Une fois encore, la fête qui consacre la fin du jeûne – le Ramadan – a révélé le même Niger qu’on a connu depuis 2011, un Niger en deux versions, antagoniques, presque irréconciliable, et ce depuis que les socialistes prenaient le pouvoir. Le protocole d’Etat, annonçait la veille, l’ordre de préséance de l’arrivée des personnalités du pays au lieu officiel de la prière de l’Eid. A entendre le programme de la cérémonie, on aurait cru que l’on parle d’un pays normal où tout se passe selon les convenances. Mais il n’en est rien. On ne vit rien de ce qui a été annoncé le jour de la fête quand venaient et repartaient les officiels après la prière. Pour l’essentiel, on ne pouvait voir que les ténors du régime, l’ensemble des personnalités au pouvoir, pour tout dire des officiels qui viennent tous du camp du pouvoir. Donc, un camp, l’autre camp.
Des absences remarquées…
Alors qu’ils étaient annoncés, on ne vit pas les anciens présidents de la Républiques et des anciens chefs d’Etat, ni même certains anciens présidents d’Assemblée Nationale ou d’anciens premiers ministres. D’ancien, on ne vit que l’ancien président Issoufou Mahamadou qui pouvait sans doute être heureux de cette fête pour faire son apparition publique, lui qui aime tant les bains de foule. Mais cette fois-ci, il n’arrive là que sous le couvert d’ancien président, occupant les seconds rangs, lui qui aime tant l’exhibitionnisme, le m’as-tu vu comme dirait l’autre, pour se plastronner aux loges des événements. L’histoire commence déjà à le mettre au placard, quelque peu oublié, si ce n’est cette occasion qui lui donne la chance de réapparaitre en public. Il aime ça.
C’est une belle occasion pour se pardonner les uns et les autres. Une valeur essentielle du vivre-ensemble que des gens qui disent porter une foi sont incapables de porter en ce jour singulier pour donner sens à leur existence. Les paroles, et les discours autant que les prêches, ne trahissent jamais cette volonté de se rapprocher de l’autre, de le comprendre et de l’accepter dans sa différence, mais tout reste dans les mots, rien, dans les comportements ne peut démontrer cette disposition, somme toute trahie par ce que l’on voit tous les jours dans la gestion du pouvoir et dans les relations politiques exacerbées par quelques extrémismes et intolérances de la part d’acteurs qui n’apprécient le fait le politique qu’en fonction de leurs seuls intérêts.
Le mois de Ramadan, selon les principes de l’islam repose sur le pardon, sur l’effort de communion, sur le partage, le sens de la solidarité. Mais comment comprendre alors que le Niger prétend être à plus de 99% musulman, que les Nigériens ne soient pas capables de taire leurs ressentiments, de geler leurs incompréhensions pour aller à plus d’harmonie et d’entente, d’entente et de respect de l’autre ? On a même vu le premier ministre sortir la veille de la fête pour ses voeux de bonne fête à l’endroit de la communauté nationale, et les mots, comme toujours, sont doux et si gentils, mais, hélas, bien hypocrites, ainsi qu’on nous en habitués dans le pays. On peut lire sur ActuNiger, rapporté par l’ANP, l’Agence Nigérienne de Presse, que « Dans son intervention, le chef du gouvernement a rappelé qu’il y a un mois, à l’occasion du début du mois de Ramadan, il a invité à davantage d’unité et de solidarité eu égard au «contexte actuel dans lequel évolue notre pays, contexte marqué par des défis d’ordre sécuritaire, alimentaire et économique» ». Peut-on invité à « davantage d’unité et de solidarité », sans créer les conditions à cela, et surtout quand on prétend connaitre le contexte particulier que traverse le pays ? Dans la crise de confiance et les rancoeurs qui divisent, peut-on amener un peuple à communier quand on ne peut pas faire en sorte que se peuple se parle et qu’il fasse l’économie de ses malentendus, pour enfin se pardonner et accepter de repartir sur de nouvelles bases ? Il va sans dire que le discours seul ne saurait être un gage de volonté politique à aller à un idéal et qu’il faille, plus que ces mots peu crédibles, que le magistrat suprême ait l’audace de ce pas politique important qui, seul, peut faire baisser la tension et apaiser des coeurs souvent endoloris depuis des années qu’on ne se parle plus dans le pays. Et les hommes prétendent qu’ils ont une foi, et qu’ils prient pour Dieu et leur repentance, cinq fois par jour. Qui ne peut pas voir du faux-fuyant dans cette parole notamment quand le premier ministre dit que nous devrons « continuer à nous donner la main et ne tenir compte que des intérêts supérieurs de notre pays » ?
Peut-il dire aux Nigériens ce qu’a fait son gouvernement pour pousser les Nigériens à se tenir la main, à marcher ensemble, à oublier leurs rancunes, à panser les blessures dont ils souffrent depuis des années que leur socialisme est venu pour diviser, et souvent, pour opposer, et blesser des hommes dans dignité ?
Ce discours, ne convainc personne. On l’a, du reste entendu, mille et une fois. Ces mots ne viennent pas du coeur et on sait que ce PNDS, n’est jamais disposé à cette communion tant que le pays et le pouvoir devraient être gérés selon les convenances de celui qui en a la maitrise, Issoufou Mahamadou en l’occurrence. Les Nigériens peuvent avoir la faiblesse de croire que si cela ne dépendait que de Bazoum Mohamed qui ne voudrait pas avoir à gérer davantage de problèmes, sans doute l’on peut croire qu’il pourrait aller dans cette direction qui est, quoique diront les faucons, la voie de la grandeur lorsqu’on gère les hommes, lorsqu’on a la responsabilité de présider aux destinées des humains. Mais il semble, ainsi que s’en plaignent pour lui ses détracteurs, il ne gouvernerait que par procuration, la réalité du pouvoir, restant dans les mains de celui qui parodiait une passation de service et une alternance politique qui n’en est pas une en vérité.
Réussir à débaucher un Kiishin Kasa et son leader pour les rallier au pouvoir, est-ce donc ce que Ouhoumoudou Mahamadou appelle « aller à l’unité nationale » ? Non, il sait bien que cette unité dont il parle sans avoir le courage de son débat, est bien plus profonde et quelques colmatages de cet ordre ne peut aider à faire la suture d’une société nigérienne profondément fracturée. C’est peut-être trop demander à la Renaissance que de lui demander d’aller à un dialogue national ainsi que cela est de mode dans la sous-région pour juguler les crises socio-politiques qui ébranlent nos sociétés et met notre sous-région en état d’instabilité qui n’augure rien de rassurant pour son avenir. C’est à croire que les renaissants minimisent le problème nigérien, ne pouvant comprendre ses complexités pour oser la thérapie politique nécessaire afin de redonner confiance à un pays qui a appris depuis des années à douter et notamment de ses enfants, décidément incapables d’élévation pour mieux appréhender les problèmes qui les briment.
La fête du Ramadan, à travers la prière de l’Aïd rassemblant sur un même espace les fidèles, a une fois de plus révélé l’ampleur de toute la fracture qui traverse le pays, aujourd’hui considéré dans ses différences, et au travers de frontières abjectes sur lesquelles se fonde une gouvernance de la vengeance et de la rancune. L’on sait que c’est en victorieux qu’agissent ceux qui ont cru qu’ils sont si forts et peut-être plus intelligents à rabaisser d’autres Nigériens. Or, de telles manières de regarder une société, ne peuvent que renforcer ses malaises, dans le corps social autant que dans la durée.
Là se trouvaient les officiels pour la prière, et étaient absents les leaders de l’Opposition, et pas même d’anciens chefs d’Etat, pourtant vivants, ne pouvaient être aperçus sur le même lieu de rencontre avec Dieu. Comme quoi le Niger reste ce pays gravement divisé, incapable de se réconcilier avec lui-même, ses enfants ayant le coeur dur comme du roc ! La parole de l’Iman du jour, pouvait d’ailleurs être, face à un tel constat, un cri de coeur, pour appeler les Nigériens à ne considérer que l’essentiel, pour s’entendre sur un minimum qui sauve la Nation et la république. Mais les hommes n’entendent pas, ils ont le « coeur noir », alors qu’ils venaient de jeûner, vingt-neuf jours durant. Peut-être pour rien. Bien de sages, voient bien, les dénouements tragiques vers lesquels nos extrémismes poussent peu à peu le pays quand, chaque camp se laisse aller à ses positions rigides.
Cette fête a donc montré que le Niger est bien malade et qu’une telle situation ne donne pas trop de chance à Bazoum Mohamed. Les colères sont réelles et profondes dans le pays. Et le PNDS ne peut plus ruser avec. Il n’a plus qu’un choix : s’élever, et se mettre au-dessus de la mêlée. Ou sombrer.
Et ce n’est pas compliqué, car c’est bien le Niger et le Niger seul qui compte désormais, un Niger menacé par le terrorisme avec des pans envahis du territoire, et par l’intolérance politique. Mais aussi, pour cette année difficile, la faim.
La Renaissance n’a plus le loisir de la plaisanterie sur ces questions. Sa survie aussi en dépend. Ce n’est plus le temps de la rigolade.
Isak