Longtemps présenté comme une possibilité sérieuse, mais formellement démenti par les autorités nigériennes, l’accord secret de coopération entre l’Italie et le Niger dans le domaine militaire est devenu indiscutable. Le contenu de l’accord a été connu grâce à la pression exercée par des organisations de la société civile, notamment la Coalition italienne pour les libertés et les droits civils, qui ont saisi la justice aux fins de contraindre le gouvernement italien à rendre public l’accord signé avec le gouvernement nigérien. Après 14 mois de bataille judiciaire, le Tribunal a ordonné au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de produire le texte de cet accord au plus tard le 16 décembre 2018. Selon une de nos sources crédibles qui a confié au Courrier avoir obtenu copie, l’accord secret a été signé à Rome par les deux parties, représentées par Roberta Pinotti et Kalla Moutari, le 26 septembre 2017. L’accord, qui comporterait huit articles, souligne en préambule que les gouvernements nigérien et italien ont décidé de renforcer la coopération entre les ministères de la Défense respectifs, sur la base d’une évaluation partagée selon laquelle la coopération mutuelle dans le domaine de la défense renforcera les relations existantes entre les parties. Ecrit en italien, le document original prévoit des consultations régulières en vue d’élaborer et d’approuver, par consentement bilatéral, tout accord spécifique visant à compléter le présent accord, ainsi que tout programme de coopération entre les forces armées italiennes et nigériennes. Si cela n’a pas été dit officiellement à l’occasion du séjour du président du Conseil italien à Niamey, en janvier 2019, il est toutefois plausible que ce soit dans le cadre desdites consultations. Les champs couverts par cet accord de défense seraient si étendus qu’il laisse l’opportunité aux deux parties, à tout moment, de proposer un accord secondaire portant sur des questions de préoccupation précise.
« Le Niger n’est pas satisfait d’avec la coopération militaire avec la France et les Etats Unis »
À en croire notre source qui dit ne pas être en mesure de faire publier ledit accord, frappé du sceau « Top secret », les champs de coopération concernés par le document confirment à posteriori les plaintes de Niamey à propos de la coopération militaire avec la France et les Etats Unis. En 2018, le ministre de la Défense, Kalla Moutari, révélait à Jeune Afrique que les autorités nigériennes ne sont pas satisfaites de la coopération avec les troupes française et américaine déployées dans le pays. Une façon de dire, sans le dire, qu’ils ont décidé d’aller voir ailleurs. Mais les propos de Kalla Moutari resteront de simples velléités puisque les autorités nigériennes, manifestement prises entre le marteau et l’enclume, ont continuellement démenti l’existence de tout accord militaire avec l’Italie. Cette façon peu orthodoxe dans le domaine diplomatique de se défiler face à ses responsabilités a dû être l’élément déclencheur de la propagande italienne visant à ébruiter, par le biais des médias, les dessous des cartes. Subtilement, mais avec beaucoup de résolution, les autorités italiennes ont maintenu la pression sur les autorités de Niamey. La presse italienne n’a pas particulièrement chômé durant cette période, les premiers responsables italiens ayant confié, sans prendre de gants, que c’est la France qui bloque l’installation de leur armée en sol nigérien.
Les officiels italiens affirment, les autorités nigériennes démentent et pourtant l’accord existe
En début d’année 2018, les médias italiens ont rapporté que l’armée italienne, à l’instar de ses homologues française, américaine et allemande, siégera au Niger pour y assister les Forces de défense et de sécurité dans la lutte contre le terrorisme. À la clé, le pays de Mussolini fait la promesse de concéder au Niger 40% de son aide globale destinée à toute l’Afrique. En sus des 32 milliards de FCFA que les autorités nigériennes ont empochés depuis juin 2017, soit trois mois avant la signature de l’accord secret, à Rome. Tandis que les officiels italiens déclarent à qui veut l’entendre que l’armée italienne, avec 470 soldats, s’installera au Niger, « à la demande du gouvernement nigérien », précise Agelino Alfano, le ministre des Affaires étrangères italien, au sommet de l’État nigérien, l’on s’ingénie à nier ce que l’Italie clame haut et fort. A l’époque, le ministre de la Défense nationale, Kalla Moutari, avait déployé une folle énergie à démentir ce qui est plus que vrai, allant jusqu’à demander à des médias de rectifier l’information qu’ils ont donnée à ce propos. D’autres membres du gouvernement nigérien ont confié à RFI, sous anonymat, qu’ils n’ont été, ni consultés ni informés. « Nous étions surpris », a confié, le 26 janvier 2018, un membre du gouvernement nigérien à RFI. Une autre source, a indiqué, toujours à RFI, que le Niger n’est pas d’accord pour accueillir cette force. « Nous avons indiqué aux Italiens, précise ladite source, par le biais de notre ministre des Affaires étrangères, que nous ne sommes pas d’accord ». Et pourtant…
Devant le président du Conseil italien, le Président Issoufou aborde le sujet sans toutefois évoquer l’accord secret
En novembre 2018, dans un article fort documenté, un journal italien revient sur la question en faisant le rappel historique de cette scabreuse affaire ainsi que les enjeux éventuels. Une perspective qui ne peut qu’embarrasser les autorités nigériennes qui avaient régulièrement dégagé en touche, affirmant et répétant qu’il est totalement faux qu’elles aient signé un accord dans ce sens avec l’Italie. Même la visite, presque surprise, du président du Conseil italien, le mardi 16 janvier 2019, n’avait pas permis de délier les langues du côté du gouvernement nigérien. Si le Président Issoufou n’avait pu éluder totalement la question, il avait toutefois été assez virtuose pour dire les choses sans faire la moindre allusion à l’existence de cet accord. « J’ai profité de la présente visite pour échanger avec le président du Conseil sur des préoccupations qui nous sont communes, préoccupations relatives notamment aux questions de sécurité, de lutte contre le terrorisme, les organisations criminelles (trafiquants de drogues, des migrants) », avait déclaré le Président Issoufou. S’il est aisé d’imaginer qu’il en avait largement discuté avec son hôte, Mahamadou Issoufou n’avait, cependant, nulle part, évoqué l’accord de coopération militaire signé le 26 septembre 2017. « J’ai également évoqué avec le président du Conseil italien des questions de coopération bilatérale sur le plan économique avec les interventions dudit pays dans les secteurs qui sont prioritaires pour le Niger, notamment les infrastructures, le développement rural, l’Education, la santé, et l’accès à l’eau pour les populations », avait expliqué le chef de l’Etat. Le Président Issoufou avait pourtant effleuré le sujet, exprimant son souhait de voir l’Italie renforcer sa coopération avec le Niger en matière de formation, d’équipement des Forces de défense et de sécurité, des aspects explicitement pris en compte dans l’accord secret.
Devenu un sujet central de désaccord entre la France et l’Italie, avec des autorités nigériennes embarrassées et prises entre le marteau et l’enclume, l’accord de défense secret nigéro-italien a fini par déborder et déteindre sur la question de l’immigration. Une crise dans la résolution de laquelle l’Italie avait l’impression qu’on lui demandait de faire plus qu’elle ne devait par rapport à des pays comme la France qu’elle accuse ouvertement d’être la cause profonde et réelle de l’immigration clandestine subsaharienne. Dès le début des attaques outrancières des autorités italiennes contre la France, nombre d’observateurs avaient relevé que la source et la motivation de ces attaques se trouvaient dans l’opposition supposée de la France contre toute installation de militaires italiens au Niger.
Laboukoye