3-Une coercition, qu’il exerçait de façon horizontale, avec des accents dissuasifs et de façon permanente. « Les Nigériens, confiait-il, sont un peuple difficile à gouverner ». D’où la nécessité d’agir de manière à ce que, selon ses propres termes, « ils se rendent bien compte que je les ai à l’œil et qu’il ne faut pas badiner avec l’État ».
4-Ainsi, de 1974 jusqu’à presque la fin de son règne, il avait revendiqué, avec succès, le pouvoir de contraindre les Nigériens à agir, au sein de la sphère publique, dans le sens, cependant, de l’une des principales caractéristiques de sa personne. L’intégrité. Un principe qui lui était cher. Sa nature dira t-on. Tellement il était allergique aux écarts par rapport à cette norme, à laquelle tout le monde devait se plier, à commencer par ses proches et les « puissants ».
5- On fuyait, par conséquent, la corruption et les détournements des deniers publics, par crainte d’inévitables sanctions. Et pour répondre aux exigences d’un Général très attaché à la notion d’obligation des résultats, les responsables administratifs, à tous les niveaux, n’avaient aucun autre choix que celui de faire preuve d’abnégation, de promouvoir le mérite, la compétence etc. Le Général KOUNTCHE, étant du resté un homme de terrain. L’inspecteur qui initiait les visites surprises dans les services publics, pour évaluer, lui-même, les engagements et performances des agents de l’État.
6- Son austérité freinait, par ailleurs, les envies de luxe et d’enrichissement spectaculaire d’une classe gouvernante assez proche des gouvernés. On ne le répétera pas assez. Les enfants du Chef de l’Etat, ceux de ses ministres et des hauts cadres de l’administration, étaient scolarisés dans les établissements publics. Ils se soignaient également dans les structures sanitaires publiques, qui offraient des soins de qualité, gratuitement.
7- La peur qu’engendra la menace de la punition, inhérente au caractère coercitif du régime du Général Seyni Kountché, a beaucoup contribué à façonner le peuple nigérien, et en particulier les principaux acteurs de la sphère publique, à l’obéissance mécanique et inconditionnel aux lois et au pouvoir en place. Et les pratiques douteuses, qu’il érigea vigoureusement en actes de défiance vis-à-vis du système, suscitaient de ce fait plutôt une méfiance, presque généralisée.
8- Héritière du régime militaire, la 2nde République a d’une certaine façon inscrit les logiques de fonctionnement de celui-ci, largement, dans une perspective de continuité. La décrispation décrétée par le Général Ali Saibou ( paix à son âme), devant s’exercer dans un cadre tout aussi strictement acquis au principe du respect de l’autorité de l’État et à l’adhésion populaire aux initiatives entreprises par les détenteurs du pouvoir. En revanche, l’instauration du multipartisme, à l’issue des revendications démocratiques initiées au début des années 1990, a non seulement modifié la structure du pouvoir mais aussi le rapport à l’État, tout en favorisant l’émergence de nouvelles mœurs administratives.
9- En effet, la persuasion, inhérente au principe de la conquête et/ou de la conservation du pouvoir par les urnes, a supplanté la coercition, dans un espace public désormais fragmenté, animé par des partis politiques, dont le fonctionnement s’articule principalement autour de deux logiques. Celle qui fait du parti politique « un groupement de libres citoyens poursuivant une revendication politique » d’une part et , d’autre part, celle qui le présente « comme une troupe à l’assaut du pouvoir, pour se partager les dépouilles ».
10- Aussi, la loyauté envers les parti politiques a commencé à marquer des pas décisifs, sur un terrain jadis presque exclusivement acquis à la déférence vis-à-vis de l’État et de sa mission de réalisation du bien être collectif. Et de la résilience du concept de l’intérêt général face au poids ascendant des logiques particularistes et leurs assauts récurrents, il ne reste plus que le décor du sacre d’une oligarchie. Une oligarchie, dont la constitution et le mode de fonctionnement, obéissent globalement à la logique du « politicien investisseur ».
11- La logique du « politicien investisseur », assimilant, comme l’a si bien démontré un analyste, l’homme politique à un entrepreneur. Un entrepreneur, « non pas au sens où élu il gère les affaires de sa collectivité, mais au sens où, d’une part il se constitue un capital de ressources utiles à sa carrière, et où, d’autre part, son capital constitué il active ses ressources dans le but de produire du pouvoir ». Une tendance, qui s’est accentuée ces dernières années, mais qui puise à la fois son essence et sa légitimation dans l’évolution du jeu pluraliste.
12- Il importe, en effet, de rappeler à ce niveau que dans le contexte occidental et plus précisément en France, les forces politiques ayant émergé à la suite de la révolution et à la faveur, par la suite, de l’adoption du suffrage universel, ont plutôt milité en faveur de la mise en œuvre des mesures sociales et des règles du jeu électoral, susceptibles de leur procurer une assise populaire, en réduisant les atouts sociaux et financiers dont disposaient les groupements qui les ont précédées sur la scène politique.
13- Par exemple, l’implémentation de la scolarisation gratuite et obligatoire pour tous au début du siècle dernier, pour combattre l’ignorance, un des facteurs fondamentaux de vulnérabilité et de dépendance intellectuelle et matérielle des couches populaires. L’introduction du scrutin de listes et la représentation proportionnelle, pour réduire l’effet du capital de notoriété dont jouissaient les notables et favoriser l’émergence des petits partis politiques. L’assimilation de l’offre de biens matériels pendant la campagne électorale aux pratiques corruptrices et son interdiction. Etc.
14- Ainsi, démunies du capital de notoriété, des réseaux relationnels et des ressources financières dont bénéficiaient les courants conservateurs, les forces dites de gauche, guidées par des « intellectuels prolétaroïdes », ont fini par imposer, « au nom d’une morale politique fondée aussi sur leurs intérêts bien compris, une vision nouvelle de la compétition politique ». Bien entendu, ces évolutions n’ont pas été instantanées. Leur concrétisation s’est étalée sur des années, voire des décennies. Elles sont donc le fruit d’une conjugaison d’efforts et d’engagements socio-politique et intellectuel à la fois puissants, ingénieux et persévérants.
15- Au Niger, les partis politiques issus de la revendication démocratique, ont, au début des années 1990, formulé de vives critiques à l’encontre du régime militaire, la 2ème République et le MNSD Nassara qui en était issu. Les piliers de celui-ci, notamment les hauts cadres de l’administration, la chefferie traditionnelle, les commerçants et l’armée étant considérés comme les éléments constitutifs de la « bourgeoisie néocoloniale », qui serait responsable du sous-développement du pays. Mais dès la fin de l’année 1994, ils ont commencé à nouer des alliances électorales avec celui-ci.
16- Cette implicite adhésion des partis issus de la revendication démocratique à l’optique de la continuité prônée par le MNSD, ne révèle pas uniquement le caractère éphémère de leur engagement en faveur du changement. Elle soulève également la question de l’authenticité des critiques formulées à l’encontre du régime militaire et de ses héritiers politiques. Et ce, au regard aussi de la façon dont ils se sont mis par la suite à s’appuyer, dans leurs méthodes de mobilisation politique et électorale, sur les piliers qu’ils avaient radicalement incriminés.
17- On peut d’ailleurs rappeler à ce propos que les structures sur lesquelles s’appuyaient le parti-État et dans une certaine mesure le MNSD-Nassara par la suite, ont acquis leur légitimité et notoriété avec le temps. Du fait de leur histoire pour certains. Expérience de services de proximité auprès des populations, pour d’autres. Capital financier et tant d’autres atouts, acquis dans un cadre étatique, qui était non seulement globalement hostile à la corruption, à la complaisance, au laxisme et aux transactions illicites, mais aussi dévoué à la quête du bien être collectif.
18- Aussi, le recours expéditif et spectaculaire de certains partis issus de la revendication démocratique à ces structures ne saurait être sans conséquences. Les appels du pied à l’armée, pour les règlements militaires des crises politiques, représente par exemple un obstacle majeur à la maturation du processus de démocratisation. L’instrumentalisation des hauts cadres administratifs, fut le point de départ du phénomène de la politisation de l’administration, qui compromet l’efficacité du service public, la carte du parti tenant de plus en plus la dragée haute au mérite et à la compétence.
19- Et la mise en avant, d’une manière sans précédent, des opérateurs économiques a contribué à ériger l’argent en instrument privilégié, et finalité principale, des transactions politico- électorales, mais aussi des liens sociaux. La dignité, la loyauté, la sincérité, l’intégrité et tant d’autres valeurs et nobles principes, étant de plus en plus soumis aussi bien à l’objectif de la course effrénée à l’enrichissement rapide et spectaculaire, qu’au besoin d’aduler ses détenteurs et promoteurs.
20- Cela expliquerait donc l’émergence et la multiplication des « politiciens investisseurs » ainsi que le croissant phénomène de spoliation des ressources publiques qui les génère, mais aussi la transformation, de plus en plus, de l’échange politique en jeu à somme nulle, dans lequel l’État, « privatisé » et soumis aux logiques particularistes, fait office de trophée. Une donne, qui permet au vainqueur de disposer des ressources institutionnelles et financières de l’État, pour conforter ses assises partisanes.
21- Par conséquent, la seule perspective de ne pas se trouver dans le camp de ceux qui déterminent les modalités d’accès aux services et ressources de l’État, devient un sujet d’angoisse. Une peur permanente, érigée en ressource politique. Tant elle est utilisée par certains pour provoquer des alliances et ralliements ; obtenir l’obéissance et le silence, y compris en cas de grossières et flagrantes violation des principes démocratiques. D’autres s’en servent pour brandir les menaces de leur retrait des coalitions, pour exiger et obtenir des avantages supplémentaires de la part de leurs alliés, paniqués à l’idée de perdre la majorité qui leur permet de conserver le pouvoir et les privilèges qu’il confère.
22- Ainsi, la peur cultivée par le régime militaire s’apparente à un instrument de commandement, au service du bien commun. Tant elle incite à l’obéissance aux normes qui, sans être établies de façon collégiale, visent essentiellement la réalisation du bien être collectif. Tandis que la peur qui est inhérente à l’angoisse d’une marginalisation des mécanismes de rétribution partisans, prône beaucoup plus l’adhésion à la logique qui tend à soumettre la poursuite de l’intérêt général aux aléas des ambitions partisanes et électoralistes.
23- Et à la peur d’une marginalisation des mécanismes de rétribution qui crée le besoin de faire partie de la majorité politique, s’ajoute celle qui est liée à la peur de l’inconnu, observée principalement dans les rangs de la minorité politique. En effet, la crainte d’hypothéquer les acquis du moment pour la quête de gains incertains, pousse beaucoup d’opposants à s’inscrire, consciemment ou inconsciemment, dans la perspective du maintien du statu-quo. Un statu-quo marqué par la perversion croissante des mœurs politiques et administratives, la détérioration des conditions de vie des populations et la dégradation du service public, y compris en ce qui concerne les secteurs vitaux que sont l’éducation et la santé.
Enfin, le rappel de certaines caractéristiques du régime militaire, loin d’être l’expression d’une nostalgie, constitue un hymne au retour de la culture d’État, qu’il a su promouvoir, dans sa quête du bien être collectif. Ce n’est pas non plus une apologie de l’autoritarisme. Mais un appel à l’endroit des membres de la classe politique nigérienne, pour qu’ils aient davantage l’audace d’exorciser la peur qui les cantonne à la poursuite des intérêts particularistes. Et ceci, dans le but de se consacrer à la recherche des voies permettant de mettre à contribution les principes démocratiques, pour raviver la dynamique d’une fourniture efficace et effective des services sociaux de base entamée sous le régime militaire. A l’image de ce qu’on a pu expérimenter sous la 5ème République, à travers l’adoption de certaines mesures sociales transversales. La gratuité des soins pour les enfants âgés de 0 à 5 ans par exemple, qui mérite d’ailleurs d’être étendue aux enfants de plus de 5 ans, issus de foyers modestes souffrant d’affections graves. La loi sur le quota, adoptée en 2000 et qui fit du Niger un des pionniers en la matière, dans la région sahélienne. La gratuité de la césarienne et bien d’autres mesures, qui rappelèrent l’engagement social du régime militaire mais, avec la liberté d’expression et d’association ainsi que la mise en œuvre d’autres principes démocratiques en plus.
Docteur Elisabeth Sherif