Le Sahel, depuis des années, est traversé par différents mouvements terroristes aux revendications obscures, en tout cas jusqu’ici pas connues officiellement. Alors qu’ils tuent dans les mosquées, et qu’il brûle des écoles, s’attaque souvent à des ecclésiastiques, ce qui, du reste, fait confusion, personne ne saurait dire a fortiori comprendre le combat de ces hommes parmi lesquels il faut distinguer deux catégories. Il y a peut-être ceux qui, affiliés à l’E.I. et qui, sans que sur cet espace déjà fortement islamisé, leur lutte ne trouve sens, peuvent prétendre mener un djihadisme au nom d’un Dieu dont ils bafouent les principes notamment du respect de la vie de l’autre. Il y a aussi ceux qui – et ils sont les plus nombreux sans doute – profitant de cette première situation de désordre, se servent de cet alibi, pour mener un banditisme opportuniste par lequel, tuant et volant, terrorisant et arrachant du bétail et imposant une dîme, ils font croire qu’ils sont avec les premiers, et qu’ils mèneraient un combat au nom d’Allah. Et depuis des années, au coeur de ces confusions, le Sahel est devenu le nouveau bled, une poudrière qui a profité de la fragilisation des Etats par une démocratie louvoyée, extravertie, trafiquée pour rendre le Sahel extrêmement vulnérable. Mais alors pourquoi, depuis des semaines, l’on n’entend que des colères au Sahel, au Burkina, au Mali et au Niger notamment ? Les raisons de ces malaises sont politiques, militaires, (les deux étant liées) et géopolitiques.
Des démocraties en faillite dans des Etats en faillite…
Nous l’avons souvent dit, nos démocraties ont eu la malchance de tomber dans les mains de ceux qui, à la faveur des conférences nationales, avaient un discours révolutionnaires mais qui, en réalité, mentaient aux peuples et à la démocratie, et venaient au pouvoir avec un agenda caché à savoir se remplir les poches, ou régler des comptes à l’Histoire, à une certaine classe politique. Depuis trente années que nos Etats sont en démocratie, l’on ne peut voir partout que des régressions, la gouvernance n’ayant jamais connu la qualité que l’on promettait. Au contraire, les tares se sont exacerbées, les maux dénoncés se sont davantage enracinés, et depuis, la démocratie contrefaite qu’on installait, avait fini par promouvoir les contre-valeurs dénoncées. La démocratie est venue plus pour diviser que pour renforcer et cimenter la cohésion nationale, plus pour assoir l’injustice que pour promouvoir une société égalitaire, faite de justice sociale, plus pour mentir aux peuples que pour leur dire la vérité, plus pour dilapider et voler les deniers publics que pour les protéger et les gérer au mieux du bonheur des peuples. Pour ainsi dire notre démocratie a surtout eu la malchance d’être conduite par des gens qui ne sont pas des démocrates et qui, en fait, n’ont jamais cru à la démocratie et à ses valeurs pour en être, dans la pratique, à l’oeuvre, ses garants et ses promoteurs. Pire, dans cet espace, il n’y a jamais eu d’élections qui ne soient pas contestées, et depuis des années, ses pays souffrent d’avoir des dirigeants illégitimes qui ne peuvent souvent se maintenir que par le soutien d’une France qui défend ses intérêts et qui ne peut se passer de larbins à lui assurer l’exploitation et une recolonisation en sourdine de ses anciennes colonies, ou par une armée déviée de son rôle républicain pour en faire, par sa hiérarchisation partisane, régionaliste ou ethnique, une armée au service d’un homme si ce n’est d’un clan.
Or, tant que les pays n’auront pas à leurs têtes, des hommes que les peuples auront choisis, l’on n’aura ni démocratie, ni stabilité, ni progrès. Le malheur du Sahel est la mauvaise gouvernance, la qualité piètre de sa démocratie. Ce sont là, comme dirait l’autre, les péchés originels qui nous causent tant de malheurs. C’est dire que tant qu’on n’aura pas une démocratie de qualité, des élections de qualité et que les peuples auront l’impression que leur démocratie est détournée, braquée, et tant qu’ils auront la conviction qu’on leur aura imposé des dirigeants, alors ces pays ne vivront jamais en paix. Le Mali est un bel exemple quand on voit comment le peuple, se battant à reconquérir sa démocratie, fait bloc derrière ses dirigeants même issus d’un coup d’Etat qui chasse justement des hommes qui ne sont à la hauteur et qu’il peut considérer peut-être comme des pions de la France dans le dispositif françafricain macronien ou comme étant à la base de la situation désastreuse que traverse le pays. Ce combat du peuple malien est noble et juste et dans ses choix, le Mali est déjà allé trop loin pour ne plus envisager un retour en arrière, surprenant la France et sa CEDEAO-marionnette agitée depuis des jours à ne jamais savoir ce qu’elle doit faire face à la situation : aider le peuple malien à se relever de l’abaissement ou aider la France à recoloniser, à agenouiller un Mali qui aspire à être désormais debout ; la seule voie de la dignité qu’il montre aujourd’hui fièrement aux autres peuples qui hésitent, toujours tenus entre les mains de leurs dictateurs, mal élus ou autres pions de Macron dans nos pays. La France sait pourtant que lorsqu’un pays est mal géré, que lorsqu’un peuple n’a pas les dirigeants qu’il s’est choisis et qu’il mérite, jamais il ne peut y avoir de paix dans de tels pays. Pour quel intérêt alors, le sachant, la France continue-t-elle à vouloir tout décider pour nous, à notre place, à la place de nos dirigeants et de nos peuples ? Et les malaises sont d’autant profonds que les fautes sont flagrantes : des élections bancales, souvent terrorisées, un gangstérisme politique par lequel, un homme impose à un peuple ses choix, le pays spolié de ses biens dans l’impunité avec ces nombreux marchés tachés d’irrégularités, avec l’achat dans des conditions douteuses d’armes et de munitions défectueuses, d’un avion présidentiel avec son système anti-missile payé rubis sur ongle mais sans que le pays ne soit jamais posé sur ledit appareil, avec une gestion opaque du pétrole, une gestion sectaire de l’administration publique, avec une réappropriation de sociétés d’Etat par le recrutement abusif et clanique qui s’y opère, avec des résultats scolaires les plus catastrophiques d’une école aujourd’hui à la dérive, avec la réalisation d’infrastructures surfacturées et souvent qui ne servent même pas, qui n’ont jamais servi et qui ne serviront sans doute jamais, avec des aides détournées en nature (riz pakistanais) ou en espèces – Prêt congolais, prêt Eximbank). Pour le cas du Niger, c’est cela le triste record pour lequel des griots du système veulent imposer le panthéon pour un homme dont la politique a pourtant divisé, stratifié les Nigériens en bons et mauvais, et détruit l’économie aujourd’hui placée dans des villas pour être la fortune de particuliers souvent sorti du néant. Mais personne d’échappera au jugement de l’Histoire. Tôt ou tard. N’est-ce pas Blaise ? N’est-ce pas IBK ? N’est-ce pas Alpha Condé ? Un jour ou l’autre, on payera ses laxismes et ses crimes.
Les malaises militaires…
La démocratie, après avoir laissé la politique traverser toutes les couches sociales, même là où les Constitutions lui interdisent formellement de se hasarder, à l’école et au sein de la chefferie notamment, elle finit par infiltrer les syndicats, et même les armées. Dans la peur des coups d’Etat, des hommes politiques sans éthique et sans conviction, ne pouvaient que gérer autrement ces composantes essentielles de la nation, tenues de ne servir que la République. Généralement, par une certaine lecture étriquée, l’on peut accuser des hommes et ne voir le mal que de leur côté oublieux de ce que l’armée est un corps ou plus qu’ailleurs, le sentiment du nationalisme est le mieux cultivé. Il suffisait pour s’en convaincre de se demander, pour le cas du Niger, à qui Kountché faisait un coup d’Etat 1974 ? Sont-ils de la même région ?
Et à qui Baré faisait un autre ? Mais surtout en faisant son coup d’Etat, à qui Salou Djibo remettait le pouvoir en 2011 ? On voit qu’en ne regardant que ces exemples, les allégations de certains hommes politiques sans vision, tombent, presque sans objet, en tout cas pas pour servir l’agenda qu’ils peuvent poursuivre dans leur égarement. Or, ces pays, qu’ils s’appellent ou le Burkina, ou le Mali ou le Niger, restent d’abord, par notre choix forcé de vivre ensemble, des Nations. Il est dommage que ceux qui ont harangué les foules pour aller à la conférence nationale aient ces idées rétrogrades, ces regards limités, trop réducteurs. En rentrant dans les casernes pour déstructurer la hiérarchie militaire sur des considérations qui ignorent les qualités intrinsèquement militaire et humaine des hommes pour inciter à faire de la politique alors que la démocratie les en interdits, l’on a détruit une des bases solides de l’armée à savoir une hiérarchie professionnelle, compétente, valeureuse et l’on a, en sus, ainsi affaibli l’institution militaire à un moment où, du fait du terrorisme et de ses conflits sous-jacents, plus que jamais besoin autant de sa cohésion que de la force des bras pourtant valeureux qui la composent dans la diversité de notre peuple dont elle n’est que le reflet le plus complet. Les contre performances des armées aujourd’hui décriées par les populations ne sont pas étrangères à ces situations sciemment créées au sein des armées. Dans ce domaine aussi essentiel, tant qu’on ne gouverne pas en laissant le critère de compétence et de la valeur intrinsèque des hommes décider au choix des hommes, on ne peut que continuer à avoir des armées boiteuses, peu efficaces. L’homme qu’il faut à la place qu’il faut, comme dans l’administration, est ici aussi le choix responsable car pour l’armée, c’est moins les redoutables armes dont elle dispose qui font sa puissance que la bravoure et le professionnalisme des mains qui les tiennent pour nous protéger.
De la géopolitique…
L’Europe, et la France en tête, rêve d’une nouvelle occupation de nos pays et d’une recolonisation d’espace qu’elle garde en secret comme des réserves pour les générations futures d’une Europe peu riche en ressources que lui demandent ses progrès et ses ambitions géostratégiques. Beaucoup d’analystes estiment que ce terrorisme a été à dessein importé sur cet espace pour s’en servir comme prétexte à occuper le Sahel et conséquemment, à exploiter les pays sahéliens qui regorgent – c’est connu – d’immenses richesses dont ont besoin la modernité, les progrès des science et l’avenir d’une Europe menacée par les Etats d’Asie qui risquent de la surclasser et qui, de plus en plus, sont présents sur le continent pour lui ravir des marchés et des intérêts. Les pays africains, à travers ce que vit le Sahel, vivent une nouvelle aube pour le saccage de ses richesses. Les populations ont compris cet autre enjeu caché de la guerre en cours au sahel surtout quand sur le front de guerre, elles ne voient rien de ce que les alliances militaires internationales apportent quant à l’amélioration de la situation sécuritaire qui ne fait que s’empirer. Et depuis des semaines, pour ne pas dire des mois, au Sahel, face aux défaillances des armées et les gros discours interminables inefficaces, les colères sont en train de prendre forme au point où les populations excédées, commencent à prendre en main leur sécurité, s’organisant en milices d’auto-défense, ce qu’un certain discours présidentiel dit être normal là où l’Etat n’est plus présent. Une parole qui avait beaucoup effrayé les Nigériens. Puisse-t-il que les Nigériens n’aient plus que cette solution ? Le recadrage du message envoyé chez Jeune Afrique est venu à Banibangou. Mais a-t-il été entendu ?
Ras-le-bol…
Au Mali, le peuple réveillé plus tôt, est loin dans son choix, résistant à tout, soudé derrière les autorités de la transition qui, en écho à l’engagement du peuple, tiennent un discours de fermeté à l’égard de la communauté internationale. Les Maliens sont sur la voie de leur libération définitive et on comprend aujourd’hui que beaucoup d’Africains leur expriment de la compassion, de la solidarité dans leur engagement. Ceux qui condamnent sur le continent, ne sont que ces dirigeants malaimés qui ne gouvernent pas pour les peuples mais pour la France et pour la géopolitique internationale dont l’ambition est désormais claire : recoloniser et re-exploiter l’Afrique.
Ce réveil semble faire école, et ailleurs les consciences sont en train de mûrir et les populations commencent à sortir de leur torpeur pour relever la tête. Et les mouvements de libération en acte ne sont pas prêts de s’éteindre : pour la dignité et pour l’Histoire. Il y a quelques jours au Burkina Faso, autre pays très impacté par le terrorisme, l’opposition sortait de son attentisme face à un peuple qui ne croit plus, pour lancer à la figure de Marc Christiane Kaboré un ultimatum, lui donnant une date buttoir pour mettre fin à la tragédie qui se déroule sous les yeux d’un peuple qui n’en peut plus de supporter les douleurs d’une seule goutte de sang. Les populations ne peuvent plus regarder faire. C’est leur survie même qui est aujourd’hui menacée sur des terres déjà trop souillées de sang humain, et faites de manques divers, et de souffrances multiples. Le peuple burkinabé arrive… Kaboré peut-il déjà avoir oublié le « printemps » du « Burtchnindi » qui lui permit d’arriver au pouvoir pour continuer à se montrer impuissant face au défi sécuritaire ? Et la montre, laborieusement dans le tic-tac tragique de ses aiguilles, avance pour réécrire une nouvelle page de l’histoire grave de ce peuple vaillant et ce à un moment où on juge l’assassinat d’un de ses fils illustre, l’inoubliable Thomas Sankara, un modèle de vie et de courage pour une génération d’Africains.
Au Niger, même si les partis de l’opposition ne sont pas capables de prendre pour le moment une telle position dans la tragédie qui se vit dans le pays, l’on peut entendre les populations excédées, par la voie de la société civile active dans la région, exprimer leur malaise, et dire toutes les colères qui les animent aujourd’hui face à la recrudescence de la violence terroriste dans la zone. En effet, dans sa dernière déclaration, les hommes semblent décidés à sortir de leurs réserves et la gestion du problème sécuritaire devient dès lors délicate. Il en faut plus de tact et de sagesse pour rassurer des populations aujourd’hui debout pour faire face à leur destin et les convaincre à faire confiance, à faire confiance à l’Etat et à ses choix stratégiques pour renverser rapidement la tendance et rendre possible la vie dans la région, le rêve et l’espoir dans les solitudes. Nous ne reviendrons pas sur le cri de gueule de la société civile qui est aussi celle de la région, de tous les enfants, et notamment de la jeunesse de la région. La responsabilité voudrait qu’on prenne au sérieux la profondeur de ces malaises et la radicalité des nouveaux discours. En vérité, depuis des jours, la situation est devenue d’autant plus critique que pour les populations, tout est aujourd’hui une question de vie ou de mort car comment peut-on continuer à attendre, la peur au vendre et dans un sentiment d’abandon, des sanguinaires venir tuer et repartir sans être inquiétés après leur forfait ? Certains sont offusqués de ce que des populations aient pu s’armer pour se défendre, peut-être sans avoir les mêmes répulsions quand, on peut venir, de manière régulière, les tuer sans représailles. Peuvent-ils d’ailleurs s’inquiéter que d’autres parmi nous, ici en ville – et combien sont-ils aujourd’hui ? – puissent avoir et sortir publiquement dans les rues de Niamey avec des armes de guerres qu’ils ne peuvent pour aucune raison posséder quand pour le cas que tout le monde connait, l’on sait qu’il n’est ni militaire en activité, ni même un ancien soldat de l’armée du pays qui, eux-mêmes, ne peuvent pas en disposer chez eux, en tout cas pour menacer des citoyens en manifestation ? Peut-être que celui-là ne venait dans la rue que pour montrer qu’il est devenu un super-citoyen avec un modèle de sa collection qui pourrait orner des coins de sa maison depuis qu’il est devenu l’armurier du pays. Le débat est donc mal posé. Il faut le réexaminer : pour notre sécurité à tous.
Il y a réellement à s’en inquiéter surtout quand on voit qu’après les événements de l’Anzourou et de Banibangou qui ont endeuillé la région, l’on apprend juste après, une incursion d’une file de quarante motos dirigées vers la Commune de Guéladjo pour y semer la terreur après, eut-on appris, une séance de prêche tenue là tranquillement, comme si les terroristes devraient avoir la certitude d’être dans un territoire conquis et qu’ils ne pouvaient pas être attaqués. Il est donc inutile de commenter les dernières déclarations de la société civile de Tillabéri et on comprend que bien de ressortissants, faisant profil bas, peuvent, ne pas se hasarder à se désolidariser d’un malaise généralisé, même en restant à l’ombre. On peut y lire surtout une crise générationnelle : des jeunes déçus des aînés qui font le choix valeureux de relever la tête. Fièrement.
Dans la crise au Sahel, c’est certainement de nouveaux jours difficiles qui s’annoncent. Pour avoir de la lumière à gérer la crise et avoir le plus de sympathie autour de lui, pour en sortir, Bazoum Mohamed, a besoin plus que d’une certaine racaille qui l’entoure, de l’ensemble des Nigériens.
Mais il a, comme dans toutes les situations difficiles, les deux choix : choisir ou ne pas choisir…
Par Waz-ZA