Lettre au “président de la République” Monsieur le “Président”  / Dans leur écrasante majorité, vos compatriotes rêvent de vivre votre départ : Ils le fêteront sans doute comme ils n’ont jamais célébré le départ d’un chef d’État auparavant

Encore une fois, je me permets de vous rapporter ce qui se dit à propos de vous et vos choix. Rassurez-vous, ce n’est pas pour vous parler de ces milliards investis, grâce à des prêts, dans la construction de bâtiments administratifs nullement nécessaires et d’hôtels de luxe dans un pays où l’école et la santé sont par terre et où l’accès à l’eau potable reste un défi immense. Il est bien vrai qu’il est surprenant de savoir que ces préférences saugrenues sont celles d’un cadre supérieur parmi les cadres, ingénieur des mines de son état ; un homme venu d’une localité reculée de la brousse de Tahoua et qui doit tout à l’école que ses prédécesseurs à la tête de l’État, plus avertis quant à ce qui fait l’avenir d’un pays, lui ont fournie, gratuitement, avec, en prime, une bourse d’études. Mais, bon, c’est une autre histoire.

Ce dont je voudrais vous parler, c’est d’abord de cette idée persistante qui taraude l’esprit de vos compatriotes depuis presque toujours. Une idée si forte dans le débat public qu’elle prend l’allure d’une conviction, partagée par un très grand nombre de vos compatriotes, y compris dans certains cercles qui, a priori, ne doivent pas être gagnés par la pandémie. Oui, c’est une véritable pandémie qui fait des ravages et vous devez le savoir. L’affaire Bazoum, vous le savez, s’envenime et il y a de gros risques d’implosion sociale de voir votre candidat briguer la magistrature suprême de notre pays. Bazoum, il faut le dire, est devenu le débat qui fait fureur dans les fadas, les familles, l’administration publique, etc. Il n’y a pas de doute, s’ils se gardent de le clamer pour ne pas s’exposer à un emprisonnement aussi bête qu’illégitime, vos compatriotes estiment toutefois que Bazoum, votre poulain, est pris dans la nasse. Qu’il se débatte ! Qu’il hurle ! Qu’il morde et qu’il griffe ! Il ne peut s’en sortir que si vous vous rendez complice d’une grave forfaiture. Ce n’est pas moi qui le pense et le dit, je ne fais que, par devoir, vous rapporter ce que mes grandes oreilles captent ici et là.

Monsieur le ‘’Président’’

Vs compatriotes ont, je vous le susurrais tantôt, une conviction. Leur conviction, c’est que Bazoum, dont le nom de famille est en vérité Salim et non Mohamed, verra bientôt son sort scellé. On ne peut, dit-on, cacher le soleil avec la paume de la main. Bazoum est empêtré dans un imbroglio de faux et le mieux, pour vous et pour tout le monde, c’est de le laisser face à la justice, sans interférence quelconque tendant à corroborer la validité du faux. Le 3 décembre 2020, ce mauvais feuilleton doit s’arrêter. Bazoum, en principe, ne devrait jamais s’aventurer dans cette course au fauteuil présidentiel. Tout, dans cette affaire, est contre lui. Les documents, les témoignages, etc. Et l’opinion nationale en plein le coeur de voir avec quelle facilité, le faux est en train de conduire notre pays vers des rivages dangereux. La Cour constitutionnelle a beau sortir un arrêt sur l’affaire, je ne suis pas certain que cela ait changé la position de vos compatriotes sur les documents d’état-civil de Bazoum. C’est pour vous dire que Bazoum est devenue une grosse arête de poisson dans votre gorge, bien calée. Si vous tentez de l’avaler, elle vous endommagera tout le tube digestif. Si vous essayez de la faire sortir, les dommages seront encore plus grands.

Monsieur le ‘’Président’’

Malgré tout, à mon humble avis, il vaut mieux la faire sortir, cette arête. Cela vous permettra d’atténuer certains ressentiments. On dit le général Djibo Salou très amer. Votre soutien à Bazoum, exprimé sans ambiguïté, lui a visiblement enlevé le goût du combat politique. Il est si discret dans cette chamaillerie politique qu’on ne le prendrait pas pour un candidat à l’élection présidentielle. Avec quoi compte-t-il conquérir le fauteuil présidentiel ? Je comprends fort bien son amertume. Que Bazoum ait vos faveurs et votre soutien ne peut être que blessant pour cet homme qui a déposé la vareuse militaire pour s’engager en politique. Malheureusement pour lui, le retour d’ascenseur auquel il pensait être en droit de s’attendre n’a pas eu lieu. Je comprends également votre embarras. Ayant été accusé d’avoir signé un deal avec le tombeur de Mamadou Tanja en 2010, vous êtes désormais tenu à l’oeil et chacun, au Niger et à l’extérieur, s’attend à voir si ce n’est pas la raison qui tant motivé Djibo Salou à quitter l’armée pour s’engager en politique. Je puis vous informer que vos compatriotes n’ont pas baissé la garde. Ils sont d’ailleurs nombreux à pressentir un schéma propice à la matérialisation du fameux deal. Mais, personnellement, je ne vois pas comment l’élimination de Bazoum, que je considère juste et fondée, pourrait profiter à Djibo Salou. Ce dernier est arrivé en retard, avec des armes non suffisamment affûtées, pour pouvoir se faire une place au soleil.

Monsieur le ‘’Président’’

De toute évidence, le Niger, se dirige vers un conflit électoral et/ou postélectoral des plus dangereux. Le climat politique, de plus en plus délétère, ne trompe pas. Il y a des risques sérieux que vous êtes seul à ne pas percevoir ou plutôt, pour rester prosaïque, que vous êtes seul à négliger. Vous avez été si absent lorsqu’il s’agit de questions déterminantes pour notre pays que nous nous trouvons, aujourd’hui, dans une sorte de cul de sac. La paix sociale est en danger du fait du processus électoral que vous avez voulu calquer à votre volonté. Vous avez si pesé, dans le mauvais sens, sur ce processus électoral que des compatriotes vous soupçonnent d’avoir enfoui, dans chacun de vos choix, quelque cadeau empoisonné. Je ne leur donne pas totalement tort. Je m’interroge effectivement sur ce que demain nous réserve. Vous êtes si insaisissable que l’on se perd en conjectures. Et je présume que, jusqu’à votre dernière heure à la tête de l’État, vous allez faire baver vos compatriotes qui, dans leur écrasante majorité, rêvent de vivre votre départ. Ils le fêteront sans doute comme ils n’ont jamais célébré le départ d’un chef d’État auparavant.

Mallami Boucar