La réponse à leur préoccupation se trouve dans la mise en place d'une Ceni dite permanente, technique et professionnelle. Une utopie dans le contexte politique nigérien. Mais Mahamadou Issoufou et les siens s'y agrippent comme à une bouée de sauvetage, persuadé qu'en matérialisant cette recommandation du Pnud, ils sont assurés du soutien de l'extérieur. Or, la recommandation du Pnud d'institutionnaliser une Ceni permanente ne semble pas opportune au Niger. La forte politisation de l'administration publique ne milite pas en faveur d'une telle option. L'idée est donc à la fois inopportune mais aussi dangereuse pour la survie de la démocratie. Le risque est que, sous le couvert de l'administration publique, largement politisée, la Ceni ne soit truffée de personnalités partisanes. Un recul dangereux pour la démocratie, la représentation des partis politiques et des organisations de la société civile étant jusqu'ici une garantie de transparence. Le coût financier, abondamment mis en avant pour justifier une telle réforme, ne doit pas être privilégié face à la garantie de transparence que suppose la représentation, au sein de la Ceni, des partis politiques en lice et des arbitres que représentent les acteurs de la société civile et des médias. C'est probablement pour anticiper cette expérience qu'à l'initiative de Mohamed Bazoum, un décret a été pris en conseil des ministres pour supprimer les indemnités de tous les autres membres de la Ceni à l'exception des 20 du bureau élargi. Mal leur en a pris car s'ils ont repoussé à leur guise le renouvellement des assemblées locales dont le mandat a expiré depuis longtemps, ils sont toutefois coincés face à l'élection législative partielle de Maradi.
Le projet de Ceni permanente est d'autant plus utopique et dangereux pour la survie de la démocratie au Niger
Le projet de Ceni permanente est d'autant plus utopique et dangereux pour la survie de la démocratie au Niger que sa professionnalisation dont il est question, avec toutes ses structures décentralisées, y compris les bureaux de vote, suppose la spécialisation de personnels techniques permanents (employés) pour la capitalisation des expériences ainsi que le suivi de l'archivage. Ce qui va induire des dépenses encore plus importantes, une Ceni permanente, avec une administration régionale, départementale et communale pouvant finalement coûter plus cher que la formule actuelle dans la mesure où cela va nécessiter un recrutement de personnels à tous les niveaux (national, régional, départemental, voire communal). Si, comme il est entendu, les personnels dépendront du ministère de l'Intérieur considéré comme le ministère de tutelle des élections, cela ne garantit pas l'indépendance de l'institution. Pire, dans la logique des conclusions du comité ad' hoc mis en place par Brigi Rafini par arrêté N° 187/PM du 23 novembre 2016, la nomination des membres du bureau de vote par la Ceni se fera en dehors de toute configuration ou considération politique. Ainsi, les partis politiques en lice n'ont aucun moyen de contrôle pour s'assurer de la régularité des opérations électorales. Avec le lourd passif qu'ils traînent désormais depuis le hold-up électoral de février-mars 2016, Mahamadou Issoufou et les siens ne peuvent convaincre personne que leur démarche est innocente et que le but est simplement de parvenir à une amélioration du processus électoral. Leur projet sent la parole de l'hyène au berger.
Le fichier électoral sera géré par une direction dont le responsable sera nommé par décret sur proposition du ministre de l'Intérieur
Source de tensions politiques qui n'ont pu être quelque peu apaisées qu'à l'issue de l'audit commandité par l'Oif [Ndlr : Organisation internationale de la Francophonie], le fichier électoral sera désormais l'affaire exclusive d'une direction dite de l'informatique et du fichier électoral biométrique (Difeb) logée au sein de la Ceni mais qui échappe complètement au contrôle de celle-ci, réduite de toute façon à quelques commis qui seront probablement sélectionnés dans des officines politiques. Le patron de la Difeb sera nommé par décret pris en conseil des ministres sur proposition du ministre de l'Intérieur. Une procédure de désignation qui tranche avec le consensus politique qui a toujours prévalu. Un plat royal servi sur un plateau en or à Mahamadou Issoufou et à son parti. Ça se passe de tout commentaire pour ceux qui sont au fait des réalités politiques en cours au Niger. Le Cfeb, qui a rempli sa mission, disparaît. Mais le régime fait mieux ou pire. Il fait d'une pierre, deux coups en enterrant également le Comité national du fichier (Cnf), une instance politique à qui il revient en dernière instance de valider le fichier électoral, garantissant ainsi sa fiabilité. Ce qui fournit aux partis politiques un gage supplémentaire de transparence et de confiance. Sa suppression, qui n'est ni opportune ni indiquée, sonne le glas du consensus politique tel qu'il a été cultivé et entretenu au Niger depuis de longues décennies. Les procédures de vérification imposées par la loi ont tellement ruiné le projet électoral de Mahamadou Issoufou (un coup K.O) qu'il n'est pas prêt de revivre l'expérience. Ces modifications, si elles voyaient le jour, supposent une remise en cause du principe du consensus admis par l'ensemble de la classe politique nigérienne. La primauté de l'avantage du rapport de forces politiques ne peut qu'engendrer des textes de lois personnalisés, taillés sur mesure et préjudiciables, à la fois à la démocratie et à la stabilité durable des institutions de la République.
L'institution d'une liste nationale aux élections législatives pour le tiers des membres de l'Assemblée nationale est un grave recul démocratique
L'institution d'une liste nationale à un 1/3 des membres de l'Assemblée nationale est une proposition qui a plusieurs fois été rejetée. À la Conférence nationale souveraine d'abord, puis au cours d'autres forums politiques. C'est une proposition qui ne fait que l'affaire du parti au pouvoir. Longtemps combattue et catégoriquement rejetée par Mahamadou Issoufou et le Pnds Tarayya, notamment sous le Président Baré qui voulait faire une place à la chefferie traditionnelle au sein de l'Assemblée nationale, la proposition refait aujourd'hui surface. Elle fait partie des projets mûris au sein du comité ad' hoc mis en place par le Premier ministre Brigi Rafini. Un autre coup dur contre la démocratie, la proposition ne favorisant que les grands groupes ou les grands partis à cause de la lourdeur du quotient électoral qui ne peut être atteint par les petits groupes, même en utilisant le principe du plus fort reste. Outre que cette idée remet en cause l'élargissement de la démocratie à la base, au sein même des partis politiques, elle fausse aussi le principe de l'élection des députés suivant le même mode opératoire. N'est-ce pas aberrant que l'Assemblée nationale regroupe en son sein des députés élus différemment, c'est-à-dire selon deux circonscriptions distinctes, le territoire national comme circonscription électorale pour un 1/3 des députés et la région comme circonscription pour les deux autres tiers.
Jusqu'en 2010, le Niger avait un code électoral qui a été éclaté en quatre lois distinctes par le pouvoir en place courant 2014
C'est pratiquement connu et admis de tout le monde : les délais constitutionnels proposés pour l'organisation des élections sont insuffisants. Il faut donc, impérativement réviser le cadre juridique et institutionnel des élections, à savoir les différentes lois électorales, mais aussi la Constitution du 25 novembre 2010. Les réunions du Cndp des 4 et 6 Octobre 2016 ont examiné les différentes recommandations faites par la Ceni et les Partenaires du Niger en matière électorale. De fait, les délais minima de 20 jours pour les législatives) et 30 jours pour la présidentielle, ne couvrent pas suffisamment les délais de réclamations et de recours devant la Cour Constitutionnelle. Les propositions faites dans le cadre du comité ad' hoc mis en place par le Premier ministre répondent, donc, au souci partagé de corriger ces incohérences. Cependant, la démarche solitaire adoptée pour parvenir à ce premier coup d'essai est totalement contraire aux traditions établies. Le tout premier comité installé par le ministre de l'Intérieur, Mohamed Bazoum, par arrêté n° 598/MISP/D/DGAPJ/DLD du 14 Octobre 2016, était pratiquement composé du personnel dudit ministère. Brigi Rafini a dû récupérer le projet et sous le label du Cndp [Ndlr : Commission nationale de dialogue politique], il lui a été loisible de l'entourer de l'artifice nécessaire : donner l'impression d'impliquer les 3 groupes de partis politiques composant le Cndp, c'est-à-dire la majorité, l'opposition et les Non Affiliés. C'est le 8 décembre 2016 que le comité ad' hoc de Brigi Rafini a été installé, avec pour mission d' " examiner le système électoral au Niger sur le plan juridique, institutionnel, organisationnel et procéder à la refonte des trois lois (N° 2014-01 du 24 mars 2014 ; 2014-03 et 2014-04 du 15 Avril 2014). Ce comité a travaillé du 8 décembre 2016 au 2 février 2017 en raison de deux séances hebdomadaires ordinaires et des séances extraordinaires. Entre autres recommandations, ils ont retenu la refonte et harmonisation des textes électoraux ; la révision de certains délais du processus électoral ; la création d'une CENI indépendante et permanente ; l'instauration d'un fichier électoral biométrique fiable suivi de cartes d'électeurs biométriques et l'instauration d'un bulletin unique pour tous les scrutins. La refonte des différentes lois électorales en une seule loi organique est une autre "sorcellerie" du régime en place. Car, jusqu'en 2010, le Niger avait un code électoral qui a été éclaté en quatre lois distinctes par le pouvoir en place courant 2014.
1er juin 2017
Source : Le Courrier