Entre Bazoum Mohamed, le président de la République, et son prédécesseur, Issoufou Mahamadou, rien ne va plus. Le premier entend mener une lutte sans merci contre la corruption et les infractions assimilées, le second veut, coûte que coûte, empêcher la reddition des comptes des auteurs. Exactement comme il l’a fait durant les 10 années de son règne. Une période de grâce pour les malfaiteurs à laquelle Bazoum s’est formellement engagé à mettre un terme. Lors de son investiture, il a notamment déclaré que rien ne protégerait les indélicats, ni leur parti ni leur base. Cet avertissement, manifestement, n’est pas pris au sérieux quelque part au sein du pouvoir où l’on croit dur comme fer que les propos du nouveau président ne sont qu’une simple profession de foi sans lendemain. Alors, lorsqu’un de ces actes est flatté et mis en valeur, dans le camp du pouvoir proche d’Issoufou, l’on ne pense qu’à une volonté de manipulation visant à opposer l’ancien et le nouveau locataire du palais présidentiel. On s’irrite contre le fait qu’une certaine opinion nationale se réjouisse des actes posés par Bazoum, on dénonce une vile manipulation et on maudit ceux qui magnifient cette antinomie entre les gouvernances issoufienne et bazoumienne. Et pourtant…
Issoufou serait en train de s’arracher les cheveux.
Le pétrole, à la tête duquel Issoufou Mahamadou a imposé son propre fils, Sani Issoufou dit Abba, est un dossier sulfureux sur lequel un coin de voile est en train d’être levé. Tout ce dont Issoufou ne veut pas. Il serait en train de s’arracher les cheveux, furieux de la volonté de Bazoum de remettre en cause un certain nombre de choses vilaines et préjudiciables à l’Etat du Niger. Selon des sources politiques crédibles et concordantes, Bazoum s’était farouchement opposé à la reconduction de Pierre Foumakoye Gado à la tête du ministère du Pétrole. Et c’est pour diviser la poire en deux que, finalement, le Président Bazoum a accepté de s’accommoder avec le fils, nommé ministre du Pétrole et des Energies renouvelables. Un département à partir duquel le clan a brassé large dans l’optique d’avoir un oeil sur les secteurs- clés de l’économie nationale.
Bazoum a instruit pour que le contrat soit résilié. Sans préjudice pour l’Etat.
La construction du pipeline Zinder-Torodi devant assurer le transport du brut nigérien jusqu’aux côtés du Burkina Faso en vue d’une exportation dans d’autres pays, a fait objet d’un contrat faramineux sous Issoufou de 610 milliards de francs CFA ! De quoi éveiller les soupçons, les pratiques sous son règne étant des plus corruptives. En homme averti des dessous de ce dossier sulfureux, Bazoum Mohamed a freiné l’hémorragie financière en cours. On croyait qu’il se contenterait de prendre le train en marche. Il l’a plutôt fait immobiliser afin d’y voir plus clair. Hier, mercredi 23 juin 2021, ceux qui sont à la manoeuvre ont programmé cette date pour voir le Président procéder au lancement des travaux de construction, à Zinder. Bazoum s’y refuse. Il n’y aura pas de cérémonie du tout. Le Président instruit en revanche pour que le contrat de construction du pipeline soit résilié. Purement et simplement. Sans préjudice pour l’Etat, aurait-il précisé avec fermeté. Et aussitôt instruit, aussitôt fait, un comité chargé de réfléchir sur la résiliation du contrat sans causer le moindre préjudice pour l’Etat a été mis en place en vue de matérialiser l’instructiondu chef de l’Etat. Une belle démonstration à ceux qui doutent encore qu’il reste l’unique maître à bord du bateau.
Ce refus de Bazoum de cautionner ce qui semble une arnaque est très mal pris du côté d’Issoufou où la décision du Président est ressentie comme une véritable offense.
L’instruction donnée par le Président Bazoum de réviser le contrat de construction du pipeline n’est pas un fait du hasard. « C’est parce qu’il y a anguille sous roche », dit un ancien ministre qui a requis l’anonymat. « Sans préjudice pour l’Etat », a instruit Bazoum à l’endroit du comité mis en place à cet effet et qui devait tenir sa première réunion de travail depuis le mardi 22 juin 2021. On ignore ce qui a pu bloquer le démarrage des travaux du comité. En revanche, on sait que le Président Bazoum a catégoriquement refusé d’aller à Zinder malgré des pressions diverses. « Ce sera pour une autre fois, lorsque tout sera clarifié », indique un proche de l’intéressé. Ce refus de Bazoum de cautionner ce qui semble une arnaque est très mal pris du côté d’Issoufou où la décision du Président est ressentie comme une véritable offense. Foumakoye Gado, en l’occurrence, a du souci à se faire. L’affaire est délicate et l’ancien président serait dans tous ses états. Le chef de l’Etat aurait vaguement l’impression qu’on lui dispute le leadership à la tête de l’Etat. Son prédécesseur devenait un pôle de cristallisation des mécontentements de ceux qui ont des choses à se reprocher dans la lutte contre la corruption.
Bazoum Mohamed sait sans doute à quoi il s’attaque et s’y est sûrement préparé.
Un grand coin du voile noir qui couvre la gestion opaque du pétrole est en train d’être levé. L’artisan, Bazoum Mohamed, est là depuis près de trois mois, à la tête de l’Etat. Exactement deux mois et 23 jours, aujourd’hui. S’il n’a pas déplacé des montagnes ou déraciné les pyramides, il a toutefois réussi à capter l’attention des Nigériens, dans certains cas, à susciter chez eux l’espoir d’une gouvernance nouvelle et meilleure. Après tous les actes de bonne foi qu’il a posés et qui tendent à épargner les deniers publics de la boulimie insatiable du clan Issoufou, Bazoum Mohamed a commencé, à présent, à s’attaquer aux affaires sérieuses. Il sait sans doute à quoi il s’attaque et s’y est sûrement préparé.
Laboukoye