Le 20 avril 2022, l’État-major des Armées a radié 23 militaires du rang, dont 10 caporaux et 13 soldats de 1ère classe, officiellement pour faute grave contre le service ou contre la discipline. Dans les visas de la décision, un détail important : « vu les résultats des conseils d’enquête ». Une mention qui indique que la décision ayant frappé les 23 militaires a été prise conformément à ce que les conseils d’enquête ont retenu après appréciation des éléments d’information. Ces militaires radiés sont essentiellement recensés dans les rangs de la compagnie des fusiliers de l’air (Cfa).

Bien avant, donc, l’ouverture du procès hier, selon des sources judiciaires, un nombre important de militaires (hommes du rang, sous-officiers et officiers supérieurs) ont subi la foudre de décisions dont on s’interroge sur les fondements légaux en démocratie. Avant ces hommes du rang, six officiers supérieurs, dont deux colonels-majors et un lieutenant-colonel, ont aussi connu le même sort. Selon des sources judiciaires, le procès qui s’est ouvert, hier, est une simple formalité, tous les militaires incriminés étant d’ores et déjà condamnés quelque part. Pour certains, ils sont en prison depuis trois ans. Pour une tentative de coup d’État, qui est corroboré par des preuves accablantes contre les conjurés, le temps consacré à l’instruction paraît trop long. Contactées par nos soins, de nombreuses sources assurent qu’il n’y a pas grand-chose dans les dossiers de la plupart d’entre eux. Des simples écoutes téléphoniques, parfois, qui ne peuvent conduire à une mise en accusation conséquente pour atteinte à la sécurité de l’État.

Le conseil d’enquêtes n’ayant qu’un avis consultatif, ses résultats n’influent pas forcément sur les sentences des instances décisionnelles

Selon les mêmes sources judiciaires contactées, la loi portant statut du personnel militaire, promulgué le 3 décembre 2020, par l’ancien président de la République, ne garantit pas aux militaires mis en cause un procès équitable. L’article 161 indique que « l’officier ou le sousofficier de carrière ne peut être mis en position de réforme pour motifs disciplinaires que dans les cas « d’inconduite habituelle, de faute grave dans le service ou contre la discipline et enfin pour faute contre l’honneur ». Une porte ouverte à une dérive certaine, selon nos sources. La loi n’indique pas ce qu’on peut considérer comme inconduite habituelle, faute grave dans le service ou contre la discipline ainsi que faute contre l’honneur ; ni d’ailleurs les critères d’appréciation de ces fautes d’inconduite habituelle, de faute grave dans le service ou contre la discipline et faute contre l’honneur.

Le conseil d’enquêtes se veut un organe créé pour garantir aux militaires le respect de leurs droits à la défense. C’est sur la base du rapport d’enquête dudit conseil que le sort des militaires est scellé. Or, ce conseil d’enquêtes n’a pas de voix délibérative délibérative. Son pouvoir est consultatif. Il ne peut par conséquent influencer la décision des autorités chargées d’appliquer, à l’encontre des mis en cause, d’éventuelles pénalités. S’il demande de libérer pour charges non suffisantes, l’autorité et/ou la justice militaire n’est pas pour autant obligée de le suivre dans sa recommandation. En fin de compte, les résultats du conseil d’enquêtes peuvent se révéler inutiles si l’autorité chargée de sanctionner a déjà arrêté de sévir lourdement. L’avis consultatif du conseil d’enquêtes ne garantit pas, selon des sources judiciaires consultées, l’impartialité de l’autorité décisionnelle. Une source d’inquiétude pour certaines organisations de droit de l’homme qui craignent une dérive de règlement de comptes dirigés, planifiés et exécutés sous le couvert de la loi.

Dans le rétroviseur, les notes de police qui ont fait changer le cours de la transition militaire de Djibo Salou

Les militaires incriminés aujourd’hui et radiés sans qu’on ait eu connaissance de procès les concernant ne sont pas les premiers à avoir été accusés de tentative de coup d’État. Ils se comptent par centaines, rapportent des sources judiciaires, les militaires, officiers, sous-officiers et soldats, qui ont été rayés des rangs de l’armée nigérienne pour des tentatives présumées de coup d’État. D’avril 2011 à ce jour, on ne compte pas moins de cinq annonces de tentatives de coup d’Etat. Si, par le passé, les tentatives de coup d’État annoncées par les dirigeants n’ont pas été perçues comme des coups fourrés, il n’est pas de même depuis une décennie. Bien qu’on soit en démocratie et dans un État de droit, les différentes affaires ont été gérées de façon martiale, ne laissant à l’opinion nationale aucune possibilité d’information sur les fautes commises et les sanctions infligées.

Les cas de dérives ne sont pas exclus. Les Nigériens, qui ont eu connaissance des notes de police qui ont fait changer le cours de la transition militaire de Djibo Salou, n’excluent pas une répétition récurrente de la pratique.

Des notes de police visiblement montées de toutes pièces qui ont visé des personnes, notamment des officiers supérieurs de l’armée pressentis comme étant des obstacles éventuels à un soutien ferme et résolu de l’équipe dirigeante de l’époque à Issoufou Mahamadou et à son parti, le Pnds Tarayya. Une disposition prise, dit une source avisée, en vue d’éviter un remake de l’issue de la transition militaire de Daouda Mallam Wanké où le Crn, l’instance dirigeante, a dû se résoudre à observer une stricte neutralité face aux candidats et aux partis politiques.

Laboukoye