En dehors de cet aspect plus ou moins structurel de la configuration partisane de la région, qui est plutôt défavorable au principal parti de la majorité présidentielle, la région de Maradi, peut-on le rappeler, est l’une des rares régions du pays où l’idée d’un parti dominant, qui remporte la manche à tous les coups, et malgré tout, n’a jamais réussi à s’y implanter, et où le vote protestataire représente beaucoup plus qu’une notion théorique.
A Maradi en effet, lorsque les électeurs désapprouvent la façon dont leurs intérêts sont gérés, ils le font savoir. Dans les urnes. Et en ce moment, les sujets de mécontentements ne manquent pas. Nul besoin de citer la baisse des rendements des activités commerciales qu’évoquent les populations. Rien que la mauvaise exécution et l’inachèvement des chantiers de Maradi koliya valent un carton rouge. Aussi, même si les législatives de 2016 avaient atteint le niveau de crédibilité attribué à celles de 1993, 1995, 1999 et 2004, la probabilité que le principal parti de la mouvance présidentielle perde le siège en jeu dans ces partielles serait plus que forte.
Le principal parti au pouvoir était ainsi pleinement conscient du fait qu’il partirait aux partielles en perdant. Or, il est bien connu que dans bien de localités du continent africain, organiser des élections, les perdre et accepter de valider leurs résultats relève, dans les représentations du pouvoir, de l’absurdité. Le Président de la 3ème République, Mahamane Ousmane, l’avait fait. Tout à son honneur. Mais des cas similaires au sien restent plutôt rares sur le continent.
Et de ce point de vue, l’argument du coût financier des partielles, avancé par les partisans de la mouvance présidentielle, n’est qu’une parade, visant tout simplement à camoufler la crainte de s’exposer à un camouflet plus que probable. Mais la mouvance présidentielle n’essaie pas seulement d’esquiver l’affront ou le discrédit que représenterait une défaite électorale, après avoir scandé la forte popularité et les prouesses du régime. Elle tente également de conjurer les risques d’exacerber les frictions en son sein.
En effet, les élections de 2016 avaient été organisées dans les circonstances qu’il n’est plus besoin de rappeler ici. Et elles se sont soldées par des résultats que l’on connait. Des résultats qu’il serait difficile de reproduire aux partielles de Maradi. Et ceci non pas à cause de l’une des caractéristiques de l’électorat de la région évoquée plus haut, mais du fait du ralliement du MNSD à la mouvance présidentielle.
La région de Maradi a toujours été, comme on le sait, le fief stratégique du MNSD. Un terrain électoral sur lequel le parti mise, beaucoup. Ainsi, organiser les partielles de Maradi, reviendrait, pour le principal parti au pouvoir, à donner le coup d’envoi d’une vive rivalité, qui l’opposerait à son principal allié.
Et dans cette compétition féroce, le PNDS aurait été contraint de jouer la carte de la loyauté. Ceci d’autant que les ténors du MNSD issus de la région de Maradi ne faisaient pas partie des éléments les plus enthousiastes du ralliement du parti à la mouvance présidentielle. Le moindre soupçon de déficit de crédibilité des résultats des partielles, leur aurait par conséquent donner l’occasion de revenir, en force, non seulement sur la question du ralliement à la mouvance présidentielle, mais aussi sur celle du leadership du parti. Un piège donc, que les partisans du PNDS ont su habilement éviter.
Mais l'opposition sait très bien qu'il serait très difficile au chef de l'État de prendre en compte l’arrêt de la cour constitutionnelle. Elle feint juste d'ignorer que jamais, dans l’histoire du processus de démocratisation nigérien, un régime n’a réussi à infiltrer les institutions de contrôle du pouvoir, autant que celui de la 7ème République. Par conséquent, la procédure de destitution qu’elle réclame n’a que des chances extrêmement faibles d’aboutir, pour ne pas dire quasiment nulles. Et ceci d'autant que les calculs personnels et autres considérations particularistes n’ont jamais eu également autant d’impact sur la visibilité, la cohérence et la vitalité de l'opposition, que durant ces derniers temps.
Une situation, qui soulève, dès lors, la question des efforts que l’opposition serait prête à davantage consentir dans les jours, les semaines ou les mois à venir, pour maximiser les possibilités de la mise en œuvre de ses revendications et ambitions politiques, tout en les conciliant avec les aspirations profondes du peuple nigérien. Ce qui place l’opposition nigérienne en face de l'incontournable nécessité de créer les conditions qui favoriseraient sa cohésion et l’efficacité de ses actions, mais aussi d’élargir beaucoup plus le champ des débats politiques aux enjeux et droits sociaux, tout aussi inscrits dans la constitution nigérienne.
Le dysfonctionnement de l’école publique, le délabrement des centres médicaux, la montée de l'insécurité, la paupérisation des populations, que les routes construites et autres monuments en béton érigés dans les centres urbains ne sauraient cacher ni résoudre, etc., sont des indicateurs, sinon de la violation, de la faible prise en compte des droits inaliénables, énumérés dans la constitution nigérienne, et qui méritent d'être vaillamment défendus, de façon permanente.
Pour rappel, l’article 12 de la constitution, stipule que « chacun a droit à la vie, à la santé, à l’intégrité physique et morale, à une alimentation saine et suffisante, à l’eau potable, à l’éducation et à l’instruction (…) L’État assure à chacun la satisfaction des besoins essentiels ainsi qu’un plein épanouissement ». Et l’article 13 précise que « (…)L’État veille à la création des conditions propres à assurer à tous, des services médicaux et une aide médicale en cas de maladie (…)».
Recentrer résolument les débats et exigences politiques autour de ces droits vitaux, permettrait à l’opposition de se (re)déployer sur un terrain beaucoup plus occupé par les rares structures de la société civile ayant survécu aux manœuvres d’homogénéisation de l’espace public initiées par le régime de la 7ème République. Ce qui représenterait par ailleurs un véritable signe annonciateur de l’indispensable rupture qu’elle est censée incarner et occasionner. La rupture tant attendue, qui ferait de la transformation sociale l’ultime objectif des débats et actions politiques.
Elisabeth SHERIF