Il a versé assez de sang et de larmes pour ne pas l’entendre. Des militaires nigériens, on ne sait même plus combien, se sont fait massacrer à Intagamey et les carcasses des véhicules blindés attestent de la violence inouïe avec laquelle l’ennemi s’est acharné sur nos soldats. Vous n’avez même daigné décréter un deuil national. Cela procède, m’a expliqué un ami, d’un cynisme politique qu’on ne retrouve que dans les gouvernances frelatées, pour parler comme Hassoumi Massoudou. Même si l’on s’en tient à ce qu’a annoncé le communiqué officiel de votre gouvernement, ce sont tout de même dix soldats qui ont péri, tués dans l’exercice de leur mission de défense du territoire nigérien. L’ami m’a expliqué que soit, vous considérez que dix morts ne valent pas un deuil et en décréter vaut pratiquement l’admission d’un bilan encore plus lourd que vous n’avez pas admis ; soit, vous vous inscrivez dans une logique effarante : l’attaque meurtrière d’Intagamey n’est ni la première — et ça, je le sais — ni la dernière et il y en aura si souvent que si vous devez décréter à chaque fois un deuil, le Niger va être en deuil 365 jours sur 365 Jours.

Des morts, nous en comptons presque tous les jours et pour vous qui gouvernez, c’est sans aucun doute un aveu d’impuissance à garantir la sécurité à vos compatriotes. C’est un grave, très grave manquement, mais le problème n’est pas tant d’être impuissant à trouver les solutions hardies qu’il faut que de refuser de sortir du carcan de l’assistanat qui se révèle suicidaire pour le peuple nigérien. Peut-on sauver de l’avarie un fruit qui a un ver à l’intérieur ?

Monsieur le “Président”

J’ai suivi avec grande attention le déroulement du procès des militaires incriminés dans une tentative de coup d’État, je ne sais plus contre le chef d’État sortant ou celui qui ne l’est pas encore. Quoi qu’il en soi, je dois dire que les conjurés ont parlé. Comme la terre lorsqu’elle est consultée chez les géomanciens et autres devins, les militaires incriminés ont claqué la langue. Ils ont parlé et je suis certain que vous-même, vous avez appris beaucoup de ces révélations qu’ils ont eu à faire devant le tribunal. J’ai jubilé, à l’idée que pour une fois, le tribunal est coincé. Il se voit dans l’obligation de convoquer à la barre des personnes au-dessus de la justice, au Niger. Un ami, qui dit connaître les moeurs et les pratiques du régime, m’a ouvert les yeux sur ce qui se passe depuis plus d’une décennie. Il a raison, j’ai quelque peu rêvé, oubliant que ce ne sont pas nécessairement les trafiquants de drogue et d’armes, les auteurs de détournements de milliards de francs CFA, les grands corrompus et corrupteurs, les criminels qui ont refilé aux soldats nigériens des armes et des munitions défectueuses sont les plus heureux au Niger. Mon ami a certainement raison, il y a ceux qui sont faits pour la prison et toutes les privations possibles et il y a ceux qui peuvent se permettre tous les crimes sans craindre de se faire jeter en prison par un juge de service.

Je ne doute pas de la certitude que malgré la gravité des dires des militaires incriminés et les obligations de droit auxquelles, en principe, leurs propos donnent lieu dans un procès équitable, ils n’auront pas gain de cause. L’affaire est d’ores et déjà pliée comme on dit. J’ai d’ailleurs appris les peines, lourdes, que le procureur a requis contre les prévenus, sans que la Cour daigne faire comparaître les personnes citées à la barre. Ce n’est pas nouveau. La justice, avez-vous coutume de dire, est une question de rapport de forces et cela, les Nigériens en ont particulièrement apprécié les conséquences. Je ne parle pas que de l’affaire de ces militaires sur laquelle j’avoue ne pas savoir grand-chose. Je constate toutefois qu’ils se seront assumés et c’est une bonne chose que nous autres, nous ayons entendu des conjurés citer des noms d’illustres personnages qui les auraient manipulés. Remarquez bien qu’ils n’ont pas nié leurs parts de responsabilités. Cependant, pour leur malheur, ceux dont les noms ont été cités sont comptés parmi les super-Nigériens, ceux-là qui peuvent prendre les milliards de l’État pour eux et leurs familles, envoyer à la mort des soldats avec des armes et des munitions défectueuses, tremper dans le trafic de drogue, dans une totale et compréhensive impunité.

Monsieur le “Président”

Vous savez sans doute que je ne vous applaudirais pour ces mises en scène auxquelles vous vous livrez à propos de la lutte contre la corruption. Pour ne rien vous cacher, je ne crois pas à cette lutte contre la corruption qui arrache des feuilles là où il faut couper des branches, voire, déraciner des arbres entiers. D’anciens directeurs généraux de la douane et cadres des impôts sont arrêtés et envoyés en prison. Curieusement, celui qui est lié à la plus grande malversation, Issaka Assoumane, ancien directeur général de la douane lui aussi, a été jusqu’ici épargné. Il a pourtant été cité par la Halcia dans le détournement de plus de six milliards de francs CFA de matériels divers à la Société de raffinerie de Zinder (Soraz). La Halcia a jugé son implication si grave qu’elle a décidé de faire bloquer ses comptes bancaires. Vous savez ce qui s’est passé par la suite. Votre prédécesseur, dont vous connaissez toutes les frasques dans ce domaine, a décidé à l’époque, pour le soustraire à la justice, de le nommer directeur de Cabinet, auprès de lui.

Je n’ai rien contre Issaka Assoumane. Tout comme je n’ai contre ceux dont il m’arrive de citer les noms. Je le fais pour soutenir ce que j’avance. Vous ne pouvez pas être contre mon avis. Je trouve scandaleux que vous fassiez tant de bruit à propos de la lutte contre la corruption alors qu’il y a tant de cas, comme celui d’Issaka Assoumane qui devraient vous imposer le silence. À l’exception bien entendu des troubadours du régime et autres opportunistes sans foi ni loi, personne ne vous applaudira parce que vous agitez du vent. Je vous l’avais rappelé, « le tigre ne proclame pas sa tigritude, il se lance sur sa proie et la dévore ». Pourquoi vous échinez- vous à parler sans fin en espérant convaincre là où il s’agit d’agir ?

Monsieur le “Président”

Je ne vous envie pas, je vous plains. Je vous plains car vous êtes comme dans une sorte de supplice de Sisyphe. Vous ne vous rendez pas compte peut-être, mais il est certain que vous êtes en net décalage par rapport au peuple que vous avez juré, la main sur le Saint Coran, de servir. Savez- vous ce que pense votre peuple de l’insécurité et de tant de massacres de populations civiles et militaires ? Savez-vous que ceux que vous considérez comme alliés sont régulièrement accusés par vos compatriotes d’avoir une main liée à ce qui se passe ? Savez- vous que, selon des informations qui circulent, l’attaque d’Intagamey est imputée à des forces militaires étrangères que vous considérez comme amies et alliées du Niger dans la lutte contre le terrorisme ? Prenez la peine d’écouter votre peuple et de faire droit à ses suppliques. Il a versé assez de sang et de larmes pour ne pas l’entendre. Pas avec des discours, s’il vous plaît mais avec des actes qui sont conformes à ses attentes. Sachez que si vous ne le faites pas, quelqu’un d’autre le fera forcément. Le Niger, quoi qu’il advienne, survivra à cette épreuve, douloureuse, certes, mais qui l’aguerrira incontestablement.

Mallami Boucar