Près de deux ans après son accession au pouvoir, Bazoum Mohamed est encore attendu pour un début de réalisation de ses engagements. Dans une poignée de jours, précisément le 2 avril prochain, il fêtera ces deux ans au pouvoir. Deux ans de pouvoir diversement appréciés, mais dont le chef de l’État a tiré déjà gloriole en janvier 2023, lors de la présentation des voeux de nouvel an. Il a donné à l’occasion un bilan plus que flatteur de ses deux ans au pouvoir : les Nigériens sont mieux protégés et sécurisés, les terroristes battraient en retraite et sont contraints de se convertir dans le banditisme, le prélèvement de taxes sur les populations et les vols systématiques de bétail, les grands chantiers d’infrastructures évoluent normalement, le pipeline Niger-Bénin sera opérationnel dans le dernier semestre 2023, portant l’accroissement à deux chiffres, la gouvernance est de qualité, la lutte contre la corruption, qui est sincère et porte ses fruits, va davantage s’accentuer avec des dossiers transmis au procureur de la République, avec à la clé une mise en garde aux juges qui doivent se garder, ditil, de protéger ceux des leurs qui seraient impliqués dans de sales dossiers. Bref, Bazoum Mohamed ne se plaint pas de son bilan. Il en est même fier pratiquement. Pourtant, le constat est amer.
Le Niger, l’îlot de paix dans un océan tourmenté qui enregistre tout de même 890 morts, rien que pour la seule année 2021.
Sur le plan sécuritaire, la principale préoccupation des Nigériens, on note que le bilan est particulièrement alarmant. Selon le rapport 2021 de la CNDH sur les droits humains au Niger présenté le 22 décembre 2022 devant l’Assemblée nationale, ce sont 890 civils et militaires qui ont été tués du fait du terrorisme dans le pays au cours de la seule année 2021. Ce chiffre, officiel, est souvent remis en cause par de nombreuses sources du fait de bilans contestés comme lors du massacre d’une patrouille de l’armée à Intagamey, le 10 février 2023. À ces 890 morts officielles, il faut ajouter pour la seule région de Tillabéry où les soldats français foisonnent comme têtards dans un étang, 115 150 personnes déplacées à la date du 16 mai 2022. Et sur les 13 départements que compte la région, les 12 sont affectés par ces déplacements forcés. Les écoles fermées ? Sur l’ensemble du territoire national, quatre régions du Niger sur huit sont concernées par la fermeture des écoles. Il s’agit des régions de Tillabéry, de Tahoua, de Maradi et de Diffa. À la date du 23 août 2022, ce sont 890 écoles qui sont fermées au Niger à cause de l’insécurité, a constaté le Fonds des nations unies pour l’enfance (UNICEF), soit 77 919 enfants, dont 38 394 filles et plus de 2 430 enseignants qui sont affectés. Selon OCHA, l’organisation humanitaire, à elle seule, la région de prédilection des militaires français(Tillabéry) compte 817 écoles fermées, suivie de Tahoua avec 34, Diffa avec 28 et Maradi avec 11.
Le Président Bazoum, qui a déclaré avoir lancé, en 2021, des commandes de divers armements en Turquie, s’y est rendu personnellement en mars 2022. Près de deux ans après ces commandes d’armements, il n’y a encore rien qui y ressemble. L’armée et les populapopulations civiles continuent à se faire massacrer. Bazoum Mohamed a certainement compris que le délai de livraison est si long que les Nigériens doutent profondément de l’existence réelle de ces commandes pour continuer à garder le silence. Alors a-t-il souligné, lors de la présentation des voeux de nouvel an, que l’année 2023 sera l’année du déploiement de des équipements aériens commandés en 2021.
Des populations de plus en plus paupérisées
Sur le plan économique, la situation est également loin d’être aussi rose que le présente le Président. Si les salaires sont payés à terme échu, ce n’est pas le cas pour les bourses, allocations et pensions des retraités. Ces derniers traversent actuellement une situation très difficile, la mensualisation promise de leurs pensions n’étant pas encore une réalité alors que le délai fixé par le Président Bazoum est janvier 2023. Les secteurs sociaux de base se sont considérablement effondrés. La santé est devenue trop chère pour ne pas dire inaccessible aux bourses modestes et aux pauvres, l’école bat de l’aile et l’eau potable manque cruellement à de nombreuses localités qui s’alimentent encore à la mare. C’est le cas du village de Tiss, à Zinder, où populations et bétail boivent à une eau insalubre d’une mare. L’eau potable reste d’ailleurs une grosse problématique jusque dans les centres urbains, comme dans la commune de Dosso.
La corruption et l’impunité, le zéro pointé du Président
La face la plus laide du tableau, c’est la corruption. Elle est endémique et a déjà rogné sérieusement les bases de l’économie nationale. Les milliardaires ne se comptent plus dans les rangs des dirigeants politiques. Plusieurs d’entre eux ont pourtant été épinglés dans des affaires de malversations financières. En toute impunité ! Ils n’ont pas été démis de leurs fonctions et le parquet ne s’est jamais autosaisi pour ouvrir une information judiciaire. À force de proclamer sa volonté de lutter contre la corruption sans faire appliquer la règle de droit de façon impersonnelle, le Président Bazoum a fini par perdre tout crédit sur le sujet. Dans la plupart des cas, il s’est contenté de faire prendre le menu fretin là où des individus accusés d’avoir détourné des milliards ne sont nullement inquiétés.Pour faire face à ses obligations et financer quelques projets, l’État passe tout son temps à contracter des prêts, tantôt dans un cadre bilatéral ou multilatéral, tantôt en lançant des émissions de bons de trésor et autres titres assimilables. Le Président Bazoum a d’ailleurs annoncé, en janvier, des discussions avec la Banque mondiale en vue de l’obtention d’un grand financement pour la construction de classes en matériaux définitifs visant à réduire considérablement le recours aux matériaux précaires. Certains observateurs ont posé la question suivante : un seul des centaines, voire des milliers de milliards détournés, permet de construire combien de classes en matériaux définitifs ?
Le Niger, un eldorado pour les auteurs de détournements de fonds publics
Au plan de la justice, le deuxpoids, deux-mesures qui a largement prévalu sous Issoufou n’a jamais pris fin avec Bazoum Mohamed. Celui-ci s’est d’ailleurs mis la corde au cou en s’’attaquant aux juges à qui il a demandé, lors la présentation des voeux de nouvel an, de ne pas interférer dans les affaires de justice pour garantir l’impunité à leurs proches. Touchés au vif, ces derniers n’ont pas hésité à mettre l’intéressé dans une posture délicate. Dans une déclaration rendue publique, le Syndicat des magistrats (Saman) a mis le Président Bazoum, par ailleurs président du Haut conseil de la magistrature, au défi de donner la preuve qu’il n’est pas l’élément de blocage d’une justice équitable au Niger.
C’est bien à l’arrivée au pouvoir de Bazoum Mohamed que les mis en cause dans le scandale des fonds de l’armée, déjà rassurés sous Issoufou Mahamadou quant à la procédure entamée, ont bénéficié d’un non-lieu parce que l’État, incarné d’abord par le même Bazoum, a décidé de ne pas se constituer partie civile. Pour les Nigériens, il n’y a pas de doute possible, le chef de l’État a protégé des individus impliqués dans des faits de corruption et de détournement de fonds publics. Pire, au regard de la gravité des actes posés, l’opinion publique nationale assimile l’acte initié et/ou cautionné par le chef de l’État à une protection délibérée de criminels qui ont mis en péril la sécurité et la défense nationale, avec tout ce que cela représente comme massacres de populations civiles et militaires, de déplacements massifs de milliers de Nigériens, de démantèlement du tissu économique, etc.
Le 2 avril prochain, Bazoum Mohamed est attendu précisément sur la question de l’insécurité. Va-t-il annoncer de grandes décisions comme la visite du chef d’État-major des armées à Bamako le laisse entrevoir ou va-t-il livrer un discours à l’eau de rose comme il le fait depuis deux ans ?
Laboukoye