Les Juges nigériens semblent répondre favorablement à la préoccupation du premier magistrat, disant n’attendre que d’avoir entre leurs mains les dossiers qui existent déjà et qui, souvent, sont bien connus de tous les Nigériens. Si tant est que le Président Bazoum est décidé à faire le ménage, le SAMAN ne demande pas mieux et exige – le mot est sans doute bien mesuré – « la transmission sans délai aux juridictions compétentes des différents dossiers de la Cour des comptes, de la HALCIA, des inspections d’Etat et des finances faisant cas de diverses malversations financières et de détournements de deniers publics ». Les Nigériens peuvent se rappeler en 2016, sous le Procureur Samna, lors d’un point de presse, la pile de dossiers que le parquet exhibait pour montrer l’immensité des crimes commis et pour lesquels, avertit-il, s’il faut les traiter, le gouvernement devra se résoudre à construire de nouvelles prisons. Mais où sont ces dossiers et d’autres sur lesquels les Nigériens n’ont pas fini d’épiloguer ?

L’un des points faibles des socialistes nigériens, au-delà de la problématique de la gestion, est la gouvernance judiciaire dans le pays car jamais le pays n’a connu autant d’injustices que sous leur ère, au point de croire, par certaines condamnations systématiques, que les camarades ne viennent au pouvoir que juste pour régler des comptes, pour faire mal à certains hommes qu’ils peuvent croire en devoir de payer pour une gestion à laquelle ils sont à tort tenus pour responsables et les rendre responsables de leur marginalité, et de ce qu’ils n’aient pas pu briller dans le pays, peut-être même qu’ils n’aient pas pu réussir en politique. Pendants dix ans de socialisme sous Issoufou, c’était ce Niger que l’on avait connu, un pays qui avance à deux vitesses, ou si l’on veut, en deux versions, une pour les Nigériens du bon camp qui peuvent, tous les crimes, s’assurer d’être intouchables, et un autre pour des Nigériens de seconde zone pouvant aller en prison, même pour les fantaisies du prince, souvent sans avoir la possibilité de se défendre. Issoufou Mahamadou s’en accommodait d’autant bien que malgré les interpellations des Nigériens – y compris du SAMAN de son époque – il était resté de marbre, insensible à l’injustice qui semble être son choix, vivant d’un plaisir que personne ne peut expliquer : pour lui tant qu’à faire, certains doivent aller en prison et on peut même inventer des histoires pour justifier leur embastillement : coups d’Etat, insultes, bébés importés, diffamation, etc.

Mais, depuis le 2 avril 2021, l’on a un nouveau discours de la part de son successeur qui, dès son discours d’investiture, alertait sur ce que devait être sa gouvernance, notamment par rapport à la justice, un aspect important de la gouvernance sur lequel les Nigériens attachent beaucoup d’importance et sur lequel le nouveau président se sait attendu par ses concitoyens. Et pas qu’une fois, il est revenu sur une telle préoccupation, exprimant la même volonté d’assainir, répétant les mêmes promesses de justice. La récurrence du sujet dans ses discours et interventions, donnait à croire que l’option est sincère et que l’on peut croire à la parole de l’homme.

Mais faut-il, franchement, croire la parole de Bazoum ? L’homme est philosophe et il sait plus que quiconque à quel point l’injustice détruit une société, renforce des colères, les ressentiments dont l’explosion peut être destructrice. Or, dans ce pays, l’on en a que trop accumulés dans l’insouciance d’hommes qui avaient cru qu’on ne gouverne que pour soi, pour s’enrichir et pour faire le mal contre l’autre. Un tel choix a fini par les éloigner des Nigériens, mais ils étaient incapables de comprendre que cette façon de gouverner les hommes puisse les rendre si impopulaires dans le pays. Bazoum, peut-on croire – du moins en se fiant à ses discours – voudrait faire mieux en corrigeant cette perception que les Nigériens ont de leur parti et de leur pouvoir par une autre manière de gouverner et donc de faire de la Justice. Mais vingt mois après, les Nigériens n’ont eu que les mots. Les maux, eux, demeurent, insolubles : il n’y a pas de justice.

D’ailleurs, les exemples qu’il donne en certaines circonstances pour montrer qu’il n’y a plus d’impunité et que certains – et même un ministre peut-il dire fièrement – depuis qu’il venait au pouvoir seraient mis aux arrêts, croupissant depuis de longs mois en prison, oubliés des Nigériens. Il peut même ajouter, non sans vanité – et de quoi encore ? – qu’aujourd’hui les prisons du pays sont remplies comme si cela devrait être un fait duquel l’on peut se glorifier, oublieux de ce qu’une telle situation traduit le fait que notre société vit une crise morale sans précédent. Comment les Nigériens sont-ils devenus si minables pour n’être bons que pour la prison ? Pouvons-nous nous reconnaitre dans cette nouvelle représentation de notre société ? En le disant, il oublie que c’est même là le problème : pourquoi, quand on sait que beaucoup d’autres du même milieu, et du parti surtout, pour des cas plus graves, ne vont pas en prison, lui seul, ce fameux ministre devenu le cobaye du système, devrait y aller ? Pourquoi lui seul doit aller en prison quand pour d’autres cas bien connus, y compris dans le gouvernement actuel, la même machine n’avait pas fonctionné, n’avait pas été mise en marche ? Pourquoi cette justice sélective ? Pourquoi, « la levée de tous les obstacles juridiques et judiciaires » qu’invoque le SAMAN, ne peut fonctionner qu’avec Mahamadou Zada, lui seul ? Franchement, il est difficile de croire cette parole de Bazoum car à ce que disent bien d’observateurs, il ne décide pas seul, et rien ne dépend de sa seule volonté, l’homme pouvant être obligé d’écouter d’autres car à ce qu’on lui a fait entendre, c’est le parti qui gouverne et non lui que les Nigériens auraient élu. Mais parce qu’il semble remettre en doute l’impartialité et le manque de courage de la part des juges, le syndicat des magistrats avait été obligé, pour se faire bonne conscience, de sortir des bois avec une déclaration à laquelle les Nigériens avaient prêté beaucoup d’attention. En effet « Le Bureau Exécutif National du Syndicat Autonome des Magistrats du NIGER (BEN/SAMAN), réagissant aux différentes interventions du Magistrat Suprême sur la question de la Justice dans le pays, toute chose incompréhensible pour le SAMAN qui juge les incriminations à l’encontre de la corporation inacceptables car les considérant comme « un lynchage médiatique » qui ne se doit pas surtout quand, le faisant, on voudrait discréditer la justice nigérienne.

Le SAMAN s’en défend…

Le syndicat des magistrats du Niger réfute toutes les allégations faites à son encontre et c’est pourquoi, il a tenu « […] d’abord à rappeler, qu’il n’a jamais couvert et n’entend couvrir quelque forfaiture d’où qu’elle vienne. [Et précisant que] la lutte contre la corruption en milieu judiciaire ainsi que tous les maux qui minent la justice nigérienne en général figurent parmi ses priorités de lutte, car convaincu que la justice reste et demeure le pilier central de la construction nationale et de tout développement ». Nous rappelions à juste titre, qu’avant ce bureau, celui dirigé par Ayouba Hassane plaignait les mêmes préoccupations. Le bureau du SAMAN ne comprend donc pas pourquoi, de manière répétitive, l’on veuille tant s’en prendre aux juges qui restent des justiciables comme un autre qui répondent aussi de leurs manquements. Du reste, le SAMAN dit être disposé à assainir le milieu judiciaire qui ne manque pas, faut-il en convenir, de quelques brebis galeuses qui ternissent l’image de l’institution judiciaire. Aussi, « Le BEN/SAMAN, condamne [-t-il] la propension prise par les discours politiques au mépris du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, comme en attestent les récentes déclarations du président de la République lorsqu’il disait avoir ordonné au Procureur de la République de donner suite avec diligence aux dossiers à lui transmis par la HALCIA ».

Bazoum en ferait-il trop à parler trop de justice ?

C’est du moins ce que l’on est tenté de dire quand chez le premier magistrat l’on a plus de discours que d’actes réellement posés dans le domaine ou tout au moins ce que le BEN/ SAMAN considère comme une ingérence de la part de l’Exécutif qu’il incarne, ne pouvant pour aucune raison faire des injonctions à la Justice, fût-il le président de la République. C’est pourquoi « Le BEN/ SAMAN, rappelle au président de la République, garant du respect du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, qu’il ne peut être légalement l’interlocuteur du Procureur de la République a fortiori, lui donner des instructions ». Pour le SAMAN, si tant est que le régime est décidé à faire justice et à traquer tous les bandits d’Etats qui infestent le système, il y a à faire autre chose qu’à trop parler. Et Dieu sait qu’il y en a trop ! En tout cas pour le SAMAN est « […] convaincu […] qu’une lutte sans faille contre la corruption passe nécessairement par la création des conditions idoines de mise en oeuvre effective de la séparation des pouvoirs […] ». Il faut donc des actes et notamment, un environnement juridique qui rende possible et facile le travail des magistrats.

L’appel à créer les conditions d’une bonne justice…

Il est possible de faire payer à tous leurs fautes de gestion si le politique ne devrait pas s’en mêler et surtout si les conditions sont créées pour que plus aucun Nigérien, se prévalant de quelque immunité ou de quelques protections, ne se croit au dessus des lois de la République. Les magistrats, à cette fin, appellent à « L’adoption sans délai de la nouvelle loi sur le Conseil Supérieur de la Magistrature dans le sens d’extirper de sa composition les représentants des pouvoirs exécutifs et législatifs » et donc de tous ceux qui, y siégeant pour travailler au nom de l’Exécutif ou du législatif, empêchent quelquefois au Conseil d’être indépendant dans son travail et dans ses décisions. Aussi, comment peut-on vouloir de la justice équitable quand, les hommes censés la rendre, sont cooptés sur des bases subjectives qui les appellent à répondre plus d’hommes politiques que d’un idéal de justice qu’ils sont appelés à servir en toutes circonstances, et les obligeant ainsi à un devoir de gratitude qui les oblige à s’écarter de la droiture et de l’impartialité ? C’est pourquoi, pour le BEN/SAMAN, il est impératif d’adopter « […] un plan de carrière des magistrats définissant des critères objectifs et transparents de nomination, d’affectation et de promotion des magistrats ». Une telle mesure ne suffit pas quand, dans le contexte qui est le nôtre, un procureur semble plus répondre d’un pouvoir que la société dont il est censé défendre les droits. Et les Nigériens n’ont pas tort de se demander toujours pour qui travaille le parquet : pour la société ou pour un gouvernement ? Les magistrats n’ont donc pas tort de demander « La réforme du statut des magistrats du parquet pour qu’ils soient plus indépendants vis-à-vis de l’exécutif dans l’exercice de leur fonction ». Le syndicat des magistrats a d’ailleurs une vision plus pertinente sur le sujet, « […] rappel [lant] que l’efficacité de la lutte contre la corruption doit s’inscrire dans une dynamique globale et impartiale afin de vaincre l’inertie de certains acteurs et le doute de nos concitoyens ». C’est dire que, et on l’on a compris, cette lutte ne doit épargner personne : quand la justice, avec une célérité étonnante, peut s’en prendre à un opposant, à un voleur de cabri, pourquoi ne peut-elle pas avoir la même efficacité contre un voleur de milliard du sérail du pouvoir ?

Face à de telles attitudes qui font le lit à l’injustice, le SAMAN exige et acte la lutte implacable contre la corruption…

Pour aller plus vite et bien, ainsi que semble le vouloir le président de la République, le BEN/ SAMAN, dans un élan patriotique et sans doute aussi pour réconcilier les Nigériens avec la Justice, demande « la levée de tous les obstacles juridiques et judiciaires liés à la poursuite contre les parlementaires et membres du gouvernement ». Dans le gouvernement comme au parlement, mais aussi à la tête de certaines institutions, ils sont nombreux ces hommes qui trainent des casseroles bruyantes et donc qui ont à se défendre devant les juges par rapport à la gestion qui avait été la leur. On est donc en droit d’espérer que les lignes bougent, que la Justice se mette en marche, car comme l’a dit un activiste des réseaux sociaux : « La justice va frapper fort les jours à venir ». Du moins, s’il faut fonder notre appréciation sur nos naïvetés car en vérité, les choses sont beaucoup plus complexes qu’on le pense : Bazoum ne peut qu’avoir une main qui tremble pour frapper jusqu’à l’écurie de son bienfaiteur qui attend de lui une gratitude à toute épreuve.

Bazoum, dos au mur ?

Bazoum a dit – et tout le monde l’a bien entendu et plusieurs fois – qu’il ne faiblira pas à lutter contre la corruption, assurant la justice de sa neutralité pour mettre les procédures enclenchées à l’abri de toute interférence politique. Les Nigériens doutent encore. Ils n’ont pas tort. Tout le monde, dans le pays et dans le monde, a bien entendu que Bazoum met au défi les Juges de jouer en toute indépendance leur rôle dans le nouvel Etat de droit qu’il veut bâtir au Niger. Tout le monde a également entendu les juges, à travers leur syndicat, le SAMAN, réagir face à une telle volonté, disant être disposés à s’y engager sans faille. Qui croire ? Alors que nous apprenons l’emprisonnement du Coordonateur du M62, juste, pensent les Nigériens, parce qu’il gêne par le combat qu’il mène et les discours qui fâchent qu’il tient, l’on ne peut que douter. Et peut-être des deux finalement.

Pour le moment, chacun des deux protagonistes a à convaincre par les actes qu’il posera les prochains jours pour honorer sa parole donnée. Après l’avoir dite et répétée plusieurs fois cette parole, Bazoum a maintenant à convaincre par l’action qui manque à sa gouvernance. Et les Nigériens attendent de juger sur pièce les juges nigériens pour lesquels le syndicat prend un engagement avec le peuple et l’Histoire : « Le BEN/SAMAN rassure l’opinion publique de son engagement inébranlable à se dresser contre l’entreprise de fragilisation de l’institution judiciaire et encourage l’ensemble des militants à oeuvrer inlassablement et comme à l’accoutumée, pour une justice de qualité, crédible et humaine, rendue dans le strict respect de la règle de droit ». On verra bien qui est qui.

Mairiga