Dans un rapport rendu public en août 2019, le Fonds monétaire international (Fmi) a sérieusement épinglé la gouvernance au Niger, marquée par une corruption endémique, répandue et enracinée. La politisation des services publics, l’absence de contrôles administratifs et les défaillances du système judiciaire note le Fmi, constituent autant de terrains propices à la corruption. Et cette corruption, précise le Fmi, implique aussi bien la corruption mineure (bureaucratique) que la grande corruption politique à grande échelle impliquant des responsables de haut niveau. Des pratiques financières douteuses, dans les entreprises publiques, à l’existence de contractuels fantômes, en passant par les recrutements irréguliers dans les secteurs de l’éducation et de la santé, le rapport du Fmi brosse un sombre tableau de la gouvernance de Mahamadou Issoufou. Autant dire que c’est une gifle retentissante qui est loin des classements douteux d’organisations tout autant douteuses.
Selon une définition communément acceptée, la corruption est l’abus d’une fonction publique en vue d’obtenir des gains privés (FMI, 1997) ; elle peut prendre des formes diverses, allant de la corruption « mineure » (à petite échelle) et bureaucratique à la corruption politique à grande échelle impliquant des responsables de haut niveau. L’initiative « Maïboulala » (le fouet) du président Issoufou contre la corruption lancée au début de son second mandat, en 2013, a révélé des pratiques financières douteuses dans les entreprises publiques, du favoritisme dans les douanes, l’existence de contractuels « fantômes » ainsi que des recrutements irréguliers dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Néanmoins, beaucoup reste à faire pour améliorer la situation sur le terrain. Dans une récente enquête officielle, 86 % des répondants ont fait état d’une corruption étendue au Niger, l’administration des douanes et celle des impôts étant considérées comme les plus corrompues devant la police et les services chargés de la passation des marchés publics. Les organisations politiques, la société civile et les chefs traditionnels ne sont pas non plus épargnés, bien qu’à des degrés divers. Selon l’enquête 2017 de la Banque mondiale auprès des entreprises, la corruption figure au quatrième rang des principaux obstacles à la conduite des affaires.
Bien que la plupart des indicateurs récents de la gouvernance confirment les résultats de l’enquête officielle, la corruption semble en moyenne un peu moins répandue au Niger qu’en l’ASS.
L’Afro baromètre indique que, dans presque toutes les catégories de la société, la perception de la corruption est inférieure à la moyenne de l’UEMOA et de l’ASS. Bien que 62 % des répondants au Niger aient le sentiment que le niveau de corruption dans le pays a augmenté l’année précédente (contre respectivement une moyenne de 46 % et 51 % dans l’UEMOA et l’ASS), ils sont relativement moins nombreux à mentionner la nécessité de verser un pot-de-vin pour avoir accès aux services publics de base. L’indice de perception de la corruption de L’auteur Transparency International (TI–IPC) et l’Indicateur de la gouvernance dans le monde afférant à la maîtrise de la corruption (WGI– CCI) laissent penser que le Niger fait mieux que la moyenne de l’ASS. En revanche, son score est inférieur à la moyenne de l’UEMOA selon le projet Varieties of Democracy, sauf pour la corruption en matière judiciaire, qui indique dans quelle mesure les particuliers ou les entreprises proposent un pot-de-vin pour faire pencher les décisions de justice en leur faveur.
L’enquête officielle cite une conjonction de facteurs pour expliquer la prévalence de la corruption au Niger.
La politisation des services publics, l’absence de contrôles administratifs et les défaillances du système judiciaire, dont sa capacité limitée à faire respecter la loi, constituent un terrain propice à la corruption. Cette situation est encore aggravée par la faiblesse des rémunérations dans le secteur public, le manque d’intégrité professionnelle et la perte de valeurs civiques.
Les conséquences macroéconomiques défavorables de la corruption ont été abondamment décrites dans la littérature.
La corruption peut, de diverses façons, empêcher l’État de réaliser une croissance durable et équitable. Elle est susceptible d’aboutir à des résultats économiques sous-optimaux en abaissant la quantité et la qualité de l’investissement public et privé, mais aussi en compromettant la capacité de l’État à exercer ses fonctions de base, notamment la levée de l’impôt et la prestation de services publics. Elle crée des distorsions dans l’utilisation des fonds publics en détournant les ressources vers des projets ou des activités qui offrent les plus grandes possibilités de versement de pots-de-vin, habituellement au détriment des dépenses sociales. En outre, la corruption compromet la stabilité monétaire et financière, tout en sapant la confiance des citoyens à l’égard des institutions et des procédures publiques.
À partir de là, la présente étude décrit le cadre de lutte contre la corruption du Niger, explique comment des réformes plus générales du secteur public peuvent contribuer à réduire la corruption. Elle évalue aussi l’incidence de la corruption sur le secteur privé et propose des mesures pour faire avancer la lutte contre la corruption.
Dans l’esprit de la note d’orientation de 2018 du FMI, elle accorde une attention particulière aux faiblesses de gouvernance qui engendrent habituellement la corruption. Après avoir fait le point s des institutions anti-corruption au Niger ainsi que sur le système de déclaration des biens et le cadre de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, l’étude s’intéresse aux réformes plus générales qui ne ciblent pas explicitement la corruption, mais apportent une contribution indirecte en réduisant la susceptibilité à la corruption. Il s’agit de réformes des régies financières, de la gestion des finances publiques (GFP) — notamment pour les marchés publics et les investissements —, de la gouvernance des entreprises publiques, de la gestion des ressources naturelles et de la transparence budgétaire. L’étude discute ensuite comment une faible gouvernance du secteur public influe sur la conduite des affaires par le secteur privé et conclut par des suggestions pour faire avancer la lutte contre la corruption au Niger.
Malgré des avancées significatives, des lacunes subsistent sur le plan juridique, institutionnel et opérationnel.
Le Niger ne se conforme pas pleinement aux obligations de la CNUCC, le rapport de 2016 sur l’application des chapitres III (incrimination, détection et répression) et IV (coopération internationale) a signalé des déficiences du cadre juridique. Ce sont, par exemple, l’absence d’incrimination pénale de la corruption active d’agents publics étrangers ainsi que de dispositions et d’accords permettant de mener des enquêtes conjointes avec d’autres États. Bien qu’elle jouisse de prérogatives supplémentaires, la HALCIA reste rattachée à la présidence de la République, manque d’autonomie financière et se heurte à des contraintes en matière de ressources financières et humaines qui gênent ses activités et restreignent son indépendance. Alors que l’agence de lutte contre la corruption a été saisie d’un grand nombre d’affaires, elle n’en a référé jusqu’à présent qu’une poignée au procureur de la République. Les sanctions ne sont guère appliquées — à ce jour, trois affaires seulement ont entraîné des condamnations —, ce qui s’explique en partie par les faiblesses institutionnelles du système judiciaire. Certains exemples laissent penser que les auteurs de délits sont généralement libérés s’ils peuvent rembourser les fonds détournés. De même, la Ligne Verte est sousfinancée et, jusqu’à maintenant, aucune des plaintes qu’elle a reçues n’a eu de suites judiciaires. Enfin, la multiplicité et le chevauchement des missions des entités qui supervisent l’usage des fonds dans le secteur public contrastent avec les ressources limitées signalées par les organes de contrôle. ( Source FMI )
21 septembre 2019
Source : Le Courrier