Deux peuples, deux nations, deux Etats qui, de mémoire d’homme, n’avaient jamais rencontré le moindre problème dans leurs relations, se retrouvent « à couteaux tirés », selon les titres de la presse. En cause, nous dit-on, la présidence de la Commission de l’UEMOA, convoitée par les deux pays frères. Pourquoi une telle posture, puisqu’au terme du Traité de l’UEMOA, « Les délibérations de la Commission sont acquises à la majorité simple de ses membres. En cas de partage, la voix du Président est prépondérante » ? Il ressort clairement des dispositions de cet article que les pouvoirs du titulaire du poste tant convoité sont visiblement plus que limités. Quant au principe de rotation prévu à l’article 33 du même Traité, auquel nous semblons tenir, bien que mentionné dans les statuts des institutions auxquelles nos deux pays frères sont membres, à savoir, la BCEAO et la BOAD, vous le savez mieux que tous, ce principe a malheureusement souvent très mal fonctionné.
Pourquoi alors, notre pays devrait-il inutilement mettre en danger des relations d’amitié séculaires avec un pays frère, relations tissées par les peuples sur des siècles, en s’accrochant inutilement à la mise en œuvre d’un principe, certes inscrit dans les textes de nos institutions depuis des décennies, mais dont la mise en œuvre n’a jamais été effective ?
Monsieur le Président de la République,
Les relations multiformes qui nous unissent avec ce peuple et ce pays frère du Sénégal, bâties pierre par pierre par les hommes et les régimes qui se sont succédés, sont sacrées. Je n’ai pas besoin de rappeler qu’au plan religieux, l’Islam qui nous unit le plus avec ce peuple et une de nos contrées s’impose de plus en plus comme la plaque tournante de la confrérie Tidjaniya dans la sous-région ouest africaine en particulier, et en Afrique en général par la célébration du mouloud.
Suivant les propos tenus par le Consul honoraire du Sénégal dans notre pays, dans un passé récent, à savoir, « Le Sénégal et le Niger ont une relation que je qualifierais de «je t’aime moi non plus ». Je m’explique : voilà deux pays que tout devrait rapprocher. Au plan culturel, il y a des similitudes. Sur la religion, ce sont les mêmes populations musulmanes. Au-delà, au Niger, les gens sont très regardants sur ce qui se passe au Sénégal. Les Bacheliers nigériens sont envoyés dans les universités ou instituts de management sénégalais. Les hauts cadres sont formés au Sénégal ou y ont fait leur spécialisation. Les cadres de l’Armée, de façon générale, sont d’anciens enfants de troupe au Sénégal. Ces deux pays devraient se rapprocher davantage, parce que partageant beaucoup. »
En complément de ces propos du diplomate sénégalais, j’ajouterai pour ma part, qu’avec l’installation des « dibiteries haoussa », fort appréciées des sénégalais, il est difficile de faire quelques centaines de mètres dans une ville du Sénégal, sans entendre parler haoussa, preuve que nos deux peuples sont intégrés depuis fort longtemps, des décennies avant les indépendances de nos Etats.
Dans ces conditions, le plus Haut et plus important poste international du monde, mérite-il de mettre en cause les relations historiques entre nos deux pays ?
« La guerre naît de l’hostilité, celle-ci étant la négation existentielle d’un autre être», selon le penseur Carl Schmitt, c’est pourquoi, nous autres « Sénégalais » du Niger, souhaitons que vous accordiez votre préférence à toute solution prenant en compte la préservation des relations privilégiées avec notre seconde patrie que constitue le Sénégal, dans l’intérêt bien compris de nos deux pays frères. Et puisque « tout choix implique un renoncement », aucun sacrifice de part et d’autre ne sera de trop pour la préservation de nos relations fraternelles.
C’est pourquoi, « la diplomatie étant une affaire trop sérieuse pour être laissée aux seuls diplomates », pour paraphraser Georges Clémenceau, des « Sénégalais » du Niger tels que les Premiers Ministres Cheiffou Amadou, très apprécié dans ce pays, et Adji Boukari et bien d’autres plus qualifiés que moi, notre diplomatie parlementaire ayant fait ses preuves, nos religieux, la société civile, vos nombreux amis politiques originaires de ce pays, ne seront pas de trop pour contribuer à la recherche d’une issue heureuse à cette crise diplomatique inédite, inconnue de notre histoire diplomatique. Nous ne perdons pas de vue que la consolidation de notre intégration régionale, pratiquée depuis fort longtemps par les peuples, demeure l’objectif ultime des dirigeants de nos Etats.
Vous me permettrez, pour finir, de rappeler la sagesse de Henry Ford sur l’intégration : « Se réunir est un début ; rester ensemble est un progrès ; travailler ensemble est la réussite ».
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma déférence.
Djibrilla Mainassara Baré – Ancien Conseiller Spécial du Président de la République, Chargé des Questions Economiques et Financières – Ancien Auditeur Interne de la BCEAO, Membre de l’Institute of Internal Auditors (IIA-USA) - Ancien SG de l’Association des Fonctionnaires Nigériens et Assimilés au Sénégal (ANFAS).