Bazoum Mohamed avait promis la continuité de la gouvernance qui a prévalu durant les 10 années de règne d’Issoufou Mahamadou, le chef d’Etat nigérien le plus détesté de ses compatriotes, sans aucun doute. Aujourd’hui au pouvoir malgré tout, il est pris entre le marteau et l’enclume. Balloté entre des velléités mal assumées de s’émanciper de la tutelle étouffante du système issoufien et de tracer sa voie propre, et la surveillance plus qu’étroite de ceux grâce à qui il s’est retrouvé au sommet de l’Etat. Un véritable noeud cornélien qui pourrait tourner à la tragédie pour un homme qui a tant besoin de convaincre d’être un bon parti pour le Niger. Ayant entrepris des démarches qui semblent insolites aux yeux des pontes du Pnds Tarayya, Bazoum risque fort de se faire taper sur les doigts plus vite qu’il ne le pense. Déjà, des sources concordantes indiquent que de nombreuses pontes du parti rose se retrouvent régulièrement à la résidence d’Issoufou Mahamadou et les choses prennent de plus en plus l’allure de concertations d’un genre suspect. S’agit-il de simples visites de courtoisie et de respect à l’endroit d’un homme qui a sacrifié les intérêts de l’Etat sur l’autel des amitiés personnelles et de la camaraderie politique ? Les deux, peut-être. Face aux premiers pas de Bazoum Mohamed à la tête de l’Etat, l’inquiétude s’installe dans les rangs des partisans d’Issoufou Mahamadou. Ils sont nombreux qui traînent des casseroles et s’inquiètent farouchement des premières tendances de Bazoum. Celui-ci essaie, méthodiquement mais prudemment, de défaire les cordes dans lesquelles le système issoufien a mis le pays. Il allège le dispositif sécuritaire, il se déplace sans grand protocole, reçoit et écoute les acteurs de la société civile,

Comment Bazoum Mohamed peut-il convaincre de sa volonté affichée de décrisper la vie politique alors que des prisonniers politiques croupissent toujours dans les prisons nigériennes.

Et pourtant, Bazoum est loin de convaincre son public. Un public largement focalisé sur les réminiscences du système issoufien et qui hâte d’y voir la fin. Pendant, 10 ans, Issoufou a régné en emprisonnant des centaines de Nigériens parmi lesquels l’on trouve régulièrement, adversaires politiques, journalistes et acteurs de la société civile. Ah, la continuité ! Sur ce point, Bazoum fait peur. Ses rencontres avec les acteurs et partenaires de la vie politique sonnent tellement faux que, d’une part, elles suscitent l’inquiétude dans le camp d’Issoufou, d’autre part, elles paraissent, dans les rangs de l’opposition et au sein des organisations de la société civile, comme une volonté morbide d’endormir et de tromper. Comment Bazoum Mohamed peut-il convaincre de sa volonté affichée de décrisper la vie politique alors que des prisonniers politiques croupissent toujours dans les prisons nigériennes. A Niamey, à Say, à Tillabéry, à Kollo, à Filingué, etc. Et s’il y en a qui ont été arrêtés sous Issoufou, d’autres ont l’ont été récemment, à la suite d’une obscure tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat.

Les prisonniers politiques, la preuve de la continuité

Bazoum Mohamed a, donc, du plomb dans l’aile. Il aura d’autant plus de mal à convaincre qu’il est épié à la fois par le système et les citoyens qui restent sceptiques sur sa capacité à inaugurer une autre gouvernance. S’il a la réputation d’être un félin en politique, l’homme est toutefois coincé. Hama Amadou, le chef de file de l’opposition, fortement adulé par le peuple nigérien, est maintenu en prison pour des propos tenus lors de la campagne électorale. Or, Bazoum lui-même a tenu des propos jugés virulents et a violé la loi électorale en s’élançant dans une campagne électorale déguisée avant l’heure. Il n’est pas seul. Moumouni Boureima, l’ancien chef d’Etat-major générale des Forces armées nigériennes et bien d’autres, dont des officiers de l’armée dont personne ne connaît la faute commise, gardent encore prison. Les prisonniers politiques constituent la plus belle preuve de la continuité.

La continuité, une voie suicidaire pour Bazoum

La continuité, telle que promise par Bazoum, est-elle possible ? Oui, bien sûr, puisque, jusqu’à preuve du contraire, les Nigériens notent une persistance de l’ancien ordre politique. Tant qu’il garde des prisonniers politiques, arrêtés sous Issoufou ou récemment, Bazoum ne peut convaincre que de sa volonté d’assurer la continuité. Sur ce point, lui et Issoufou, c’est bonnet blanc, blanc bonnet. Mais, cette voie a un énorme coût pour lui. Les combats assoupis feront à surface et le Niger risque d’être à nouveau d’être un vaste champ d’insurrections populaires. Si les opposants et les acteurs de la société civile qu’il est en train de rencontrer et d’écouter ne voient pas de suite logique à ces pourparlers directs, ils ne manqueraient pas de lever les équivoques et de le faire savoir à l’opinion. Une perspective redoutable pour un homme qui a, selon de nombreux proches, la volonté de faire un trait sur les 10 années de gouvernance d’Issoufou.

Le forgeron est désormais dans la forge et les Nigériens attendent, impatiemment, de voir ce qu’il veut forger.

Selon des observateurs avisés, il n’y a qu’une alternative pour Bazoum. Soit, il plie devant les desiderata d’un système qui a ruiné le Niger ; soit, il met le Niger en avant et faire droit aux attentes de ses compatriotes. Présenté par ses partisans comme quelqu’un qui n’a pas les mains noires de cambouis pour ne pas entreprendre de mettre l’Etat dans ses droits et donner espoir aux Nigériens, Bazoum Mohamed est également prisonnier de ses propos et de ses positions sur la lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics. À la veille du début du second mandat d’Issoufou, il avait fait de vaines incantations politiques de voir son prédécesseur mener une lutte féroce contre la corruption. Le forgeron est désormais dans la forge et les Nigériens attendent, impatiemment, de voir ce qu’il veut forger.

Doudou Amadou