Vous êtes sans doute meilleur que l’autre, mais vous n’êtes pas, non plus, à la hauteur de la tâche. Le Niger, sous votre gouvernance, s’embourbe, sans aucune possibilité d’avancer. Depuis plus de 11 longues années, vous nourrissez le peuple nigérien de discours creux et sans lendemain. Le développement est fortement hypothéqué et cela se vérifie aisément à l’aune de l’état des secteurs sociaux de base, notamment l’école, la santé et l’hydraulique. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est vous qui en avez fait l’aveu, le 10 novembre 2022, à l’ouverture de la rentrée judiciaire, au centre Mahamat Ghandi de Niamey. Devant les magistrats réunis à l’occasion, vous avez laissé entendre que « Sans confiance entre les justiciables et le service public de la justice, il n’y a pas de justice ; sans justice, il n’y a pas d’État de droit et sans État de droit, il n’y aura point de développement ». Or, vous le savez mieux que moi, il n’y a pas de confiance entre les justiciables et le service public de la justice, car vous avez fait la primauté à une justice à géométrie variable. Vous reconnaissez, donc, implicitement, que vous tournez en rond, sans autre possibilité que d’agiter des vessies pour des lanternes. C’est un aveu digne d’intérêt que vous avez fait lors de ces assises judiciaires. Or, vous êtes le président du Haut conseil de la magistrature, celui qui donne des instructions au ministre de la Justice qui instruit à son tour les juges du Parquet, à commencer par le procureur de la République.
Permettez-moi de rappeler à votre bon souvenir les dispositions de la loi n° 2018-36 du 24 mai 2018 portant statut de la magistrature, notamment celles de l’article 59. Voici ce que dit : « Les magistrats sont notés ainsi qu’il suit : a) les premiers présidents de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Cour des comptes par le président du Conseil supérieur de la magistrature ; b) les présidents de chambres de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Cour des comptes par les présidents des juridictions dont ils relèvent ; c) les procureurs généraux près la Cour de cassation et la Cour des comptes par le ministre de la Justice ; d) les magistrats du siège des Cours d’appel, des tribunaux et juridictions qui leur sont rattachées, par le président de la cour de cassation, du Conseil d’État ou de la Cour des comptes selon le cas au vu des appréciations et notations des présidents des Cours d’appel et des tribunaux dont ils relèvent ; e) les magistrats du ministère public de la Cour de cassation, de la Cour des comptes, des Cours d’appel et des autres juridictions par le ministre de la Justice, au vu des appréciations et notations formulées par les procureurs généraux et les procureurs de la République dont ils relèvent ; f) les magistrats de l’administration centrale du ministère de la Justice, par le ministre de la Justice ; g) les magistrats placés en position de détachement par l’autorité auprès de laquelle ils sont détachés. Toutefois sont dispensés de cette notation, les magistrats mis en position de détachement pour occuper des emplois laissés à la discrétion du gouvernement et des autres hautes autorités politiques de l’État ».
Monsieur le “Président”,
En résumé, vous êtes le chef suprême de cette justice que vos compatriotes récusent, essentiellement, parce qu’elle n’est pas équitable et que vous-même, vous prétendez ne pas être conforme à vos attentes. Pour tout dire, vous incarnez une justice des plus forts du moment et vous vous y plaisez fort bien puisque vous ne faites rien pour la changer. Une justice des plus forts, c’est l’injustice et je me rappelle que ce n’est pas, loin s’en faut, en déphasage avec votre vision de la justice. Vous étiez sans doute loin d’imaginer que vous seriez un jour à la place que vous occupez aujourd’hui lorsque vous marteliez que la justice est le reflet du rapport des forces du moment.
Voici ce que votre conception de la justice donne : il y a ceux qui sont condamnés, souvent sans aucun jugement et sans alibi solide, maintenus en prison dans des conditions qui frisent une volonté de les voir mourir à petit feu et il y a ceux qui sont exonérés de tout alors qu’ils ont posé des actes de nature criminelle et ne sauraient, dans un Etat de droit digne du nom, échapper à la réclusion criminelle devant une Cour d’assises. Je peux vous citer des exemples où vous avez failli en tant que chef de la magistrature et président de la République qui a pris l’engagement solennel de garantir une justice de qualité, efficace, plus équitable et plus accessible. Il y en a tellement que vous m’accorderez certainement le bénéfice de me taire là-dessous pour ne pas trop vous tourmenter avec ces échecs conscients, inexcusables mais pleinement assumés parce que, soit l’on est impuissant à changer le cours des choses, soit parce que l’on est complice de l’état des choses.
Monsieur le “Président”,
On vous dit dix fois plus “humain” que votre prédécesseur, ce que j’admets volontiers au regard de certains actes. Cependant, je ne comprends pas cette absence de constance dans vos actes, au point où j’ai été obligé de croire en la véracité du jugement d’un ami, assez perspicace, je dois l’avouer. « Bazoum Mohamed n’est ni différent de son prédécesseur ni acquis à un humanisme de bon aloi. Il fait tout par ruse et par calcul », a-t-il dit, s’appuyant sur deux faits qu’il dit être l’expression d’une duplicité. D’abord, l’affaire Boureima Moumouni dit Tchanga, l’ancien chef d’Etat-major des armées nigériennes, qui a bénéficié d’une liberté provisoire par décision de justice le …2022, mais qui a été maintenu dans les liens de la détention par opposition du Parquet à sa mise en liberté. Or, le Parquet, c’est le ministre de la Justice et le ministre de la Justice, c’est le président du Haut conseil de la magistrature qui n’est autre que vous-même. On le sait, ni le procureur de la République ni le ministre de la Justice ne peuvent, dans l’architecture judiciaire actuelle, s’aventurer à prendre une telle initiative De la même façon qu’ils ne peuvent s’autoriser à engager des poursuites contre certains individus qui ont pourtant commis les pires crimes. La preuve, les auteurs des crimes abominables commis au ministère de la Défense nationale n’ont pas, à ce jour, fait un seul jour de prison.
Aucun. Au terme de l’article 39 du code de procédure pénale donne au procureur de la République, la compétence de recevoir les plaintes et les dénonciations et d’apprécier la suite à leur donner. Malgré cette disposition légale, le procureur de la République n’a pas donné une suite attendue à la plainte avec constitution de partie déposée par les organisations de la société civile, relativement au scandale de l’uraniumgate. Non seulement une caution e 20 millions leur a été exigée comme condition à l’examen de sa plainte, mais le compte bancaire qu’elles ont créé à cet effet à Ecobank-Niger a été fermé quelques jours après son ouverture parce que, selon la banque, il serait contraire à la loi sur le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Monsieur le “Président”, La justice au Niger, jusqu’à preuve du contraire, c’est vous et personne d’autre. Elle est le reflet de votre vision, de vos aspirations et de vos attentes. Dans l’affaire Boureima Moumouni dit Tchanga, c’est comme si vous avez repris de la main gauche ce que vous avez donné de la main droite. Soit, vous redressez la barre alors qu’il est encore temps, ce qui est nature à ouvrir les perspectives de développement figées et bloquées, soit vous continuez à vous accommoder de cette situation et dans ce cas, je conseillerais volontiers de ne plus parler de justice…mais également de développement.
Mallami Boucar