La Cour constitutionnelle a-telle écrit à la Commission électorale ou pas ? La question, abordée avec passion au sein de l’opinion publique nationale, a quelque chose d’inquiétant, notamment pour l’opposition qui revendique la victoire de son candidat à l’issue du second tour de l’élection présidentielle. Tout a commencé avec des bribes d’une correspondance abondamment partagée sur les réseaux sociaux et imputée à la Cour constitutionnelle. Selon cette correspondance, il serait demandé à la commission électorale de commanditer des rapports circonstanciés aux présidents de certaines circonscriptions électorales dont les résultats sont mis en cause par le candidat de l’opposition, Mahamane Ousmane. Rien d’exact. La Ceni n’a jamais fait état d’une telle correspondance. En revanche, elle a adressé, comme cela est de règle au lendemain d’élections, à ses structures décentralisées, une lettre de rappel datée du 13 mars et portant sur « l’urgence absolue et la nécessité extrême de bien vouloir transmettre, au plus tard le 20 mars 2021, les rapports accompagnés de toutes les décisions prises dans le cadre des trois scrutins organisés ». Déjà, le 2 mars, le président de la Ceni a adressé une première lettre par laquelle il leur demandait de transmettre en urgence et par tous moyens appropriés, leurs rapports sur les élections locales et générales 2020-2021 en vue de l’élaboration du rapport général.
Selon des sources politiques crédibles, ce qui a fuité sur les réseaux sociaux est plutôt une correspondance du président de la Ceni régionale de Tahoua. A l’entame de sa lettre adressée aux présidents communaux de la Ceni, Allarou… apostrophe ainsi ses collaborateurs : « Chers collègues ». Il informe que, « dans une grande partie des communes de la région de Tahoua ont vu leurs résultats incriminés par les partis membres de la CAP 20-21 » et que « la Cour constitutionnelle a saisi la Ceni pour demander des éléments de réponses par rapport à ces circonscriptions qui sont de deux ordres, à savoir la mauvaise configuration des bureaux de vote et le non fonctionnement de certains bureaux dont les résultats pourtant été pris en compte d’après l’opposition. Le président régional de Tahoua poursuit en indiquant qu’il est donc demandé « à chaque président de la commune incriminée de produire, urgemment, un rapport circonstancié (d’ici à demain au plus tard). A la clé de sa lettre, Falalou y liste l’intégralité des communes en question.
Pourquoi chercher midi à 14 heures ?
Selon, donc, Falalou, la Cour constitutionnelle a bel et bien saisi la Ceni et sa lettre aux présidents communaux de Tahoua n’est qu’une suite logique de la requête de la Cour adressée à la Ceni. Cette mention de Fallalou Nassirou, que l’on dit militant farouche du Pnds Tarayya, est-elle crédible ? Pourquoi, se demande-t-on, la Cour constitutionnelle va-t-elle demander un rapport circonstancié autre que les pièces dont elle dispose pour apprécier le scrutin et juger, conformément à la loi ? C’est une situation rocambolesque. C’est d’autant rocambolesque qu’on ne trouve pas, nulle part, trace d’une lettre de la Ceni nationale à la Ceni régionale de Tahoua faisant cas de la demande de la Cour constitutionnelle. Si Falalou a dit vrai, il y a problème. Car, outre les rapports de supervision et de contrôle qu’elle a reçus de ses délégataires sur le déroulement des élections, la Cour dispose également des doubles des procès-verbaux de toutes les circonscriptions électorales. Elle a surtout le dossier de recours en annulation du candidat Ousmane, suffisamment fourni, apprend-on, de pièces à conviction. Pourquoi alors chercher midi à 14 heures ? Au regard du flou, l’on s’interroge forcément. On se demande si la Cour constitutionnelle peut se simplifier ainsi la tache en s’appuyant sur les déclarations d’acteurs électoraux qui pourraient avoir un parti pris plutôt que de faire foi à celles des victimes des procédures décriées.
Dans ce rapport, Falalou a laissé transpirer son parti pris.
Pour de nombreux observateurs, Falalou Nassirou n’a pas agi selon sa seule volonté. Il a bien listé l’intégralité des communes incriminées par le dossier de recours déposé par Mahamane Ousmane. Le fait d’être président régional de Tahoua lui donnet- il la possibilité de connaître avec exactitude les communes épinglées par Mahamane Ousmane s’il n’a pas été mis au parfum ? De toute façon, il a bien souligné que la requête provient de la Cour constitutionnelle. Si c’est un mensonge inventé afin de faire marcher les présidents communaux, il aura réussi son coup, mais en portera toute la responsabilité. Peutil s’agir d’un coup politique dans lequel des individus auraient utilisé le nom et les attributs de la Cour constitutionnelle ?
Ayant reçu les rapports de ses collaborateurs dans les délais demandés, Falalou Nassirou ne se contentera pas de les transmettre à la Cour constitutionnelle comme le laisse penser sa missive. Il en fait une synthèse qu’il a intitulé « Rapport circonstancié ». Dans ce rapport, Falalou a laissé transpirer son parti pris. Il ne se limite pas à rapporter. Il commence par indiquer qu’il est de l’essence des élections, surtout en Afrique, de susciter des passions qui aboutissent le plus souvent à des contestations pouvant entraîner de vives tensions, voire, des affrontements. Notre pays, le Niger, n’échappe pas à cette règle et c’est pourquoi, depuis la proclamation des résultats du deuxième tour des élections présidentielles du 21 février 2021, la Ceni, à travers ses démembrements, ne cesse de subir les assauts d’un des deux camps qui soutient mordicus avoir été lésé avec sa complicité ». Un rapport pathétique qui en dit long sur l’état d’esprit de son auteur. Lisez plutôt : « c’est dans cette optique que ce camp vient d’incriminer 23 communes sur les 44 que compte la région de Tahoua ».
Comme un cours de droit aux membres de la Cour constitutionnelle.
Le rapport circonstancié de synthèse de Falalou est-il conforme aux contenus des rapports individuels des présidents communaux ? Il respire tant l’appréciation personnelle qu’on pourrait le faire signer par le directeur de campagne de Mohamed Bazoum sans problème. « Tout en étant indignés ces allusions pour la plupart infondées », souligne-t-il, « nous tenons à rappeler, d’une part que conformément à la loi, seules les observations consignées dans les procès-verbaux de dépouillement et faites par les délégués des différents partis politiques ou candidats en compétition doivent être analysées et prises en compte par la Cour constitutionnelle ; d’autre part, il est de principe que la preuve incombe au demandeur ». À qui s’adresse Falalou Nassirou pour croire utile de faire mention de ces principes connus de la Cour ? Il va d’ailleurs plus loin en précisant que « cela revient à dire qu’à quelque niveau qu’il soit, le juge ne doit se prononcer que sur la base des preuves qui lui auront été rapportées par rapport aux prétentions qu’une partie a soulevées ; lesquelles prétentions, faute de preuve, deviennent de simples allégations ». Un réquisitoire contre Mahamane Ousmane et les partis qui le soutiennent ? Une plaidoirie en faveur de Bazoum Mohamed ? Si ce n’est ni l’un, ni l’autre, il est toutefois permis de considérer le rapport de Falalou Nassirou comme un cours de droit aux membres de la Cour constitutionnelle.
« Une démarche surprenante de la Cour constitutionnelle », dixit Falalou Nassirou
Malgré le caractère fortement orienté de son rapport, le président de la Ceni régionale de Tahoua a malgré tout soulevé un lièvre. «…nous sommes surpris par la démarche adoptée par la haute juridiction consistant à nous demander de nous prononcer dans un rapport sur les allégations d’une partie alors même que tous les éléments d’appréciation sont en sa possession dans les enveloppes, à elle, destinées ». Une vérité qui ajoute davantage au flou de la situation ainsi créée. Tant qu’à auditionner des acteurs, ce sont, selon un homme de droit qui a requis l’anonymat, les acteurs cités dans les exploits d’huissiers versés au dossier de réclamation de Mahamane Ousmane qu’il faut faire auditionner et non pas les présidents des Ceni décentralisées. Or, selon des informations dignes de foi, ces exploits d’huissiers font parler, à travers des sommations de dire, des présidents de bureaux de vote des localités incriminées qui ont décliné leurs identités, donné les indications de leurs bureaux de vote (numéros et noms de village), les noms des chauffeurs qui les ont transportés, etc. Une mine d’informations qui renseignent sur ce qui s’est passé dans les communes de Tahoua, le 21 février 2021. Officiers de justice, les huissiers sont des agents assermentés et la Cour constitutionnelle, probablement, ne peut passer outre leurs exploits.
Laboukoye