Je ne doute point de votre foi en votre pays ainsi que de vos desseins de lutter contre la corruption et les infractions assimilées. Je ne doute pas non plus, contrairement à ceux qui vous prennent pour un farceur, de votre volonté à redonner aux Forces armées nigériennes (FAN) la confiance et les équipements militaires indispensables à cette guerre qui nous a été imposée pour des objectifs maléfiques de partition de notre pays. En un mot, je crois en votre combat. Cependant, je me sens en devoir de vous dire un certain nombre de choses auxquelles vous devez absolument souscrire si vous êtes sincère avec vous-même et avec le Niger.
Pour commencer, je voudrais rappeler à votre bon souvenir deux maximes que vous connaissez si bien. D’abord, que « le tigre ne proclame pas sa “tigritude”, il se jette sur sa proie et la dévore » ; ensuite, qu’il n’y a pas de petite querelle. La première est du nigérian Wolé Soyinka, prix Nobel de littérature et la seconde est du sage et intarissable Amadou Hampâté Ba. Votre situation n’est pas que le reflet de l’une de ces deux maximes, mais bien les deux à la fois. Wolé Soyinka, comme Amadou Hampâté Ba, vous aurait certainement appris les leçons de leurs paroles, profondes et pertinentes. L’un et l’autre vous auraient appris que vous ne pourriez pas être dans une situation sans y être ; que la tergiversation va vous nuire en fin de compte.
N’étant qu’un talibé qui n’a pas oublié ce qu’il a lu quelque part, je vais essayer de vous dire ce que ces deux monuments de la littérature africaine auraient pu vous enseigner pour vous permettre de mieux vous en sortir.
« Le tigre ne proclame pas sa “tigritude”, il se jette sur sa proie et la dévore ». C’est la traduction d’une sagesse populaire que l’on peut vérifier. Un tigre ne dit pas à sa proie qu’il est un tigre et qu’il va le dévorer.
À peine, la proie a juste le temps de le constater avant d’être dévoré. Or, il se trouve que vous avez solennellement déclaré que vous allez me mener une lutte sans merci contre la corruption et les infractions assimilées. Vous l’avez déclaré le 2 avril 2021, lors de votre investiture. Puis, on ne sait plus combien de fois vous l’avez répété sans qu’un seul acte majeur soit venu confirmer que vous n’êtes pas en train d’amuser la galerie. Vous l’avez dit et répété alors que vous n’en avez pas besoin. Seuls les audits et les poursuites judiciaires consécutives des personnes mises en cause militent en faveur de la crédibilité de ce discours suranné. Je vous conseillerais volontiers de ne plus faire le moindre commentaire sur cette lutte contre la corruption, mais d’agir en multipliant les audits dans les sociétés, les programmes et projets. Instruisez et mettez-vous à l’écart des poursuites judiciaires. Laissez la justice faire son boulot, cela permettra à ce pays, qui a tant souffert, d’être débarrassé de certaines sangsues.
Monsieur le Président,
J’ai d’ailleurs appris que des audits sont en cours, mais que de graves entraves à l’exercice des missions de certains inspecteurs ont été relevées. Vous ne pouvez pas tolérer de tels faits. Sachez toujours que, quoi qu’il se passe, vos compatriotes seront informés de ce qui se passe, ce qui se dit, de ceux qui s’e sont opposés à vos instructions, de ceux qui vous ont bravé et qui vous ont, tout président que vous êtes, fait mordre la poussière. Soit, vous vous imposez comme tel, soit, on vous fait passer pour un faire-valoir qui serait juste là pour ouvrir les chrysanthèmes. Vous ne pouvez, donc, pas laisser passer de tels actes qui tendent à vous ridiculiser et à vous banaliser.
Si vous croyez sincèrement à ce que vous vous êtes engagé à faire pour le bien de ce pays et de ce peuple dont une bonne partie, retenezle, a fait table rase de ses préférences politiques pour donner une chance de réalisation à vos desseins, vous devez non seulement arrêter de parler pour agir, mais également sanctionner, de la plus belle manière, tous actes de rébellion, d’où qu’ils viennent. Si vous acceptez qu’on vous contrarie à ce point, même si cela a été fait entre quatre murs, soyez sûr qu’un jour, on vous fera subir pire et publiquement. La fonction présidentielle n’est pas un jeu pour que vous vous laissiez banaliser à ce point. Sortez l’”épée” et “écourtez” les têtes qui dépassent. Dans le respect des lois et règlements, bien sûr.
Monsieur le Président,
Vous m’avez sans doute compris. Tout comme vous avez probablement compris de quoi je parle, de qui je parle. Encore une fois, « le tigre ne proclame pas sa “tigritude”, il se jette sur sa proie et la dévore ». Soyez alerte et vous sortirez vainqueur de ce combat dont vous connaissez sans doute l’âpreté. Ne commettez pas l’erreur monumentale de penser que vous êtes à une station qui vous permet de faire et de défaire. Entre nous, vous savez d’ailleurs qu’il n’y a rien de plus faux que cela. Si vous commettez l’erreur de penser que vous finirez par avoir votre proie à l’usure, vous risquez de devenir la proie de la proie que vous avez prise en chasse. En guise de conclusion à ce premier point, je vous dirais simplement que votre leitmotiv doit être de travailler, pas de parler ; d’agir, pas de discourir. Souvenez-vous que pour avancer, il faut agir. En vous donnant les moyens de votre politique, la constitution vous ôte en même temps toute circonstance atténuante face à un échec. Bien que des compatriotes prétendent que vous êtes condamné à l’échec, je pense que tout dépend de ce que vous voulez pour le Niger. En un mot, votre proie, ce n’est pas le Niger, ce sont les prédateurs qui l’ont ruiné.
Monsieur le Président,
« Il n’y a pas de petite querelle », a dit Amadou Hampâté Ba. Votre responsabilité, c’est d’y croire. Je vous l’avais déjà dit, on ne déclare pas la guerre pour aller dormir. Or, la guerre, vous l’avez déclarée à ceux qui ont fait main basse sur les ressources publiques tout en enfonçant l’État dans un engrenage d’endettement inconsidéré. Dans cette “guerre” que vous avez déclarée en toute lucidité et responsabilité, il ne vous sera accordé aucune concession jusqu’à ce que vous gagniez ou que vous abdiquiez. Je veux dire que vous serez combattu à la mesure de ce que vous avez enclenché. Si vous giflez quelqu’un, attendez-vous qu’il vous rende la pareille ou même qu’il vous donne un coup de poing, sinon un coup de gourdin pour vous assommer. « Il n’y a pas de petite querelle », vous aurait sans doute rappelé Amadou Hampâté Ba.
En enclenchant cette guerre contre la corruption, vous savez à quoi vous avez touché. On peut ou on ne peut pas. Quand on peut, on ne tergiverse pas, on ne joue pas au chat et à la souris. Quand on ne peut pas, il n’y a pas de gêne à reconnaître qu’on boxe avec plus fort que soi. L’abdication est une possibilité qui est toujours offerte à un combattant. Cela lui évite d’être massacré et dans la guerre, je veux dire la vraie guerre, les conventions internationales protègent ceux qui se rendent, mains en l’air. Si vous ne pouvez pas poursuivre ce que vous avez commencé, soyez rassuré que le peuple le comprendra très vite et vous perdrez alors le capital d’estime et de considération que vous avez pu vous construire en peu de temps.
Monsieur le Président,
J’ai remarqué que vous avez d’ailleurs réussi à embarquer dans votre combat des noms illustres du combat pour une meilleure gouvernance, pour un meilleur Niger. Ce sont des soutiens d’une extrême importance et il serait bien dommage de les perdre. Si vous vous sentez bien dans votre peau et dans votre tête, eh bien, c’est grâce à cette dynamique populaire que vous avez su créer autour de vous, à ce nouvel espoir pour une gouvernance vertueuse. Ne vous y trompez pas : « on peut tromper tout un peuple pendant une partie du temps ; une partie du peuple pendant tout le temps mais jamais tout un peuple pendant tout le temps. En tout état de cause, rappelez-vous toujours ces deux maximes : « il n’y a pas de petite querelle » et « le tigre ne proclame pas sa “tigritude”, il se jette sur sa proie et la dévore »
Mallami Boucar