Cela fait déjà quelques semaines que je ne vous ai pas parlé du pays, du vrai pays. Ce n’est pas, bien sûr, celui des discours que vous ressassez et vous voudriez bien accepter les excuses de votre serviteur. Il est peut-être zélé, mais il est sincère et patriote. Il sait également que ce qu’il rapporte ne plaît pas, écorche vos oreilles et qu’il n’y a aucune chance qu’il soit écouté. Cependant, il fait son boulot avec abnégation, uniquement pour le Niger et son peuple qui souffre du syndrome du gouvernant détaché des réalités nationales. Je vous ai écouté dans votre speech de nouvel an, autant dire dans ce que vous savez faire de mieux et vous avez sans doute gagné votre pari. Vous avez bien parlé, si bien parlé que celui qui vous écoute pour la première fois, sans aucune connaissance du Niger et des misères de son peuple, vous accorderait certainement la palme du meilleur chef d’État. Je vous ai écouté parler de la lutte contre la corruption et j’ai souri à l’idée que vous vous faites du nombre croissant de détentions pour faits de corruption et de détournement de deniers publics. J’ai surtout retenu que vous vous en félicitez au motif que jamais, dans l’histoire du Niger, depuis 1960, ditesvous, aucun régime n’a connu autant de personnes détenues pour les faits incriminés. Ah, que c’est beau, l’interprétation ! J’en ai la mienne, évidemment et c’est à mille années-lumière de la vôtre. Est-ce parce que vous menez la lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics ou est-ce parce le Niger, sous votre régime, a pris les couleurs de la corruption ?
Monsieur le “Président”
S’il y a autant de personnes détenues pour faits de corruption et de détournement de deniers publics, demandez-vous d’abord, avant de vous en féliciter, pourquoi ce phénomène s’est-il si amplifié sous votre régime ? Vous auriez dû éviter de parler à nouveau de ce sujet sur lequel les faits vous disqualifient. Pour trois raisons essentielles. Premièrement, s’il y a autant de cadres de l’État sous les verrous pour faits de corruption et de détournement de deniers publics, c’est parce que le fléau a miné le Niger sous votre régime. Les faits de corruption et de détournement ne se comptent pas et les montants se chiffrent à des milliers de milliards mis en cause. De l’audit des fraudes fiscales et douanières dont vous avez une idée exacte des centaines de milliards de francs CFA mis en cause à celui des fonds des Forces armées nationales, en passant par les scandales à la Centrale d’achat d’intrants et matériels agricoles (Caima), de la Société de raffinage de Zinder (Soraz), de l’achat de l’avion présidentiel ou encore de l’Uraniumgate, qui a été inquiété ? Il y en a qui sont ministres d’Etat et qui vous côtoient toutes les semaines, lors des réunions du gouvernement.
N’est-ce pas à votre arrivée au pouvoir que les mis en cause dans le scandale des fonds de l’armée, déjà rassurés sous votre prédécesseur quant à la procédure entamée, ont bénéficié d’un non-lieu parce que l’État que vous représentez a décidé de ne pas se constituer partie civile ? N’est-ce pas protéger des individus impliqués dans des faits de corruption et de détournement de fonds publics ? Pire, au regard de la gravité des actes posés, n’est-ce protéger des criminels qui ont mis en péril la sécurité et la défense nationale, avec tout ce que cela représente comme massacres de populations civiles et militaires, de déplacements massifs de milliers de Nigériens, de démantèlement du tissu économique, etc. ? Est-ce cela que vous appelez « lutte contre la corruption et les infractions assimilées » ?
Deuxièmement, qui sont ceux qui sont en détention pour faits de corruption et de détournement de fonds publics ? Des menus fretins, les commanditaires et les bénéficiaires des crimes commis continuant tranquillement leurs forfaits dans l’assurance totale d’être hors de portée de la justice ; cette justice que vous aimez tant chanter et qui ne peut pas mettre hors d’état de nuire des individus qui font dans le trafic de drogue, d’armes, la corruption et les détournements de deniers publics.
Troisièmement, ce n’est pas faute de manquer de preuves contre ces criminels de tout acabit que vous n’agissez pas. C’est parce que vous êtes impuissant à le faire et ce n’est pas moi qui le dis, c’est vous qui l’avez confessé aux acteurs de la société civile que vous avez reçus à deux reprises, à votre initiative. Vous savez mieux que moi que la corruption a noyé le régime que vous incarnez et que faire arrêter quelques agents d’exécution ne peut ni mettre un terme à la corruption et aux infractions assimilées, ni vous conférer un quelconque succès. Votre combat n’est que sur les bouts de vos lèvres et vous devez savoir qu’on ne peut jamais tromper son peuple, particulièrement lorsqu’il vit au quotidien les misères de la corruption et des détournements de deniers publics.
Monsieur le “Président”
Je vous l’avais conseillé, si vous ne pouvez pas faire la lutte contre la corruption, ne vous gênez pas d’abandonner le combat. Lorsqu’on ne peut pas, on ne peut pas. On ne peut ni faire semblant, ni triturer et maquiller la réalité. Ne vous fatiguez pas sur ce sujet tant que vous ne seriez pas capable de frapper sans discernement. Faites comme l’autre, votre prédécesseur, qui ne s’est pas hasardé à prétendre mener un tel combat. Lorsque je vous ai entendu vous adresser « à ceux qui semblent douter de votre engagement en la matière », je m’attendais logiquement à vous entendre dire que les actes que vous comptez poser dans les jours suivants seraient certainement suffisants à les convaincre définitivement. C’est démentiel, a fait remarquer un ami, que vous vous glorifiez d’un fait qui traduit le développement exponentiel de la corruption et des détournements des deniers publics sous votre régime. Si vous devez vraiment lutter contre la corruption et les détournements de deniers publics, je me demande bien si votre propre coeur pourrait tenir. Monsieur le “Président” En bien ou en mal, soyez de ceux qui agissent et qui assument. L’autre avait toujours assumé ses actes et je ne pense qu’il soit frustré de s’entendre appeler « l’homme qui a ruiné le Niger ». Si c’est cette voie que vous avez résolument prise tout en rusant par l’entretien d’apparences aussi éloignées de la réalité du Niger que le soleil, de la lune, sachez encore une fois que « l’homme n’est qu’une misérable petite moisissure de la terre ». Le Niger, en tout état de cause, survivra à votre gouvernance. Il aura sans doute du mal à redresser la barre, à corriger plein de choses. Mais il se relèvera, un jour, avec des Nigériens qui croiront de nouveau au génie de leur peuple. Il se relèvera et l’Histoire gardera de vous ce que vous avez exactement fait. Feu Ali Saïbou l’a dit, les hommes passent, mais le Niger demeure.
Mallami Boucar