La corruption est un fléau tentaculaire qui touche tous les secteurs de la vie sociopolitique et économique du pays avec des conséquences néfastes sur la qualité de vie des populations et le développement de la Nation. Phénomène dévastateur de nos économies nationales, de l'épanouissement de nos populations, la corruption s'exprime aussi, et de la façon la plus néfaste, en période électorale. Étonnant, car les élections sont par excellence des moments de l'expression de la liberté des citoyens à se choisir les femmes et les hommes à qui ils confieront la gestion de la cité et, en d'autres termes, de leurs légitimes aspirations, donc de leur destin sur une période déterminée définie par la loi. Cette période électorale qui favorise la démocratie et la bonne gouvernance, qui, au-delà des obligations et frais liés à la campagne électorale, les ressources inhérentes à la logistique et à la communication, ne peut, en principe, servir de lieu à la distribution d'argent ou de toute autre forme de cadeaux aux électeurs. Mais, force est de constater qu'à l'épreuve des faits, cette période, principalement la campagne électorale, d'abord, puis les opérations électorales, ensuite, sont souvent et ouvertement, sujettes à la circulation d'argent et à l'octroi de cadeaux aux électeurs et à certains acteurs clés du processus électoral. Alors que ces actes sont fortement réprimés par la loi, en particulier le code électoral qui a force de loi. Aussi bien les corrupteurs que les corrompus ne le savent que très bien.
Malheureusement, toutes les formes de corruption en situation électorale sont bien connues et pratiquées sous les tropiques où tous les moyens sont bons pour l'homme politique, le candidat politique, de s'attribuer les faveurs de l'électorat même si ces moyens sont aux antipodes des dispositions pertinentes clairement énoncées par la loi et aussi de la bonne expression démocratique.
En lieu et place d'un débat d'idées fondé sur un programme politique qui se veut un véritable projet de société sur la base d'une bonne gouvernance, certains candidats, sinon la plupart des candidats, exploitant la misère dans laquelle ils ont euxmêmes plongé le peuple, empruntent le dangereux raccourci des pratiques corruptives pour avoir le suffrage des électeurs. Le groupe cible le plus vulnérable, donc le plus visé, est constitué des jeunes et des femmes.
Ainsi, l'argent qui devait être banni lors de cette période électorale coule à flots au su et au vu de tout le monde. En ville tout comme en campagne, les candidats distribuent de l'argent, notamment aux jeunes et aux femmes, comme fonds des hangars que ces acteurs politiques installent et financent dans les quartiers et sur certains lieux stratégiques des villes et des villages.
Du thé, des pagnes et des denrées alimentaires sont abondamment fournis à ces jeunes et femmes alors que tous savent que ces appuis ne sont nullement gratuits, car l'homme politique par nature ne fait rien pour rien.
Dans certaines contrées, surtout rurales, les populations sont tellement bien huilées dans ces pratiques de corruption qu'elles ont développé une adduction au point où elles changent les couleurs et les drapeaux de leurs hangars dès qu'on leur annonce l'arrivée d'un leader politique dans leurs contrées. Comme si tout le contrat entre le gouvernant, ou celui qui y aspire, et le peuple, se réduit à ces honteuses pratiques. Certains citoyens montent de véritables stratégies pour en tirer le maximum, car ils se disent qu'après tout, les élections passées, ces hommes politiques les oublient carrément.
Autre pratique courante de corruption en période électorale, c'est le fait de produire gratuitement des actes d'état civil, souvent sur la base de faux témoignages, à des citoyens en échange de leur vote. Même si la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a organisé des audiences foraines dans tout le pays pour faire établir des actes d'état civil aux citoyens qui n'en avaient pas, pour certains, ce sont des acteurs politiques qui ont pris en charge l'établissement de ces papiers administratifs indispensables à l'enrôlement, pour avoir la carte d'électeur qui leur permettra de voter le jour des élections.
L'achat de conscience des électeurs ne s'arrête pas uniquement à la période préélectorale.
Cet achat de conscience des électeurs se pratique même le jour du vote où des candidats, en violation flagrante des dispositions électorales, interceptent des électeurs qu'ils soudoient. Les conséquences de ces pratiques sur l'enracinement de la démocratie et la bonne gouvernance sont énormes et désastreuses pour le devenir du pays et des populations. L'électeur, en se laissant corrompre, aliène sa liberté de citoyen puisque son vote se fonde sur l'argent ou le cadeau, et non dicté par sa conviction sur la base de la qualité du programme du candidat et sa bonne moralité. Le simple fait que le candidat tente de corrompre est la preuve tangible qu'il n'est pas de bonne moralité et qu'il cherche le poste auquel il a candidaté pour ses propres intérêts. La vie de la Nation est ainsi travestie. Quant aux valeurs sociales et les principes démocratiques, ils sont tout simplement pervertis. Car pour beaucoup d'acteurs, la politique est une entreprise commerciale, une activité génératrice de revenus et le parti, une boutique.
La corruption en période électorale, tout comme la fraude électorale, est, à tous points de vue, porteuse de germes d'instabilité politique, institutionnelle et source de conflits politiques aux conséquences incontrôlables. Car, généralement ce ne sont pas les plus compétents qui sont élus, mais les plus nantis et les faux.
Au Niger, il existe un arsenal juridique et institutionnel de prévention et de répression de la corruption en situation électorale. Les articles 95- alinéas 2 et 96 du Code électoral sont très explicites sur la corruption en période électorale. Mais les mécanismes de sanctions sont souvent restés inefficaces en raison, parfois, de l'insuffisance des instruments institutionnels, et surtout la vulnérabilité et le manque de courage de certains acteurs du processus électoral : magistrats, forces de sécurité et agents électoraux pourtant assermentés. Ce courage citoyen, certains acteurs de la société civile tentent de l'assumer en sensibilisant, d'une part, les citoyens qui se laissent acheter leurs voix, sur le danger que constitue une telle pratique, et d'autre part, en accompagnant les acteurs électoraux mis en difficulté pour leur courage civique de dénonciation.
Pourtant, le respect des lois électorales et des textes règlementaires, juridiques de prévention et de lutte contre la corruption en période électorale est le seul véritable moyen de réduction, sinon de bannissement définitif de la corruption dans le domaine. Seuls gages de votes justes, puisqu'issus du suffrage populaire et universel, et de renforcement de la démocratie et l'Etat de droit au Niger et en Afrique.
NDLR : Cet article a été réalisé dans le cadre d'une résidence d'écriture organisée par la HALCIA sur le journalisme d'investigation.
Moussa Dodo