Il semble que Issoufou Mahamadou a bénéficié du prix Mo Ibrahim au nom d’une gouvernance jugée exceptionnelle. Mais, tout le monde, autant au Niger qu’à l’extérieur, autant les Nigériens que ceux qui l’ont gratifié de ce cadeau indu, savent que c’est absolument faux. D’abord, la démarche, pour une fois, est biaisée. Le prix en question et décerné aux anciens chef d’Etat et non à ceux qui sont en exercice. Or, Isoufou Mahamadou n’est pas encore au terme de son mandat. Ensuite, en termes de gouvernance, Issoufou Mahamadou est sans aucun doute un chef d’Etat qui n’a aucun mérite au regard des critères définis pour prétendre au prix Mo Ibrahim. Sous son règne, le Niger est régulièrement classé dernier au classement de l’Indice de développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), la corruption érigée en mode de gouvernance, le trafic de drogue a gangrené le pays, les secteurs sociaux de base sont en ruine, les droits humains sont piétinés, la rupture d’égalité des citoyens devant la loi est devenue la règle, les prisonniers politiques et d’opinion sont légion, l’insécurité a emporté des centaines de vies humaines (civiles et militaires), les ressources de l’Etat, y compris celles dédiées à la défense nationale, sont détournées à des fins d’enrichissement personnel, l’impunité est la règle pour les partisans, bref, c’est l’archétype de la mauvaise gouvernance. À vrai dire, il ne se trouvera personne de bonne foi pour dire que Issoufou Mahamadou mérite ce prix.

On ne change pas un corbeau en une colombe par le plumage. Ceux qui ont manigancé cette affaire n’ont réalisé qu’une seule chose : ils ont réussi à décrédibiliser le prix Mo Ibrahim, d’une nature et d’un objectif si nobles. Désormais, le monde entier sait que les pires gouvernants peuvent s’offrir ce prix et que l’esprit qui a prévalu à sa création n’est plus que chimère et fantaisie. Que la démocratie, la justice, les droits humains, les secteurs sociaux de base, toutes choses que Issoufou Mahamadou a détruites dans son pays, c’est du pipeau. Tuez, emprisonnez, détournez, brimez et corrompez autant que vous voulez, le prix Mo Ibrahim est à votre portée. C’est le message sibyllin que l’époustouflant jury du prix Mo Ibrahim a laissé à la postérité.

En décernant ce prix à Issoufou Mahamadou, la fondation Mo Ibrahim a cessé d’exister. Plus personne n’y croira, n’y accordera le moindre intérêt et aucun chef d’Etat sérieux ne se préoccupera de l’obtenir. Ce n’est pas sérieux de détruire une si belle oeuvre. C’est comme offrir le baccalauréat, à l’écrit, avec mention Bien, au dernier de la classe qui n’a pas même la moyenne pour redoubler. Ce n’est pas sérieux, mais les Nigériens sont habitués. Ils ont conscience qu’ils sont victimes d’un complot et l’objectif est de faire, dans le monde, la promotion de tout ce qui est faux sur le Niger. La vérité est connue, mais elle est refusée, contournée, maquillée. Cependant, malgré les moyens financiers commis à cet effet et les services de grands groupes de presse et de communication, le malaise et la grande impopularité du régime affleure et incommode le climat. À l’extérieur du Niger, les langues se délient et c’est en toute responsabilité que François Soudan, même en usant de langue de bois, a cru devoir indiquer que Issoufou Mahamadou n’a aucun mérite dans le respect de la règle constitutionnelle qui l’oblige à ne pas tenter le diable.

C’est un combat inutile que Issoufou Mahamadou et son régime ont mené. Avec des moyens colossaux. Un combat inutile car on ne réussit jamais un tel combat. Pour cacher la vérité et l’empêcher d’être connue de tout le monde, autant essayer de cacher le soleil avec la paume de sa main. La gestion du pétrole, les détournements des fonds de l’armée, l’achat de l’avion présidentiel, la corruption, le trafic de drogue, sont autant de dossiers qu’on ne peut pas indéfiniment camoufler. Le jour où le vrai visage du régime sera sur la place publique, il est à parier que même le prix Mo Ibrahim sera retiré à Issoufou Mahamadou. Plus rien ne lui restera. Rien que des regrets !

En attendant ce jour qui est inéluctable, les Nigériens attendent la Cour constitutionnelle. Une attente anxieuse qui ne rassure pas quant aux lendemains de la proclamation des résultats définitifs. Ce conflit latent, né du processus électoral, était prévisible. Dès le départ, des voix autorisées ont averti la Ceni sur sa responsabilité d’organiser des élections transparentes dont personne ne contesterait les résultats. En acceptant d’organiser ce second tour de l’élection présidentielle dans les conditions prévisibles de fraudes, de braquages et de bourrages d’urnes dans des localités connues pour ça, la Ceni a engagé toute sa responsabilité dans la crise postélectorale actuelle. Elle a en assume d’autant plus l’entière responsabilité qu’elle n’a pris aucune précaution d’usage reconnue pour éviter, comme Mahamane Ousmane l’y conviait, à faire en sorte que ce qui s’est passé lors des scrutins passés ne soit réédité. Cet échec du processus électoral, qui a déjà engendré pas mal de pertes (humaines, matérielles, etc.) est celui de la Ceni. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, dit-on. Et la Ceni ne peut invoquer quoi que ce soit pour se justifier dans la mesure où elle a bénéficié de tous les moyens (humains, logistiques, techniques, etc.). Elle est indépendante et souveraine. Elle n’a, donc, de mot d’ordre à recevoir de qui que ce soit.

BONKANO