Il est établi que l’Italie a dû verser beaucoup d’argent aux autorités nigériennes pour obtenir le droit de stationnement militaire au Niger. Mais, aujourd’hui, encore, des sources crédibles au ministère de la Défense indiquent qu’il n’y a, nulle part, trace des montants d’argent que l’Italie a déclaré avoir versés au Niger. En juin 2017 déjà, ce pays a accordé au gouvernement nigérien 32 milliards de FCFA pour faire face à la sécurité de ses frontières. Toutes ces informations ont été corroborées et confirmées par le ministre italien des Affaires étrangères à l’issue de sa rencontre, le 3 janvier 2018, avec le Président Issoufou Mahamadou, à Niamey. Les autorités nigériennes ne l’ont jamais fait savoir. Et pour cause ? Au sommet de l’Etat, l’on s’ingéniait à nier ce que l’Italie clame haut et fort. Le ministre de la Défense nationale nigérienne de l’époque, Kalla Moutari, avait déployé ainsi une folle énergie à démentir ce qui est plus que vrai, allant jusqu’à demander à des médias de rectifier l’information qu’ils avaient donnée à ce propos, sans quoi ils seraient poursuivis en justice. Pour Kalla Moutari, il s’agirait de fausses informations.
En plus des 32 milliards de francs CFA encaissés en juin 2017 mais jamais rendus publics, l’Italie a également promis, le 14 décembre 2017, lors de la Table ronde de Paris, 100 millions d’euros, soit près de 70 milliards de francs CFA. Des sommes d’argent dont on ne trouve nulle part, trace. Survenus dans un contexte où les ressources budgétaires destinées à l’armement des Forces armées nationales (Fan) avaient pris d’autres destinations, l’omerta totale observée autour de ces versements d’argent italiens suscite de grosses interrogations sur ce que le séjour de Kalla Moutari à la Défense a pu être en termes de «wassosso».
La lutte contre l’insécurité, un business fructueux
L’argent serait-il l’argument qui a servi à rendre si serviles les autorités nigériennes pour accepter tant de bases militaires ? S’il n’y a pas d’informations concordantes pour toutes les autres, la coopération militaire avec l’Italie, elle, a été sous-tendue par beaucoup d’argent versé par les autorités italiennes à celles du Niger. La révélation en a été faite par le Premier ministre italien, Paolo Gentiloni. Des versements que Niamey n’a pas rendus publics. De peur de s’exposer à la colère de l’Elysée qui ne voulait pas de cette installation militaire italienne ?
Pas uniquement puisque, entre 2017 et 2019, période du séjour de Kalla Moutari, le contexte se prêtait plutôt aux détournements des fonds publics. Un Kalla Moutari, bien avant le rapport d’audit, qui a été accusé d’être uniquement intéressé par l’octroi de marchés relatifs à l’achat de véhicules 4X4 dont il tire de grosses commissions.
Outre les montants que les autorités italiennes ont déclaré avoir versés au gouvernement nigérien, le ministre italien des Affaires étrangères, Angelino Alfano, après un entretien avec l’ancien président, Issoufou Mahamadou, à l’occasion de l’inauguration de l’ambassade italienne à Niamey, a annoncé que 40% de l’enveloppe globale des aides italiennes pour l’Afrique seront désormais consacrés exclusivement au Niger.
Kalla Moutari, le dinosaure
Si l’affaire du ministère de la Défense, ce scandale financier qui a coûté à l’État nigérien bien plus que des dizaines, voire des centaines de milliards, n’a pas encore connu d’épilogue judiciaire digne du nom, c’est bien la chance, inouïe, de Kalla Moutari, dont la gestion est celle qui a été mise en cause par l’audit réalisé sous Issoufou Katambé. À la tête du ministère de la Défense entre 2017 et 2019, Kalla, ne serait pas inquiété que par ce rapport d’audit explosif dont le contenu a fait frémir d’effroi les Nigériens. Il était également le ministre qui avait signé l’accord secret de coopération militaire avec l’Italie. Un accord dont il a longtemps nié l’existence, se permettant même le luxe de menacer les journalistes qui en feraient allusion, car non fondé selon lui.
La fuite en avant de Kalla Moutari était autant motivée par la peur de la réaction française, qui continuait, à l’époque, à dresser des barrières sur la matérialisation dudit accord, que par les montants faramineux déjà encaissés par Niamey, de l’avis des autorités italiennes. Les officiels italiens avaient longtemps déclaré à qui voulait le savoir que l’armée italienne, avec 470 soldats, s’installerait au Niger. « À la demande du gouvernement nigérien », précisent- ils. Angelino Alfano, le ministre des Affaires étrangères italien, a d’ailleurs annoncé que 40% de l’affectation globale des aides italiennes pour l’Afrique seront consacrées exclusivement au Niger. « Pour améliorer l’état de la collaboration » (sic !), a-t-il précisé à l’époque.
Le Président Bazoum ne savait pas ou jouait-il simplement sa partition?
L’accord de coopération militaire a été signé à Rome, en Italie, en septembre 2017. Pourtant, jusqu’en 2018, le gouvernement nigérien continuera de nier le fait. Réagissant à une information de la presse italienne faisant cas de l’envoi de militaires italiens au Niger, le président de la République actuel, à l’époque ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Bazoum Mohamed, a démenti l’information, allant jusqu’à prétendre que la mission était «inconcevable ». En Italie, on ne comprenait pas l’attitude, plus qu’ambigüe du gouvernement nigérien. C’est de façon officielle que le président du Conseil italien, Paolo Gentiloni, avait annoncé, en décembre 2017, que les gouvernements italien et nigérien avaient signé une convention au terme de laquelle l’Italie s’engageait à déployer au Niger un premier contingent d’environ 150 militaires et à terme, 470 soldats.
Malgré la publication, par la presse italienne, de deux lettres — le 1er novembre 2017 et le 15 janvier 2018 — que Kalla Moutari a adressées à son homologue italienne, Roberta Pinotti, et par lesquelles le Niger demandait une intervention militaire à l’Italie, les officiels nigériens ont persisté dans le démenti. Sur RFI, Bazoum Mohamed a nié tout contact entre Rome et Niamey à ce sujet, déclarant avoir appris la nouvelle de l’envoi de militaires italiens «par les médias». « Nous n’avons jamais adressé de telles lettres à l’Italie. Cela ne relève pas tout à fait de la réalité », a-til martelé, non sans avoir souligné le refus définitif de son pays d’accepter une mission militaire italienne sur son territoire.
Courroucée par cette fuite en avant des autorités nigériennes, l’Italie décida alors de prendre le taureau par les cornes. Elle révèle tout et s’attaque ouvertement à la France qu’elle voyait derrière les tergiversations des autorités nigériennes. Ce qui était, au départ, une guéguerre diplomatique tourne carrément à la crise diplomatique, Rome ne se munissant pas particulièrement de gants pour dénoncer la politique « honteuse » de la France en Afrique. Kalla Moutari, lui, pouvait se frotter les mains. Non seulement, il n’avait plus rien à justifier, mais le pôle de la crise avait changé aussi.
Désormais, c’était une confrontation franco-italienne et les autorités nigériennes n’avaient plus rien à faire que d’attendre l’issue du bras de fer. Un bras de fer qui avait rapidement tourné à l’avantage de l’Italie.
Laboukoye