Qui aurait eu la témérité de s’attaquer à un tel système sans se faire écraser si ce n’est par détermination ?
Les causes de cette situation sont nombreuses et la concernée s’est longuement expliquée pour que nous revenions sur les faits, au risque de les dénaturer. Toutefois, la question centrale qu’il importe de se poser est la suivante : va-t-on longtemps laisser les choses aller ainsi ? Le Niger est le seul pays au monde où un enseignant, et en l’espèce un enseignant-chercheur, peut s’inquiéter pour sa carrière, en cas de maladie de son enfant qui le contraint à une absence de longue durée. Or, à la lecture de l’article 29, alinéa 4 de la loi portant statut autonome du Personnel Enseignants-chercheurs et chercheurs des universités publiques du Niger, l’enseignant-chercheur et le chercheur peuvent bénéficier d’une mise en disponibilité en cas « d’accident ou de maladie grave du conjoint ou de l’enfant pour une durée de trois (3) ans, renouvelable trois (3) fois ». L’absence de Madame Elisabeth n’a duré que trois (3) ans. On est dès lors tenté de s’interroger sur cette situation : Qu’est-ce qui peut donc expliquer le non renouvellement de son contrat ? Madame Elisabeth Shérif n’entre-t-elle pas dans la catégorie des enseignants-chercheurs et chercheurs visés par les dispositions d’une telle loi ? Ce n’est pas ce que semble dire l’article premier de la loi précitée aux termes duquel « les règles statutaires sont applicables à l’ensemble du personnel Enseignants chercheurs et chercheurs des universités publiques du Niger »

Au regard de cette situation, et ayant pris connaissance de la principale motivation de l’université qui soutient qu’il n’y a plus de besoin d’enseignant dans la discipline, en dépit des grèves répétitifs d’étudiants pour déficit d’enseignants et du fait d’une proportion à peu près incompréhensible de milliers d’étudiants entassés dans un amphithéâtre qui peine à les contenir, je souhaite prendre clairement position et affirmer d’abord mon amertume et mon indignation face à de tels comportements dans le secteur éducatif nigérien et particulièrement dans l’enseignement supérieur ; ensuite, mon soutien indéfectible à Madame Elisabeth Shérif dans le combat qu’elle est en train de livrer pour que justice lui soit rendue. Enfin, je voudrais aussi rappeler qu’au-delà de ce cas particulier, c’est toute l’élite intellectuelle qui est interpellée. Si banalisée qu’elle soit, la crise du système éducatif n’en est pas moins une atteinte permanente à un « droit fondamental », le troisième cité par la Constitution du 25 novembre 2010, « le droit à l’éducation et à l’instruction », dont la garantie incombe incontestablement à l’Etat.


Comment ne pas s’indigner quand on a l’impression qu’il existe au Niger un enseignement d’exception que seuls quelques illuminés sont admis à dispenser ? Il faudra bien que nous parlions sé- rieusement de ce phénomène qui menace notre génération. Je veux croire que l’immense majorité des Nigériens ne soit favorable à cette double peine affligée à Madame Elisabeth dont le tort fut d’être au chevet de son enfant malade qu’elle a fini par perdre ; je ne doute pas que l’actuelle génération d’intellectuels ne souhaiterait pas que de telles pratiques puissent émerger dans nos universités. Il ne peut y avoir de développement durable sans un enseignement supérieur viable.

Demain, l’affaire sera appelée à l’audience
Les procédures juridiques de résiliation d’un contrat pour quelque motif que ce soit confèrent aux juges un droit de regard sans limites sur les règles qui gouvernent ce contrat. En conférant aux juges la responsabilité de garantir le respect des dispositions contractuelles, le législateur délègue aux tribunaux, un droit de perquisition absolu sur le contrat. La prise en compte des situations imprévues, des cas de force majeure, des circonstances exceptionnelles, constituent manifestement la preuve de ce que nous pouvons qualifier du « réalisme contractuel ». En effet, la loi ne peut être d’application mécanique et le juge ne saurait être la « simple bouche de la loi » dans une société en mutation. C’est pourquoi, dans le cadre de ses activités, le juge est invité avant d’homologuer une résiliation du contrat d’en apprécier souverainement et objectivement les faits qui ont présidé à la rupture contractuelle.

Le sentiment de justice est au cœur de notre existence nationale. Les grandes Nations développées ne se sont pas constituées sur un peuple, mais sur une idée : celle d’une société où règne justice et sécurité. Même si les Nigériens, à tort ou à raison, ne croient plus guère à la justice, ils sont tentés de faire connaître leur argument devant un juge afin de ne pas dissoudre le lien social existant. Et ainsi que le souligne Jérôme LEJEUNE, « La qualité d’une civilisation se mesure au respect qu’elle porte aux plus faibles de ses membres »

Mais dans le système actuel, il n’y a pas d’arbitre si ce n’est le peuple lui même, quand il opine.
À chacun sa position, la mienne est désormais connue. L’inquiétude de l’avenir et le spectre de la démolition de notre société par des politiques impuissantes, à tous points de vue incapables de faire face au défi de l’accroissement démographique que les études les plus savantes convergent à montrer l’urgente nécessité de préparer, m’amènent à croire que chacun, selon son domaine de compétence, doit pouvoir apporter sa modeste contribution, en dépit de son appartenance politique, ethnique ou religieuse. Madame Elisabeth a un domaine de compétence, l’enseignement. Elle ne demande qu’à servir son pays ; le lui refuser serait porter un poignard aux générations actuelles et futures. L’Université doit l’entendre, la politique d’exclusion des compétences nationales dessert toujours la nation, autrement elle donne tout son sens au propos. d’Hannah ARENDT lorsqu’elle affirme que « Le but de l’éducation totalitaire n’a jamais été d’inculquer des convictions mais de détruire la faculté de n’en former aucune ».

À Madame Elisabeth, je souhaite réaffirmer mon soutien par ces mots : la plupart des gens ont la faiblesse de penser qu’un problème est une chose sé- rieuse quand c’est le leur ; mais que pour les autres, le problème est inexistant. L’expérience que vous vivez est un rite de passage. Chez les peuples primitifs, l’adolescent doit passer un mois de solitude dans la jungle ; de l’épreuve, il sort adulte ou mort. Vous, vous aurez enduré cette expérience : si vous vous en sortez et je l’espère sans doute, vous ne serez plus jamais la même, car vous aurez appris et vous aurez aussi aidé à démanteler un système fort.
Bon Courage Madame ! Gardez espoir parce que rien n’est encore perdu. Et comme le disait Georges BERNANOS, « L’espérance est une détermination héroïque de l’âme, et sa plus haute forme est le désespoir surmonté ». Fraternelles et amicales salutations !
Maître Bachir

23 août 2017
Source : Le Courrier