C’était une fausse ambiance car, en réalité, les esprits étaient plutôt au compte : combien pour ceci, combien pour cela ; les «guingare bankarey», «les guingare foyguinay», «les guingare kayyessi», bref, tout un tas de dépenses liées à cette fête. Les calculs torturaient l’esprit et l’angoisse aussi car, petit à petit, la journée s’estompait sans que le virement ne tombe. Pas besoin de retourner à la maison car la bouche était fermée pour cause de carême. Les prières s’accomplissaient sur place dans la mosquée la plus proche ou dans des mosquées improvisées à un coin ou au parking de la banque. L’imam circonstanciel est un des patients, le plus sage ou celui dont la barbe était la plus fournie. La fin des prières était ponctuée par de longues séances de récitations d’invocations en tout genre pour implorer la clémence d’Allah et aussi celle des autorités du pays. Après seize (16) heures, les yeux commençaient à devenir rouge, très rouges ; de fatigue mais aussi de frustration. Un sentiment de déception prenait le pas dur l’espoir fondé en début de matinée. Déjà certains quittaient les lieux, nourrissant l’espoir de se retrouver très bientôt car, des rumeurs annonçaient que les salaires étaient fait ; surtout qu’une banque voulant se racheter  d’une erreur qu’elle avait commise avait accepté de préfinancé et elle distribuait déjà les salaires. Pour d’autres, les plus caïds, il ne fallait pas quitter les lieux ; il faut attendre quelque soit l’heure ; même si la banque fermait, on avait sa carte électronique qui permettait de faire les opérations sans coup férir. Il faut donc attendre, attendre… et personne ne pourrait dire exactement à quelle heure l’espoir avait déserté les cœurs et les esprits. Toujours est-il dit qu’à un certain moment, tout s’était estompé : plus personne ; on est rentré, forcément, pour rompre le jeûne et reposer son corps et son esprit. Échec et mat !
Samedi veille de la fête ! Ultime journée ! Tout passe ou tout casse ! Plus rien à faire ; il faut reprendre le sit-in ! Et très tôt le matin, ils étaient là, prompts et à l’heure. Les visages reprenaient leur allant. Pas le même que celui de la veille car aujourd’hui c’est le tout dernier jour. Que d’espoir, c’est plutôt l’angoisse qui rongeait les cœurs. Et ils avaient raison car cette fois-ci les rumeurs n’auguraient absolument rien d’encourageant. En effet le vent rapportait que le gouvernement avait demandé aux banques de pré financer ; une nouvelle inquiétante car l’on sait très bien que certaines banques attendent encore d’être remboursées pour des avances qu’elles avaient déjà consenties à l’État. La main quittait la tête pour la poitrine, juste là où se trouve le cœur. Petit à petit, la journée s’écoulait ; les virements ne tombaient toujours pas. Alors, les esprits s’orientent cette fois-ci sur les téléphones ; pour ceux qui ont encore un peu de crédit bien sûr. Les conversations tournaient autour d’un seul point : une demande d’avance ou de prêt à un ami, à une connaissance. Partout, les réponses étaient les mêmes car on rabaissait ou laissait choir le téléphone dans un profond signe de désolation. Les yeux devenaient de plus en plus rouges, hagards et le regard perdu vers des cieux incertains. L’humidité faisait scintiller ces regards d’adultes désespérés, ne sachant à quel Saint se vouer. Retourner à la maison ? Pour dire quoi ? Que dire à madame ? Que dire surtout aux enfants qui attendent leurs habits de la fête ? Que dire de l’honneur, de la dignité et de la joie saccagés d’un père de famille ?
Allah wa’allam ! Allah seul sait les frustrations et les heurts enregistrés dans les familles des fonctionnaires à l’occasion de cette fête qui rappelle les moments précurseurs de la déchéance d’un certains   temps que les fonctionnaires ont oubliée   y’a très longtemps. Combien de chefs de famille ont certainement pleuré entre les murs ou sous les draps de la honte ? Et prenez garde car ces gens ont vécu un mois de privations en tout genre ; Allah écoute ses fidèles.

30 juillet 2017
Source : Le Monde d'Aujourd'hui