Après toutes les péripéties liées aux élections controversées de décembre 2020 et février 2021, le Niger est brusquement retombé dans une sorte de sérénité et de quiétude politique que rien ni personne n’avait prévu, tant la proclamation des résultats électoraux ont provoqué un déferlement de violences inouïes dans le pays. Niamey, la capitale, a notamment été déchirée par ces scènes de violences durant quatre jours : véhicules démolis, domiciles incendiés, rues barricadées, sur fond de pneus brûlés, etc. Depuis lors, le calme est revenu et le Niger semble avoir renoué avec la paix des esprits. Et aussi curieux que cela soit, l’opposition, qui a rué dans les brancards durant quelques semaines, a rangé ses armes, préférant, comme l’a déclaré Mahamane Ousmane, son candidat au second tour de l’élection présidentielle, « se fier au bon Dieu ». Un fatalisme qui a pour effet de doucher les ardeurs des militants qui se sont dit qu’il n’y a pas lieu de se faire plus royaliste que le roi.
Les deux clans principaux du pouvoir n’ont pas la même approche des enjeux
Depuis, donc, la fin des violences post-électorales et l’arrestation de certains ténors de l’opposition, dont Hama Amadou aujourd’hui en France pour un contrôle médical, les hostilités politiques semblent avoir changé de camp. La traditionnelle confrontation pouvoir-opposition s’est muée en une sorte de luttes feutrées entre clans au pouvoir. Les deux clans principaux du pouvoir n’ont pas la même approche des enjeux : le premier, incarné par l’ancien président, Issoufou Mahamadou, s’est beaucoup illustré dans les détournements des deniers publics, la corruption, l’hypothèque des intérêts supérieurs du Niger, le tout, corroboré par l’impunité accordée aux auteurs et complices. Le second, qu’essaie de porter et de promouvoir Bazoum Mohamed, le nouveau locataire du Palais présidentiel, se veut un magistère fait d’humanité, de dévouement au service de l’Etat et de lutte sans merci contre la corruption et les détournements des deniers publics.
Autour d’Issoufou, s’est agrégé un groupe d’obligés aux mains sales.
De plus en plus, et sur des dossiers stratégiques, Bazoum Mohamed affiche sa détermination à changer de paradigme dans la gouvernance. Son refus récent d’aller à Zinder pour le lancement des travaux de construction du pipeline Zinder-Torodi est un pas de géant dans les petits remarqués jusqu’ici. Il a non seulement refusé d’aller présider la cérémonie de Zinder, mais il a instruit la mise en place d’un comité chargé de réfléchir sur la résiliation du contrat de construction du pipeline. « Sans préjudice pour l’Etat », apprendon. Un contrat de 610 milliards de francs CFA sur lequel pèsent de lourds soupçons de corruption. Selon des sources concordantes, depuis que Bazoum a décidé de la résiliation de ce contrat, Issoufou Mahamadou a piqué une colère indicible. Autour de lui, s’est agrégé un groupe d’obligés aux mains sales. Ils craindraient des poursuites judiciaires, Bazoum ayant montré des indices de son engagement à mener une lutte sans merci contre la corruption et les infractions assimilées. Ils n’ont pas si tort. Selon des sources politiques crédibles, Foumakoye Gado, l’ancien ministre du Pétrole, tout comme d’autres apparatchiks de l’ancien système, risquent fort, dans les prochaines semaines, de répondre de leurs actes par rapport à des dossiers pendants.
Issoufou Mahamadou ne peut s’attribuer ce rôle sans offenser et embarrasser Bazoum Mohamed dans sa lutte contre la corruption et les infractions assimilées.
Le divorce programmé entre Bazoum et Issoufou est plus que d’actualité. Un divorce si avancé que le second semble avoir damé le pion à Mahamane Ousmane, le challenger de Bazoum Mohamed au second tour. Un Mahamane Ousmane qui a réclamé la victoire avant de tout laisser tomber. Quant à Issoufou, il ne se voit pas s’effacer ainsi du jour au lendemain dans la direction du pays. Il l’a d’ailleurs déclaré à un journal français auquel il a accordé une interview récemment. Pour lui, l’échec de Bazoum, c’est le sien ; il serait donc là pour lui donner des conseils et lui dire certaines vérités. Des vérités qui pourraient toutefois prendre la forme de la défense des auteurs de corruption et de détournements des deniers publics. Un rôle qu’il ne peut s’attribuer sans offenser et embarrasser Bazoum Mohamed dans sa lutte contre la corruption et les infractions assimilées.
Issoufou Mahamadou, un opposant de l’intérieur ?
Peu à peu, et la volonté de Bazoum Mohamed de gouverner autrement le présageait nettement, le fossé se creuse entre Issoufou Mahamadou et Bazoum Mohamed. Dans cette confrontation feutrée entre les deux pôles du pouvoir, il n’y a pas de place pour les à-peu-près. Mahamane Ousmane a bel et bien cédé sa place d’opposant à Issoufou Mahamadou. À l’exception de la sortie médiatique de son avocat qui a déclaré, il y a quatre jours, avoir saisi la Cour de justice de la Cedeao pour violations de droits humains dans le cadre de l’élection présidentielle nigérienne, Mahamane Ousmane fait carrément le mort. Issoufou, lui, s’activerait de l’intérieur à remettre les pendules à l’heure. Bazoum Mohamed garde bien la main sur les deux manettes essentielles : il est président de la République et n’a pas encore démissionné de la présidence du Pnds Tarraya. Une obligation pourtant constitutionnelle.
Si Issoufou Mahamadou reste ferme sur ses intentions de mettre des bâtons dans les roues de Bazoum Mohamed qui serait de plus en plus perçu comme un danger potentiel pour le clan, il va se mettre des chaînes aux pieds et aux mains. Bazoum, diton, ne reculera pas. Mais, peutêtre sera-t-il assez pragmatique pour comprendre les enjeux pour son successeur.
Doudou Amadou