À l’occasion de son récent séjour au Niger, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a mis le feu aux poudres. Outre sa déclaration fracassante sur le sous-équipement de l’armée nigérienne pour faire face au terrorisme et l’impératif que ce soit elle, d’abord et non des forces militaires étrangères, qui assure la sécurité du Niger, le patron de l’Onu a aussi mis le pied dans le plat. Lors du dîner qui lui a été offert et auquel le chef de file de l’opposition, Elhadj Tahirou Saidou, dit Parc 20, a été convié, Antonio Guterres a demandé, certainement à dessein, au Président Bazoum où se trouve Hama Amadou. Et sans attendre la réponse que pourrait donner Bazoum Mohamed à son hôte, le chef de file de l’opposition coupe net : « il est en prison ». « Il faut le libérer », a renchéri promptement Antonio Guterres à l’endroit du Président Bazoum. Il ne s’est pas contenté de le dire, il a argumenté en disant à son hôte que Hama Amadou n’est pas utile qu’au Niger, mais à toute l’Afrique. Peut-être, est-ce une des raisons essentielles de l’arrivée au Niger du patron de l’Onu qui a dû disposer, par ses canaux de l’antenne des Nations Unies au Niger, de tous les renseignements utiles sur la situation politique qui prévaut à Niamey ? Il faut de toute évidence décrisper le climat politique nigérien et Antonio Guterres joue à fond la carte. « N’écoutez pas surtout ceux qui vous disent de ne pas le faire », a ajouté Guterres. Une allusion sans doute à l’ancien président dont la position sur cette question est de notoriété publique.
Dans le rétroviseur, un certain Clément Voule
Antonio Guterres a-t-il agi ainsi par hasard ? Selon une source crédible, proche des Nations Unies, il ne s’agit pas d’une demande personnelle du patron de l’Onu. Antonio Guterres est porteur, dit-il, de la voix de son institution. Sorti de la bouche même du Secrétaire général des Nations Unies, un ancien diplomate nigérien a expliqué que c’est pratiquement une recommandation expresse à appliquer, pour ne pas dire une instruction à exécuter. Du 6 au 16 décembre 2021, au terme d’un séjour de 10 jours au Niger, le Secrétaire aux droits humains des Nations Unies, Clément Voule, a conclu dans un communiqué de presse rendu public que « le Niger n’est ni une république ni une démocratie ». Publié 48 heures avant la célébration du 63e anniversaire de la proclamation de la république, le communiqué du secrétaire aux droits humains des Nations Unies sonne comme un cinglant désaveu pour les autorités nigériennes et les voix extérieures qui louent en particulier la démocratie nigérienne. « Il est inquiétant de constater que depuis 2018, toute demande de manifestation visant à exprimer des points de vue opposés sur la façon dont le pays est gouverné ait été systématiquement interdite avec pour motifs la crise sécuritaire ou l’urgence sanitaire liée à la pandémie de COVID 19 », a notamment écrit Voule, non sans avoir souligné que ‘l’État a l’obligation d’assurer la jouissance des droits de réunion pacifique et d’association, même en temps de crise ». L’expert de l’ONU s’est notamment intéressé à la question des prisonniers politiques que Clément Voule convie les autorités nigériennes à libérer pour favoriser un climat social apaisé, l’indépendance de la justice qui doit être renforcée pour garantir la jouissance des libertés fondamentales et la consolidation de l’État de droit, la lutte contre la corruption et l’impunité qui est un défi devant être relevé de toute urgence afin de créer la confiance des citoyens dans leurs institutions et leurs dirigeants. Le rapporteur spécial de l’Onu avait promis son rapport intégral pour juin 2022. Bazoum Mohamed, désormais entre le marteau et l’enclume Quoi qu’il en soit, la demande du patron de l’Onu place le Président Bazoum entre le marteau et l’enclume.
Le moins qu’on puisse est que le président nigérien est fortement embarrassé. C’est un dossier dans lequel il n’est pas le seul à décider. Son prédécesseur, qui a inauguré cette pratique et l’a entretenue jusqu’à l’arrivée de son protégé, piquerait la colère de sa vie si Bazoum l’aborderait sur cette question. Aussi, se demande- t-on, entre la demande formulée par Guterres et les desiderata de son parrain et prédécesseur, auquel va-t-il obtempérer ? S’il ne peut manquer de respect à un hôte aussi important et puissant, Bazoum Mohamed est toutefois dans un dilemme cornélien car il ne peut, non plus, opposer un niet à Issoufou.
Comment tout cela va-t-il évoluer ? Si le Président Bazoum essaie tant bien que mal de prendre son pouvoir en mains afin de donner à la gouvernance les contours qu’il a dessinés lors de son investiture, son prédécesseur ne l’entend pas de cette oreille. Il devient d’ailleurs de plus en plus encombrant pour le Président Bazoum qui doit constamment souffrir de le voir dans sa zone de vérité. Si Guterres accentue sa demande en assurant le suivi régulier de sa requête de Niamey, ça va certainement donner au Président Bazoum une motivation supplémentaire pour décrisper le climat politique national en décidant de la libération de Hama Amadou et de tous les prisonniers politiques. Une perspective inadmissible pour Issoufou Mahamadou qui va sans doute tout faire pour brouiller les cartes.
Issoufou Mahamadou joue à mettre des bâtons dans les roues de Bazoum Mohamed
La demande du Secrétaire général des Nations Unies vient exacerber davantage les difficultés, de plus en plus inextricables, entre le Président Bazoum et son encombrant prédécesseur. La source ? L’ancien président ne s’est pas encore décidé à aller aux vestiaires pour laisser libre cours à son successeur de gouverner comme bon lui semble. Il est plus que présent dans la gouvernance, donnant ses avis sur des questions auxquelles, en principe, il n’a pas voix au chapitre. Pire, il prend un malin plaisir à gêner considérablement le président en exercice qui, au nom d’une reconnaissance suicidaire pour lui, s’ingénie à s’aplatir pratiquement devant lui. C’est le cas encore lors de la fête de ramadan où, après la prière à la grande mosquée de Niamey, Issoufou Mahamadou n’est pas retourné à sa résidence. Il est allé tout droit au palais de la présidence. C’est là, traditionnellement, que le chef de l’État reçoit les voeux de bonne fête des officiels. Et là, il n’est pas mis dans le rang, en tête, pour féliciter le président, il est allé se planter à sa droite, à peu près à un mètre de distance. Or, le protocole n’admet pas, dans les règles, quelqu’un d’autre à la droite du président. C’est en général, d’abord le Premier ministre, puis le président de l’Assemblée nationale et enfin le président de la République. La gêne du Président Bazoum était perceptible, mais il a dû boire le calice jusqu’à la lie.
Bazoum Mohamed risque fort de ne pas obtempérer à la demande du patron de l’Onu
Le pouvoir de Niamey a toujours été intransigeant sur la question de Hama Amadou. Et si Bazoum Mohamed, qui faisait partie des faucons du régime avant de mettre de l’eau dans son vin, une fois au pouvoir, a mis un peu de l’humain dans le traitement qui était réservé au célèbre opposant sous Issoufou, il n’est toutefois pas près de s’écarter de la ligne tracée. « Il est fort à parier », souligne un observateur avisé, que « le Président Bazoum ne donnera pas de suite à la demande du Secrétaire général des Nations Unies et qu’il va certainement chercher à ruser ». Histoire de gagner du temps et de faire tomber aux oubliettes la requête du patron de l’Onu. Or, si les Nations Unies s’en mêlent, c’est que l’épais brouillard qui cachait la nudité du régime nigérien s’est dissipé et qu’il y a lieu, pour le pouvoir de Niamey, de ne pas voguer à contre-courant.
Laboukoye