Malgré cette clarté sur leur innocence, le régime les maintient en prison et c’est à juste titre que leurs proches et amis considèrent qu’ils sont victimes d’une certaine justice dite à double vitesse. De fait, ils ont raison de crier au scandale. Le scandale d’une justice qui maintient des innocents en prison tandis que les auteurs de détournements de plusieurs milliers de tonnes de riz, notoirement identifiés puisque les preuves de leur délit ont été publiées, circulent librement parce qu’ils seraient de la classe des justiciables privilégiés par leurs noms, leur appartenance à un parti politique ou leur proximité avec tel ou tel personnage de l’État. La dernière livraison du journal ‘’Le Courrier’’ a formellement établi les responsabilités dans le détournement et la vente de l’aide alimentaire pakistanaise. Mais le Parquet, si prompte à sévir lorsqu’un citoyen, membre de l’opposition politique, exprime sa colère, son indignation et sa révolte face à un tel traitement dont ils sont victimes dans leur propre pays, est resté l’arme au pied, aveugle et sourd. Pourquoi cette discrimination vis-à-vis des citoyens d’un même pays ? Et dire que la Commission africaine des droits de l’homme n’a trouvé aucun pays à choisir pour accueillir sa session que le Niger où seuls ceux qui sont affiliés au pouvoir ont des droits.
Alors que les grands commis de l’Union africaine tiennent leur session à Niamey, par deux fois, le maire du Conseil de ville de Niamey, qui ne décide sans doute de rien, a pris des arrêtés pour interdire des manifestations pourtant déclarées, officiellement, pacifiques. Mais ce n’est pas ça le plus grave. Le plus grave qu’aucune rencontre internationale ne saurait dissimuler, c’est cette réaction du Parquet face à ses missions. Le scandale du détournement de l’aide alimentaire pakistanaise met à nu les pratiques peu orthodoxes qui ont cours au Niger. Des pratiques qui ont élargi le fossé entre la les justiciables et la justice, accusée de parti pris dans un jeu politique où elle devrait rester neutre et arbitre. Les magistrats en sont conscients et beaucoup d’entre eux en sont malades. Car ils savent que les pratiques actuelles auront un impact négatif profond sur la perception de la justice par les citoyens. À moins que des mesures draconiennes et courageuses viennent en estomper les effets.
Vérité pour vérité, il faut sans doute éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain. Car, tous les juges ne sont pas à la même enseigne. Il y en a qui savent le poids de la responsabilité de la justice dans une République démocratique. Ceux-là font attention à ne jamais confondre les rôles au point de s’assimiler à ceux dont ils doivent en réalité se méfier. Le danger pour le juge, dit-on, ne vient pas du citoyen, mais bien de l’homme politique. C’est pourquoi un juge doit, en toutes circonstances, savoir raison garder et s’en tenir strictement au respect du droit. Ce qui lui garantit une carrière pleine de promesses et de respect éternel de la part de ses concitoyens. Toute autre voie est suicidaire. N’est-ce pas pour cette raison que l’on dit que le juge est un homme qui a son destin en main. Tout dépend de ses choix : servir la justice et grandir ou servir des hommes et cesser d’exister en tant que juge.
Idé Kalilou ; Bakary Saïdou et Malla Ary vont-ils continuer à garder prison jusqu’à quand ? Ceux qui, par mauvaise foi ou par goût de l’injustice, considèrent que la justice doit être le fait du gouvernant du moment ignorent sans doute ce qu’est la privation de liberté. Qu’ils soient juges ou grands commis de l’État jouissant des privilèges et faveurs du régime, ils doivent savoir que l’injustice n’a jamais profité à personne. Elle vous donne l’impression d’être un être supérieur aux autres, mais elle vous fera goûter ; tôt ou tard, aux souffrances de vos exactions. Certains vont jusqu’à se créditer d’un courage et d’une bravoure qu’ils n’ont, évidemment, pas. À l’inverse, ils accusent ceux qui, par réalisme, et donc par intelligence, refusent les “suicides” volontaires, particulièrement dans un pays où, récemment, les forces de l’ordre ont fait la preuve de leur manque de professionnalisme, mettant tout dans les gaz lacrymogènes et les gourdins. C’était sur le campus universitaire, franchise en principe inviolable, mais qu’elles ont envahi et où, au bout de violences inouïes, un étudiant a trouvé la mort.
Ainsi va le Niger, sous Mahamadou Issoufou.
23 mai 2017
Source : Le Canard en Furie