Monsieur le” Président” Je ferais sans doute preuve de mauvaise

grâce en ignorant ce superbe geste que vous avez eu en échangeant au téléphone avec le chef de file de l’opposition. Si j’ignore de quoi vous avez parlé avec lui, je sais par contre que, entre autres choses, vous lui avez présenté vos condoléances et votre compassion. J’aurai voulu vous voir le faire dans son salon, face à lui, assis humblement comme le recommande la religion musulmane. Vous l’avez fait ailleurs, dans des circonstances similaires et le sentiment populaire induit par cet échange téléphonique que vous avez eu avec Hama Amadou, le samedi 16 novembre, aurait connu une plus grande audience auprès de l’opinion nationale si vous aviez fait l’effort d’aller le faire sur place, à la résidence de Hama Amadou. C’est un détail, certes, important que j’ai tenu à relever mais qui n’enlève rien au courant d’espoir que votre coup de file à Hama Amadou a suscité au sein de nos compatriotes. De toutes parts, ce geste a été salué et c’est tout en votre honneur.

Monsieur le” Président”

Le président du Moden Fa Lumana Africa, Hama Amadou, est revenu au pays, mettant ainsi fin à trois années d’exil. Ce retour au bercail du chef de file de l’opposition, quoi qu’inscrit dans le cadre du deuil qu’il porte, suite au décès de sa mère, a été un évènement politique d’envergure. Je puis vous confier que le deuil a été presque oublié, faisant place aux perspectives politiques qui s’ouvrent désormais avec le retour de Hama Amadou au pays. Dans un contexte où l’on parle de dialogue politique et de la nécessité de décrisper le climat politique national, vous avez une lourde responsabilité. Vous l’aviez déjà de par vos hautes fonctions et les pouvoirs que vous exercez ; elle vient d’être portée à son pinacle avec le retour de Hama Amadou au pays. Tout le pays vous observe et attend que vous donniez les meilleurs gages pour ce dialogue politique national dont vos compatriotes attendent beaucoup.

Monsieur le” Président”

Je ne suis pas dans les secrets des dieux. Je ne sais pas non plus ce que vous vous êtes dit, le jour où vous avez appelé Hama Amadou. Pourtant, je m’aventure à estimer que les barrières sont tombées et que plus rien ne vous empêche désormais de sonner la fin de la discorde. Ce pays a besoin d’accalmie et de concorde. Nous ne pouvons pas nous permettre de le maintenir dans cet esprit de discorde continue, de confrontations politiques alors que l’essentiel est ailleurs. L’essentiel, c’est l’école qui sombre, c’est la santé qui devient de plus en plus inaccessible à nos compatriotes, c’est l’eau potable qui fait parfois défaut jusque dans les grands centres urbains, c’est l’agriculture qu’il faut développer pour donner à manger à nos compatriotes, etc. Est-il admissible que nous continuons à nous détruire, les uns les autres, alors que tant de défis attendent d’être relevés ? Est-il admissible de consacrer des ressources financières importantes pour chercher à détruire un adversaire politique alors que, juste à côté au Sénégal, des enfants nigériens sont mis à la porte de la cité universitaire pour cause d’impayés de la part de l’Etat ? N’est-ce pas une honte pour nous, adultes, que l’on dise que les universités publiques ne peuvent même plus honorer des frais de vacation et autres dépenses de fonctionnement alors que des individus sont accusés d’avoir détourné des milliards ?

Monsieur le” Président”

Nous devons assurément changer de paradigmes dans nos rapports entre l’Etat et les individus. Notre Niger se trouve à un tournant décisif et c’est vous qui détenez la manette de l’orientation. Qu’il vous plaise de faire taire tous ces oiseaux de mauvais augure qui essaient de faire enterrer le dialogue politique avant même qu’il commence. Qu’il vous plaise également de définir clairement des orientations pertinentes pour ce dialogue politique qui déterminera notre destin commun. Le dialogue est une voie commandée par la sagesse. Je sais à quel point vous êtes confronté à un choix difficile, mais sachez que la difficulté, c’est de faire droit à ceux qui cherchent à vous mettre sur une autre voie. Le dialogue, c’est la voie du peuple nigérien qui aspire à une vie politique moins tumultueuse. Le dialogue, c’est le choix du peuple nigérien qui espère la fin de cette guéguerre politique qui nous fragilise dans un contexte sécuritaire où les filles et les fils du Niger ont plus que jamais besoin d’union et de cohésion. Le dialogue enfin, c’est un chance, ce n’est pas une faiblesse. Il faut la saisir afin que le Niger, votre pays, notre pays, puisse retrouver ses marques, longtemps diluées dans une gouvernance dans laquelle vous n’auriez jamais dû vous engager. Mais bon, l’erreur est humaine et ceux qui savent faire amende honorable face à leur peuple sont des hommes remplis d’humilité. Et Dieu aime les hommes humbles.

Monsieur le” Président” Je vous ai servi dans l’anonymat total, parfois en vous égratignant et en vous adressant des propos peu amènes, mais c’est toujours dans l’optique de rendre service. A travers votre personne, au Niger, mon pays, auquel je suis particulièrement attaché. Je vous ai donc servi de façon si atypique que vous ne me considérez sans doute pas comme un conseiller mais un détracteur. J’admets volontiers avoir dérangé, mais c’est parce que ma conscience ne pouvait pas admettre et cautionner certaines choses qui font mal au Niger. Je ne cautionne pas l’injustice, tout comme je peux admettre que l’on laisse en liberté un homme qui a fait main baisse sur des milliards de l’Etat, encore moins de voir des hommes impliqués dans un trafic de drogue continuer à servir de conseillers dans les plus hautes institutions. J’ai donc des principes au travers desquels, en disant ce que je pense, parfois par des coups de gueule, je l’admets, je pensais vous aider à corriger ou à éviter des choses. Aussi, en attendant que vous posiez, pour l’amorce de ce dialogue qui tarde à commencer, des actes encore plus lourds que ce coup de file à Hama Amadou, je voudrais vous assurer de ma pleine disponibilité à continuer le boulot afin de vous accompagner et soutenir dans le cadre du dialogue politique.

Mallami Boucar  

27 novembre 2019 
Publié le 20 novembre 2019
Source : Le Monde d'Aujourd'hui