Pour mesurer la souffrance de tes enfants, Guy de Maupassant n’at-il pas dit qu’"On aime sa mère presque sans le savoir, et (qu’) on ne s'aperçoit de toute la profondeur des racines de cet amour qu'au moment de la séparation dernière" ?
Bien sûr, je ne puis ignorer que nous sommes dans une société de l’oralité par excellence qui suppose une peur bleue de tout ce qui est écrit, « car la parole, si vive et intense soit-elle, demeure éphémère,….de l’ordre de l’instant et renferme (en elle-même) les ressorts de sa propre rectification » tandis que l’écrit, lui, est rigide. Malgré tout, pour ma maman Djouldé Djibo Bakary, j’écris et sans risque puisque, la considération que je tiens à lui manifester demeure, selon les mots d’Henri-Frédéric Amiel, " l'hommage rendu à une vie tenue pour irréprochable. "
Puisque " L'art d'écrire correctement est inséparable de l'art de parler correctement. "(Quintilien), je m’attacherai à ne pas décevoir, le même auteur ayant dit « qu’à force d'écrire on parle mieux, et à force de parler on écrit plus facilement. " Dès lors, est–il possible pour moi de taire la disparition d’une des mères les plus célèbres de notre pays, voire de notre continent ? Jugez en vous-même ! La réponse ne peut être que négative ! Comme Amadou Hampâté Bâ, maman Djouldé, je partage avec toi, l’amour du lait, cette substance plus indispensable aux Peulhs, (mes parents maternels) que leur propre sang.
Maman Djouldé née DIALLO, issue des quatre clans, Diallo, Diakite, Sidibé et Sangaré, selon mes connaissances de la riche culture maternelle, ton nom qui signifie « fête », t’a certainement été donné parce que ton baptême a coïncidé avec un jour de fête musulmane (Ramadan ou tabaski). Tes enfants biologiques, mes frères et sœurs confirmeront. Sully Prudhomme, a dit qu’" écrire pour le public est une rude besogne où l'attention est toujours en éveil pour choisir et critiquer tous les matériaux fournis par la spontanéité…pour que la plume sténographie machinalement le poème intérieur, triste ou gai. », J’écris parc que je tiens à être le témoin privilégié de ta vie riche en engagement et en abnégation de celle d’une mère auprès du leader le plus charismatique de tous les temps. Qui contesterait cette vérité ? Au juste, quel est cet enfant d’avant ou d’après les indépendances au rabais des années 60, donc des années de braise du Sawabisme, qui n’aurait pas vécu ces moments d’angoisse et de doutes aux côtés de sa mère du fait du choix engagé de son père auprès du leader incontesté et incontestable de l’époque ? Je doute qu’il en existe.
C’était la sombre époque où il était plus salutaire pour un individu de se faire accuser comme étant le plus grand brigand, plutôt que d’être taxé de sawabiste. Comme l’a dit Amadou Hampâté Bâ dans l'enfant Peul, « …la mère est considérée comme l'atelier divin où le créateur travaille directement, sans intermédiaire, pour former et mener à maturité une vie nouvelle. C'est pourquoi, en Afrique, la mère est respectée presque à l'égal d'une divinité. »
C’est également pourquoi, l’affluence observée à ton domicile depuis ta disparition n’est pas fortuite. Tous les engagés de l’époque ont fait le déplacement à ta demeure pour te témoigner leur reconnaissance. Ta vie durant, tu as été naturelle au sens d’Amadou Hampâhé Bâ, ce dépositaire de notre culture maternelle, qui a professé que "L'être naturel, normal, commencera par s'aimer lui-même. Puis, selon son aptitude, il répandra graduellement cet amour de lui sur sa famille et ses proches d'abord, puis sur ses amis, sur les personnes exerçant le même métier que lui ou épousant les mêmes idées, puis plus largement sur ses concitoyens, sur sa race... et enfin sur la nature toute entière, sans discrimination….Quand un être atteint le degré de l'amour universel, c'est-à-dire lorsqu'il considère tous les êtres comme ses frères, alors les formes contingentes : race, pays, etc., disparaissent à ses yeux pour faire place à la lumière de l'Unité. » Comment pouvait-il en être autrement puisque, très jeune, tu t’es condamnée à partager ta vie avec un homme du peuple, de l’Afrique, notre Papa Djibo. Partager son homme avec le peuple, les militants et panafricanistes de tous les horizons, n’est pas chose aisée. C’est ce que tu as vécu, stoïque.
Pour toutes ces privations et ces souffrances, nous te rendons hommage et prions pour que tu reposes en paix !
Est-ce un hasard, si Allah dans sa miséricorde t’a accordé une longévité exceptionnelle ?
Aux enfants Djibo Bakary, Dr Hadiza, l’ainée, Docteur ès Ethnologie de son état qui a su montrer le chemin à ses suivants, Dr Abdoulaye, Dr Amy, Ousmane le Comptable, Aissa, l’Administratrice, Sally, l’Anglophone, Dr Adamou, Dr Ahmed Sékou Touré, vous représentez pour tous, les témoignages vivants de ce que maman Djouldé a accompli ses œuvres sur terre et reposera désormais au paradis.
Et « la mort », je ne le répèterais jamais assez, « puisqu’elle est inévitable, oublions-la », pour être en accord avec les mots de Stendhal.
Djibril Baré, un enfant du Sawaba

04 mars 2019
Publié le 19 février 2019
Source : L'Actualité