Le 26 août 2020, l’opposition politique a adressé une lettre à Issaka Souna intuitu personae, avocat à la Cour et fonctionnaire international nommé par le Président Issoufou Mahamadou pour présider la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Dans cette lettre d’une longueur exceptionnelle, l’opposition politique a rappelé à l’intéressé son passé, ses origines et les mérites dont il peut légitimement se prévaloir pour ne pas accepter de se compromettre dans la conduite orientée d’un processus électoral à tous points de vue taillé sur mesure. Si elle ne lui demande pas explicitement de démissionner, elle lui demande de ne pas oublier qu’il mène « une mission partisane et que cela va à l’encontre des intérêts du Niger et de son peuple ». Une lettre détonante, sans ambigüités et sans fioritures dont le Courrier a obtenu copie et qu’il livre à la lecture de ses lecteurs.
Monsieur SOUNA,
Vous comprenez sans doute qu’à ce stade ultime du processus électoral en cours ; un processus électoral porteur de conflits majeurs, qu’il y ait des Nigériens qui vous interpellent sur ce que vous faites et qui risque d’enflammer notre pays. C’est ce que nous avons décidé d’entreprendre afin que l’Histoire juge de ce que vous avez accepté, en toute responsabilité, de faire.
Nous avons surtout tenu à vous adresser cette lettre afin de vous rappeler d’où vous venez, qui vous êtes et comment vous avez construit votre chemin, patiemment, minutieusement, avec la détermination de réussir par vos propres efforts ; comment vous vous êtes forgé une carrière, dans le roc de la persévérance et de l’ambition d’être cité parmi les meilleurs, les dignes fils du Niger.
Monsieur SOUNA,
Vous avez, vous-même, reconnu et déclaré lors de la visioconférence des responsables des structures nationales d’organisation des élections dans l’espace CEDEAO, le 15 avril 2020 ; que, nous citons : « la nécessité d’un consensus politique s’impose, d’où la question d’un dialogue politique inclusif visant à trouver des dispositions pratiques et des solutions aux différents problèmes ». Mieux, vous avez souligné à vos pairs avoir adressé un courrier au ministre de l’Intérieur, candidat investi du Pnds tarayya, pour lui « demander d’inviter les différentes parties prenantes aux élections, y compris la Cour constitutionnelle, pour que des solutions soient trouvées ensemble ».
Bien entendu, lorsque nous l’avons appris, nous avons été béats d’admiration. Que le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), que vous êtes, reconnaisse que le processus électoral actuel est plombé par un problème financier, certes, mais aussi et surtout légal et politique, est une preuve que vous êtes pleinement conscient de l’oeuvre de Sisyphe qu’on vous demande de conduire. Vous êtes, donc, conscient qu’on vous demande de mener une mission illégale, politiquement incorrecte et socialement porteuse de graves périls pour le Niger. Malgré tout ce qu’on vous fait porter en termes de responsabilités, face à l’Histoire et face au peuple nigérien, vous avez accepté, jusqu’ici, de faire les choses dans l’ignorance des problèmes que vousmême, vous soulevez et qui n’ont jamais trouvé les réponses qu’il faut. Ces réponses se trouvent, vous le savez, ça aussi, dans ce dialogue national inclusif dont vous avez personnellement reconnu que le Niger ne peut faire l’économie avant les échéances électorales à venir. En y allant sans ce dialogue, y a-t-il une autre façon d’être partisan ?
Lorsque vous avez partagé avec vos pairs de la sous-région les problèmes qui plombent le processus électoral nigérien, nombre de vos proches ont pensé et fait le pari que vous allez vous décharger de cette mission assurément impossible pour un homme soucieux de préserver son honneur et sa dignité. Par contre, de grands témoins de l’évolution politique nigérienne et qui connaissent vos accointances avec ceux qui dirigent actuellement le Niger, ont clairement laissé entendre que vous n’en seriez pas capable. Deux raisons leur tiennent lieu d’arguments et nous devons reconnaître qu’elles sont assez solides. La seconde nous paraît même imparable.
La première, c’est la manière policée dont vous avez usé pour présenter la situation. Si vous aviez été libre de vous exprimer, vous auriez probablement dit les choses de façon crue, dans le genre « un processus électoral biaisé, car orienté, planifié et organisé pour faire gagner un candidat et un camp politique connus de tous à l’avance. Un candidat et un camp politique qui ont élaboré une loi électorale à leur convenance et pour eux ; un candidat et un camp politique qui gardent la haute main sur le contrat signé avec l’opérateur technique ; un candidat et un camp politique qui ont mis en place des structures animées par des partisans, voire, dans certains cas, des parents ». Ils soutiennent, pour vous avoir connu depuis si longtemps, que vous faites partie de ces partisans appelés à la tâche et c’est ce que nous trouvons dommage. Nous allons vous dire pourquoi.
La seconde, c’est que l’opposition politique a publié un Livre blanc dans lequel vous apparaissez comme un partisan notoire du pouvoir en place avec lequel, à divers échelons, vous entretenez des liens troubles. Et si vous pouvez nier et réfuter ces accusations, vous ne pouvez ignorer le parti pris de ceux qui vous entourent, aussi bien au sein du bureau de la CENI qu’au niveau de la direction de l’informatique et du fichier électoral biométrique (DIFEB).
Monsieur SOUNA,
Nous promettions tantôt vous dire pourquoi nous trouvions dommage de vous savoir parmi ces partisans appelés à la tâche. C’est parce que vous êtes, nous allons le révéler à tous les Nigériens qui ne savent pas forcément d’où vous venez, d’une famille noble de la région de Dosso, précisément de la localité de Mokko où vous avez vu le jour il y a 66 ans, un village situé à quelques encablures de la capitale des Zarmakoye. Après la première phase de votre scolarité, vous êtes devenu un agent des services judiciaires, nous a-t-on dit. Juge de paix, vous avez notamment servi à Téra (à l’époque dans le département de Tillabéry) ; puis, avec une noble ambition de gravir les échelons, vous avez passé le concours d’entrée à l’université Abdou Moumouni de Niamey, à l’époque réservé aux fonctionnaires de l’Etat. De l’université Abdou Moumouni, vous êtes sorti avec une maîtrise en droit, un niveau de certification très honorable dans le contexte de l’époque. Avec ce parchemin en poche, vous avez intégré le cabinet de Me Yves Kouaovi, brillant avocat au Barreau de Niamey, en qualité de stagiaire. Ce stage vous a révélé comme un excellent avocat et votre carrière, appréciée de tous ceux qui vous ont côtoyé ou connu dans la profession, a été exemplaire.
En novembre 1991, le Niger sortait d’une conférence nationale souveraine. Cheffou Amadou, fonctionnaire international de l’OACI, en poste à Dakar (Sénégal) mais peu connu des Nigériens, est élu Premier ministre de la Transition politique devant conduire notre pays à ses premières élections libres et multipartistes. Vous figurez parmi les personnalités choisies pour faire partie de son gouvernement. Vous y étiez ministre de la Justice, du 7 novembre 1991 au 26 mars 1992. Mais vous n’y restez que peu de temps (quelques mois après votre nomination) avant de quitter votre poste ministériel pour reprendre en main votre cabinet que vous trouvez en train de péricliter. Par delà la raison officielle invoquée, il y avait sans doute, nous a-t-on confié, un désir d’indépendance, de justice et de liberté, toutes choses qui vous ont conduit à embrasser, d’abord la profession de juge de paix, puis d’avocat. Une bonne partie de votre vie a ainsi été dédiée à la défense et à la promotion de ces valeurs et votre carrière internationale, notamment dans le système des Nations unies, n’en est qu’une illustration.
Pour tout dire, vous avez été juge de paix, avocat et bâtonnier de l’Ordre des avocats du Niger, ministre de la Justice, fonctionnaire international au Bureau des Nations Unies pour le l’Afrique de l’Ouest et au programme des Nations Unies pour le développement (Pnud) dans plusieurs pays d’Afrique dans le domaine de l’assistance électorale. Au sein des Nations Unies, vous été chef de la division de l’assistance électorale pour l’opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) d’août 2011 à décembre 2012. Vous avez dirigé plusieurs missions de coordination des programmes de réforme judiciaire de l’Union européenne au Niger ainsi que des missions d’observation électorale à Madagascar et au Burundi. Vous êtes aussi expert électoral auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Mention importante, partout où vous êtes passé, vous avez laissé le souvenir d’un homme pondéré, d’’esprit ouvert et plein de sollicitude.
Monsieur SOUNA,
Toutes ces étapes de votre vie, professionnelle bien entendu, ont laissé, rapportent ceux qui vous ont connu et côtoyé, avec qui nous avons eu l’heureuse idée d’en discuter, un souvenir unique : celui d’un fonctionnaire émérite, mais également d’un homme de conviction. Nous nous en sommes rendu compte lorsque, malgré vos relations, connues de tous, avec les autorités actuelles, vous n’avez pas pu vous empêcher de reconnaître que le processus électoral actuel que vous pilotez est plombé par un problème financier, certes, mais aussi légal et politique. C’était, là, votre coeur qui avait parlé. Mais, nous constatons, malheureusement, que vous n’avez pas su résister aux pressions partisanes. Car, en reconnaissant que le processus électoral est plombé par un problème financier, mais aussi légal et politique et qu’il faut nécessairement un dialogue politique inclusif avant les échéances électorales, nous nous attendions, au lendemain du sabordage de la plus récente tentative de dialogue, par le pouvoir — un sabordage que vous savez volontaire et délibéré — que vous jetiez l’éponge pour incapacité à mener votre mission à bon port.
Hélas, vous ne l’aviez pas fait et c’est dommage pour tout ce que vous êtes et ce que vous avez été jusqu’ici, par vos efforts personnels. « Si vous ne savez pas où aller, souvenez-vous d’où vous venez », a-t-on coutume de dire.
Sincèrement, nous vous plaignons, car nous avouons ne pas reconnaître l’homme dont on nous a parlé. Nous ne vous le cachons pas, ceux qui vous ont connu et côtoyé parient sur votre démission probable, persuadés que vous ne seriez pas capable de sacrifier votre nom et votre notoriété sur l’autel d’intérêts partisans qui risquent sérieusement d’entraîner le Niger dans un chaos sociopolitique. Vous savez bien que, si des solutions ont pu être trouvées à la question financière, le problème d’ordre légal et politique est loin d’avoir été résolu. Vous le savez et vous continuez tout de même.
Monsieur SOUNA,
Où est donc passé cet homme si fier, cet homme de convictions et de principes que nous ont décrit tant de personnes qui disent vous avoir connu droit dans vos bottes ?
De quoi avez-vous besoin, après tant d’années de service, au pays et à l’international, pour vous compromettre si gravement ?
Vous avez solennellement juré sur le livre saint de votre confession — une confession que vous avez embrassée contre vents et marées — de conduire ce processus électoral sans parti pris, au nom du Niger et de son peuple. Etesvous certain d’être en phase avec votre foi, votre croyance en Dieu ? Quel héritage laisseriez-vous à vos sept enfants et à vos proches en acceptant de porter la responsabilité d’un processus électoral que vous savez porteur de graves périls sur notre pays ?
Nous croyons devoir vous rappeler qu’au-delà de vos amitiés et de toute autre relation que vous pourriez être tenté de privilégier, il y a le Niger, votre pays, notre pays. Il y a aussi vos parents, vos proches et surtout vos enfants à qui vous devez penser. Demandezvous simplement si vous leur rendez ainsi service en acceptant de porter la responsabilité de piloter un processus électoral à tous points contestable et contesté, donc porteur de germes d’affrontements entre Nigériens.
Homme de droit, expert dans le domaine électoral imbu de l’expérience personnelle de votre pays, vous savez mieux que nous ce que veut dire légal et politique. Ayant affirmé, non sous contrainte, mais librement, que le processus électoral actuel fait face à un problème d’ordre légal et politique, nous nous attendions à vous voir déclarer qu’à l’impossible, nul n’est tenu. Mais, il nous semble que vous avez fait votre choix, aussi douloureux soit-il pour les Nigériens, vos proches et vos enfants. Votre choix, c’est que vous avez décidé, de façon consciente et délibérée, d’ignorer les problèmes d’ordre politique et légal, de faire les choses selon le bon vouloir de certaines personnes qui vous semblent plus chères que tout, y compris votre pays qui risque d’en payer le prix cher.
Monsieur SOUNA,
Si nous avons tenu à vous interpeller personnellement sur la lourde responsabilité historique que vous avez accepté de porter, non pour le Niger mais pour des personnes, ce n’est pas, vous l’imaginez, pour flatter votre ego ou obtenir une faveur que ne saurait avoir votre conscience, votre foi en Dieu et votre attachement à votre pays. Nous avons entrepris de vous écrire, autant pour vous rappeler d’où vous venez que pour rappeler à votre bon souvenir, cette grave responsabilité que vous ne partagerez avec personne d’autre. Ni avec Mohamed Bazoum dont on vous dit ami, ni avec Issoufou Mahamadou qui, assurément, se plaira à dire qu’il n’a aucune responsabilité, ni directe ni indirecte, dans l’organisation des élections qui relève exclusivement, de par la Constitution du 18 novembre 2010, de la CENI. Devons-nous vous rappeler que la CENI est constitutionnellement chargée de « l’organisation, du déroulement, de la supervision des opérations de vote ainsi que de la proclamation des résultats provisoires » ? Vous êtes, donc, aujourd’hui et demain, le premier responsable, du point de vue légal, de ce qui adviendra.
Que cette longue lettre vous serve de livre de chevet ! Qu’elle vous permette, à défaut de vous départir de ce processus électoral que vous savez parfaitement biaisé, de ne pas oublier que vous menez une mission partisane et que cela va à l’encontre des intérêts du Niger et de son peuple.
Signé Amadou Djibo Ali dit
Max, pour le compte de l’opposition
politique nigérienne
(FRDDR, FDR, FOI, FP).