ? Pourquoi devonsnous persister dans cette voie suicidaire alors que l’expérience des autres est suffisamment édifiante pour tomber dans les mêmes travers ? Si vous êtes en mesure de croire en des terroristes au point de les élargir de prison au nom de la paix, vous devez croire en l’armée nigérienne, le premier garant de la paix au Niger.

Mallami Boucar