Au Niger, la tricherie et le vol s’industrialisent et se légalisent dans l’indifférence des pouvoirs publics devenus eux aussi des acteurs d’un crime qu’ils ne peuvent combattre. Tout le monde, ou presque, trouve normal qu’on s’en sert pour réussir. Comme dirait Machiavel, « la fin justifie les moyens ». Dans ce pays, le mérite et l’effort ne comptent plus. C’est le résultat qui compte, pas le moyen, encore moins la manière. Partout, pour réussir, l’on se sert du système D. Chacun se débrouille comme il le peut. Chacun cherche des raccourcis pour parvenir. On n’a plus honte de voler et de tricher : dans les écoles, c’est à ciel ouvert que les enfants trichent, ça ne leur dit rien. En politique on vole au su et au vu de tout le monde pour se placer sur une fortune que rien ne peut justifier, en tout cas pas des revenus – le salaire en l’occurrence – légalement mérités, et cela ne gêne personne dans le pays, tellement les « voleurs » sont enviés. Ceux qui réussissent l’exploit sont même gonflés de vanité à narguer les honnêtes citoyens, fiers de leur vol, aujourd’hui. Hélas.

C’est donc ce qu’est devenu le Niger. Kountché doit se retourner dans sa tombe. La bonne graine qu’il a semée, par une démocratie louvoyée, a piraté la belle semence pour en donner un produit hybride, contrefait, carrément à l’antipode des valeurs qui ont jusqu’ici défini l’homme nigérien alors connu pour son intégrité, et son abnégation au travail. Cela fait des années qu’on dénonce cette dérive, mais personne ne peut entendre, personne ne peut écouter. Et le pays dégringole du haut de sa belle réputation d’une époque pour être la risée des autres, important sa mendicité pour étaler à la porte des autres notre misère, notre propension à aimer le gain facile alors que des milliardaires poussent dans le pays comme champignons. A l’école, on vient chercher la facilité. En politique on crée la facilité et on vole. Quelles pratiques ne peut-on pas voir aujourd’hui dans notre administration qui jurent d’avec les bonnes manières ? Dès lors que les gens refusent la transparence dans le travail de l’administration, l’on sait que c’est pour cacher des mauvaises pratiques. On croit se cacher, mais on est à ciel-ouvert. Les Nigériens ne sont qu’interloqués à entendre que l’Assemblée Nationale, celle-là même qui soit contrôler l’action du gouvernement pour éviter que le gouvernement ne vole, refuse de se faire auditer sans doute pour qu’on ne voit pas ce qu’elle vole au peuple qu’elle est censée représenter et défendre. Quand celui qui doit empêcher le vol vole, ne devenant ainsi plus crédible, sur qui compter dans le pays pour que les choses aillent mieux ? Nos enfants nous regardent faire, et ils veulent nous ressembler. C’est normal. De qui se plaindre. Nous avons nos enfants. Ils nous ressemblent tragiquement.

On s’étonne depuis des jours des vagues d’arrestations opérées dans les rangs des candidats au baccalauréat, et les Nigériens sont devenus malades à voir leurs enfants partir en prison pour avoir volé, pardon triché, et ce dans le but de gagner leur parchemin parce que sans doute, ils ont appris que c’est de mode dans le pays. Et pour cause, ils ne sont pas formés pour avoir confiance en eux-mêmes, pour croire à leur intelligence. Le mal n’est pas nouveau dans notre école. Et à la vérité, faut-il avoir le courage de le reconnaitre, nous en sommes tous coupables. Responsables scolaires, des enseignants, des parents – donc pas tous – font croire aux enfants qu’une voie existe pour réussir sans effort à l’école : celle de la tricherie, celle de la corruption surtout. C’est ainsi que le phénomène s’est industrialisé, et a pris des proportions inquiétantes, au point où l’on se demande, comment peut-il être possible d’arrêter la dérive. Aussi, depuis que l’enseignant, par la misère qu’il étale, à l’école et dans la société, n’est plus un modèle pour l’apprenant, tous luttent – pardon vole – pour ne pas lui ressembler.

Pourtant, ces enfants ne font que ce que notre société a voulu qu’ils soient, des enfants dignes de leur époque pour être ce à quoi, nous avons tous, par nos démissions, travaillé. Comment s’étonner que le fils sache voler quand le père s’y est bien rodé ? Pourquoi donc condamner un enfant qui aura eu le mérite d’assumer un héritage que les aînés lui lèguent ? Pourquoi donc s’offusquer que le fils, comme pour montrer qu’il est digne de son ascendance, sache poser ses pas dans les pas d’un père qui lui a donné l’exemple pour lui montrer la voie et montrer ainsi qu’il apprend bien de lui ?

On a refusé de leur apprendre la rigueur, la fierté de soi, et surtout de ce que, en tout, il faut compter sur soi. A-t-on franchement raison de s’acharner contre ces enfants qui, malheureusement pour eux, n’ont même pas réussi leur coup pour oublier des pères qui, eux, sans doute plus raffinés dans l’industrie, ont réussi à marauder, devenant même puissants à se placer au-dessus des lois pour être intouchables ? Comment peut-on donc s’agripper à ces enfants que nous avons mal éduqués, surpris dans la tentative, et faire preuve d’une mollesse agaçante à l’égard de ceux qui ont passé à l’acte et ont empoché le magot pour nous narguer par la suite, oublieux de ce que leur acte les couvre d’infamie ?

Lorsqu’on donne des faux diplômes, de faux grades, de faux marchés parce que non exécutés, si souvent ils ne le sont qu’à moitié exécutés mais bien payés rubis sur ongle, lorsqu’on montre qu’on peut toujours arranger pour l’autre et que la Justice ne peut rien contre ceux qui se jouent des lois, croit-on que ces enfants n’aient pas d’audace à braver les intimidations d’une Halcia pour croire que leur expertise dans la triche est d’autant sophistiquée qu’ils peuvent s’en sortir. Et puis, quoi, ils voient, presque tout le monde le faire : tout le monde triche. Le ministre, le grand commis, le gendarme, le policier, l’enseignant, les camarades, les chefs d’établissement, le mari, l’épouse et même les amants. C’est donc cela que l’on est en train de produire, et de reproduire, depuis 1990, quand la démocratie vint nous surprendre, sans savoir trop ce que nous devons en faire.

Le problème, ainsi qu’on peut le voir, est très profond et va au-delà de ces pauvres enfants qui ne sont qu’une extension du problème et qui ont cru que les mêmes méthodes peuvent encore avoir cours pour s’en servir impunément car, peuvent-ils croire, pourquoi ne doivent-ils ne pas mériter les mêmes impunités et les mêmes indulgences qu’on accorde aux grands bandits d’Etat ?
Notre société est dans une faillite morale profonde : pour avoir une belle femme il faut voler, pour avoir une belle maison il faut voler, pour avoir un poste, il faut voler, pour avoir un diplôme il faut voler, pour aller dans de grandes écoles il faut voler, pour aller au pèlerinage il faut voler, et même pour voler, il faut voler un nom, une signature, un cachet, une écriture. Où allons-nous donc ? Et c’est cela que la démocratie nous a apporté avec une élite qui ne croit à rien sinon qu’à sa seule réalisation, n’ayant que faire de ce que le pays avance.

Le mérite ne compte plus. Il faut avoir des relations, sinon avoir de l’argent. Quelquefois, être femme, car cela aussi compte. C’est terrible. Par ces faits, notre société, en elle-même porte ce qui la bloque et l’empêche de progresser car ainsi, elle ne fait que perpétuer la nullité, que promouvoir la médiocrité. Pendant dix ans qu’Opposants, acteurs de la société civile et citoyens lambda crient pour dire qu’on gouverne mal et que personne au coeur du pouvoir ne peut les écouter, l’on ne peut s’étonner d’en arriver là. Les centrales, elles, se sont tues. Par leurs silences complices, elles sont aussi comptables.

Comme dirait l’autre, nous sommes allés loin, très loin, sans nous en rendre compte. Or, il est difficile de s’en sortir, si l’on doit continuer à mal poser le problème, pour ne voir que les complexification externes, incapable de voir ses profondeurs, un peu comme si on ne voit que les feuilles et les fleurs de l’arbre, oubliant de tenir compte des racines qui le font tenir si solidement. Comment donc oublier les racines du mal : nous ne donnons pas le bon exemple à nos enfants. Comment voudra-t-on, quand le père vole au su et au vu de tous, que le fils ne s’en inspire pas pour réussir par les mêmes moyens, dans l’indignité ?

Notre société est aujourd’hui déréglée : elle a érigé le mal et le vol en vertus, l’intégrité et l’effort en tares. Des gens n’ont rien fait, ils n’ont exécuté aucun marché, mais en trafiquant quelques documents ils s’en sont sort avec des milliards et sont devenus riches. C’est la grande industrie de la triche dans le pays qui a produit souvent des milliardaires insolents.

Et la renaissance culturelle n’a rien pu pour renverser la tendance. Au contraire, elle a promu et encouragé les contre-valeurs. Et, peut-être, avec le recul, peut-elle être triste à voir le plus haut tas de voleurs qu’elle a produit en dix années de « wassosso » et d’impunité pour nous humilier à la face du monde.

Pour que tout change, l’école doit changer, c’est crai. Mais, gouvernant, nous devons changer nos comportements pour inspirer par le bien, par un comportement exemplaire, irréprochable, une jeunesse montante qui a besoin de modèle pour se construire.

 Elhadj Omar CISSE