Franchement, je suis inquiet de tout ce que j’entends sur le caractère de mon compatriote nigérien. Qu’il n’aime ni son prochain ni le travail, s’avère égoïste et adore le gain facile, use de tas de coups bas dans l’administration et s’adonne à la médisance dans la vie privée. Qu’il est dur à la maison avec les enfants et les conjoints(es), qu’il est …infidèle, bon religieux seulement pendant le mois de ramadan, et qu’il s’adonne à tous les vices dès qu’il est hors de vue des autres, en voyage à l’étranger par exemple.
Je suis d’autant plus inquiet que j’ai été témoin de quelques cas : des patrons de l’administration qui bloquent des opportunités d’emploi à l’extérieur pour des cadres nationaux, juste parce que eux-mêmes ne peuvent pas en profiter pour diverses raisons ; des projets de développement entravés dans leur fonctionnement et suspendus par le bailleurs de fonds, juste parce qu’un maillon de la chaîne a des problèmes personnels avec un collègue, ou que le « coordonnateur est donné partant » ; des initiatives « made in Niger », qui n’y ont pas prospéré, mais ont trouvé leur bonheur dans d’autres pays (ex. Sahel vert, Initiative 3 N, engagement des chefs traditionnels dans la promotion des droits des enfants et des femmes, cantines scolaires, services publics ambulants, etc). Et dans la vie privée et familiale, combien sont-ils, nos compatriotes, qui mangent aux meilleures tables de la ville et à grands frais, alors qu’à la maison leurs familles sont au régime bouillie de riz et sauce sans viande ? Combien sont-ils à jeter des sommes faramineuses aux griots lors des cérémonies, et ne viennent pas en secours à leurs parents du village lors de la période de soudure ? Sans doute, nombreux !
Si ces comportements sont fortement prégnants au sein de notre société, j’estime tout de même injuste de mettre tous les Nigériens dans le même sac. Personnellement, et Dieu merci, je récolte chaque jour des dividendes de ce que ma vie durant, j’ai semé. Si globalement les Nigériens sont décrits comme étant mauvais, il y en a quand même qui vous manifestent leur reconnaissance à chaque fois que l’occasion leur est donnée. Ainsi, je ne suis pas peu fier quand, amené à suivre un dossier dans l’administration, je croise dans les bureaux un de mes anciens élèves, qui bien sûr s’empresse de m’aider ; ou, reconnu dans une queue devant un guichet de banque, de la Nigelec ou de la SEEN, on me prie poliment de passer d’abord ; et encore mieux, quand je mange dans un restaurant et qu’au moment de payer, on me dit « c’est déjà fait ». Voilà de bons petits plaisirs, qui existent même au Niger.
Soyons donc modérés dans notre jugement global, et surtout convaincus que ceux d’entre nous qui sont considérés comme mauvais peuvent changer positivement. Ce changement qualitatif social était du reste le but visé par l’initiative « Renaissance culturelle » de l’ancien Président de la République Issoufou Mahamadou, qui appelait à créer les « conditions d’une profonde rupture et d’une renaissance culturelle qui passent par une révision de certaines de nos valeurs sociales ». Et nous y voilà : puisqu’elle visait un changement de comportement des Nigériens, – et nous le savons, les changements de comportements s’obtiennent toujours sur le long terme – pourquoi la Renaissance culturelle semble aujourd’hui enterrée ? Faut-il y renoncer parce que cela prend du temps (et nous n’aurions pas ce temps), ou engager les actions qui seront plus tard profitables aux générations futures ?
L’une des tares de notre pays mises en évidence ces dernières années, et où nombre de fonctionnaires et commerçants nigériens se sont particulièrement illustrés, c’est la corruption. La lutte contre ce fléau fait partie des priorités des dirigeants actuels. Elle était aussi l’un des chantiers de la Renaissance culturelle, qui ambitionnait de changer les pratiques administratives et donc les comportements des fonctionnaires. Aujourd’hui comme hier, le besoin de changement des comportements est toujours pressant.
Plutôt que de l’enterrer trop vite, on devait remettre la Renaissance culturelle au goût du jour, et réfléchir aux meilleurs moyens de passer du concept à l’opérationnel. Sinon, comme d’habitude, d’autres pays nous piqueront l’idée et iront, eux, de l’avant.
Par Idimama Koutoudi
Source : http://www.lesahel.org