Le nettoyage des écuries d’Augias aurait-il commencé ? Installé dans les fonctions de président de la République à l’issue d’un processus électoral tumultueux dont il était essentiellement la cause, le 2 avril 2021, Bazoum Mohamed n’a pas attendu longtemps pour afficher ses velléités d’émancipation de son prédécesseur et mentor Jusque-là limité à quelques petits coups d’éclat sans grand enjeu politique, notamment à travers la suppression des postes de directeur de cabinet dans les ministères, il vient d’amorcer un tout autant petit coup d’accélérateur à sa marche titubante de caméléon. Le chef de service Matériel de la présidence de la République, un certain Ibrahim Amadou, est mis aux arrêts de rigueur après avoir été interdit de sortie du territoire de la ville de Niamey jusqu’à la fin de l’enquête judiciaire le concernant. L’intéressé, rapporte-t-on, de sources proches du régime en place, est impliqué dans des malversations portant sur des centaines de millions de francs CFA soustraits des caisses du Trésor public par le biais de faux et usage de faux en écriture publique. Celui que ses fans appellent affectueusement Ibou plus ou Ibou Karadjé ne passe pas par quatre chemins. Il imitait les signatures de plusieurs personnalités – pas moins de cinq, dit-on – pour faire sortir des centaines de millions de francs CFA à travers des lettres d’autorisation de paiement (LAP) qui passaient curieusement comme lettre à la poste. Pendant longtemps avant que le pot aux roses soit découvert. Des LAP portant sur un montant total de 168 millions de francs CFA et qui vont faire découvrir l’enfant de Karadjé sous ses vrais jours. Et de fil à aiguille, les premières enquêtes diligentées sur l’affaire permettront de mettre en lumière l’énorme arnaque qui a permis à Ibou Karadjé de se construire une fortune appréciable. Dans l’arrondissement communal Niamey 5, l’homme, qui n’est pas du tout modeste, est passé pour être un homme riche et bon samaritain.

Avec un parc automobile qui frise la provocation dans un contexte social paupérisé de sa zone de résidence, Ibou Karadjé s’est imposé la réputation d’un jeune qui a réussi, comme on le dit sous nos tropiques. Il ne fait pas pourtant du commerce, mais travaille à la présidence de la République d’où il tire les ressources dont il fait étalage.

Une image de bon samaritain qui n’est jamais passée dans l’arrondissement communal Niamey 5

Son image de bon samaritain, il l’a surtout construite au travers de la gestion des inondations dont l’arrondissement communal Niamey 5 a été victime, notamment au cours de la saison hivernale passée. De graves inondations qui ont emporté des centaines de ménages, des vies humaines, occasionné d’énormes pertes matérielles, etc. Ambitionnant de se porter candidat aux élections locales – son objectif étant de gagner la présidence du conseil de ville de Niamey – Ibou Karadjé a dépensé sans compter. De nuit comme de jour, il a distribué de grandes quantités de vivres, d’eau, de couverture et même de la latérite pour contenir la furie des eaux. Des actions qui lui ont permis de gagner la sympathie d’un nombre de ses concitoyens de la commune 5. Un nombre qui n’est pas toutefois assez important pour jouer en sa faveur dans les élections locales. De fait, le terrain est pratiquement sous influence du Moden Fa Lumana Africa et déjà, nombre de ceux qu’il comptait subjuguer pour l’aboutissement de son projet politique, étaient persuadés que les richesses dont il faisait étalage avaient une provenance douteuse. Il ne pouvait pas convaincre de son sérieux.

Les Nigériens restent sceptiques quant à la capacité de Bazoum de passer à un véritable nettoyable des écuries d’Augias

Pris, aujourd’hui, la main dans le sac, Ibou Karadjé est un homme désormais à l’avenir politique compromis. Mais son cas pose la problématique générale de la lutte contre la corruption et les détournements des deniers et biens publics. Un combat que Bazoum Mohamed a promis de mener sans faiblesse. Seulement, si des voix s’élèvent ici et là pour relever que Bazoum vient d’entamer, par cette affaire, le nettoyage des écuries d’Augias, ils sont, en revanche, nombreux, les Nigériens qui doutent sérieusement de sa capacité à se livrer à ce combat utile pour le Niger. Pour cause, il s’est gardé de toucher aux dossiers à scandales déjà connus dont le plus choquant est sans doute celui du ministère de la Défense nationale. Non pas parce qu’il porte forcément sur des montants inégalés, mais parce qu’il est lié à la défense nationale dans un contexte de guerre qui a emporté et qui continue d’emporter des centaines de vies humaines civiles et militaires. La plupart des Nigériens sont, donc, quelque peu sceptiques et préfèrent, face à cette situation confuse, rester vigilants. Si ses velléités d’inaugurer une nouvelle gouvernance sont à saluer, elles ne sont pas, en revanche, suffisamment dosées pour convaincre. D’aucuns estiment que Ibou Karadjé ne représente qu’un menu fretin et que, s’il doit nécessairement répondre de ses actes devant la justice, son cas ne suffit pas pour emporter l’adhésion des Nigériens à l’alternance dans la continuité.

Issoufou Mahamadou, perçu comme le plus gros obstacle au nettoyage des écuries d’Augias

L’obstacle de taille dans ces velléités de Bazoum Mohamed, Issoufou Mahamadou, son prédécesseur et bienfaiteur le laisseraitil ainsi présenter sa gouvernance sous ses plus mauvais jours ? Ce n’est gagné d’avance. Dans un entretien qu’il a récemment accordé à un média français, Issoufou Mahamadou a laissé entendre qu’il ne comptait pas s’éloigner de la gestion des affaires publiques. Une sorte de mise en garde pour Bazoum ? Quoi qu’il en soit, le fait de commencer le nettoyage des écuries d’Augias par la présidence de la République constitue tout un symbole lourd de message. Reste à savoir qui, de Bazoum et d’Issoufou, l’emportera sur l’autre.

Yaou