Les conséquences de 10 années de corruption et de détournements systématiques des fonds publics commencent à se faire remarquer au-delà des frontières nationales. La semaine dernière, un reportage sur la RTS 1, chaine publique sénégalaise, a choqué et frappé les Nigériens dans leur fierté. Des centaines de compatriotes, hommes, femmes et enfants ont pris d’assaut les rues de Dakar. Leur «boulot», la mendicité. Dans le reportage, il est souligné que ces compatriotes disent avoir fui l’extrême pauvreté et la faim dans leur pays. Une image dégradante, choquante pour tout Nigérien, certes, mais non sans fondement. Depuis quelques années, les campagnes agricoles déficitaires, voire catastrophiques, se sont succédé, aggravant une insécurité alimentaire qui s’est installée dans l’agenda de la plupart des Nigériens pour cause de sécheresse cyclique. Cependant, la gouvernance qui a cours depuis près de 11 ans a davantage aggravé la situation, dépouillant les populations du minimum auquel elles sont en droit de s’attendre. La situation financière de l’État le leur autorisait lorsqu’en 2011, Issoufou Mahamadou a accédé au pouvoir. De l’uranium, du pétrole, du gaz, des fonds obtenus pour la réalisation du barrage de Kandagi, des réserves appréciables à la Bceao, tous les signaux étaient au vert et tous les observateurs s’accordaient à penser qu’il suffirait d’un minimum de gouvernance vertueuse pour le Niger pour décoller. Hélas, l’homme qui va être investi le 3 avril 2011, va incarner une gouvernance scabreuse, faite de corruption et de détournements des fonds publics, de trafics de drogue et d’armes, sur fond d’impunité pour les auteurs.

Les 1000 milliards d’Eximbank de Chine, dette contractée en gage de productions pétrolières de plusieurs années, les 200 milliards de l’uraniumgate, le tonneau des danaïdes à milliards de l’achat de l’avion présidentiel, les 15 000 tonnes de l’aide alimentaire pakistanaise, les milliards — Dieu seul combien exactement — destinés à l’armement des Forces armées nationales (Fan), tout y est passé. Pendant plus d’une décennie, le Niger a vécu au rythme des scandales financiers qui ont enrichi la clientèle politique tandis que l’État, qui croule sous la dette publique, a de plus en plus du mal à remplir ses obligations. Les secteurs sociaux de base (l’école, la santé, l’eau) sont délaissés, aggravant la pauvreté. Les familles, particulièrement en milieu rural, tirent le diable par la queue pour survivre. Cette année, bien avant la période soudure, connue pour être difficile pour les agriculteurs, le grain manque déjà cruellement. Les grandes villes, notamment Niamey, sont assiégées pratiquement par de nombreuses cohortes de talibés. La misère est visible pour qui sait la lire ou pour qui comprend. Elle transparaît surtout dans le regard, gêné de ces femmes et des hommes qui, manifestement, ne sont pas des mendiants ordinaires. Ils ont été jetés dans la rue par la faim et l’impossibilité de subvenir à leurs besoins autrement que de venir en ville.

L’État, dont les animateurs veulent, malgré tout, se donner bonne conscience, ont régulièrement procédé à des opérations de ventes de céréales à prix modérés. Mais cela ne profite qu’à ceux qui ont de l’argent pour s’acheter quelque chose. En campagne, généralement ce n’est pas le cas et l’opération tourne en fin de compte dans les centres urbains et péri-urbains. Ces opérations de vente de céréales à prix modérés sont généralement financées par les partenaires du Niger, notamment dans le cadre du CCA, une structure créée en vue d’assister le pays dans les situations d’insécurité alimentaire. C’est une excuse pour les autorités qui en ont fait leur ritournelle. Dès qu’elles ont l’occasion, elles évoquent l’assistance que l’État apporte aux populations en soulignant les tonnes de vivres (mil, sorgho, maïs) mises à disposition. Mais l’État n’a jamais fait la moindre enquête pour s’assurer que l’assistance en question profite réellement aux foyers démunis des campagnes. Pour le gouvernement nigérien, il s’agit avant tout d’une opération marketing destinée à soigner l’image de marque du régime.

Outre la corruption et les détournements des deniers publics qui ont gravement impacté sur les conditions de vie des populations nigériennes, il y a aussi l’insécurité dont des milliers de Nigériens ont payé le prix fort en l’espace de 10 années. Des régions entières, à l’est du pays (dans la région de Diffa à et à l’Ouest (Tillabéry), notamment, des milliers d’autres, les survivants à un massacre méthodiquement mené par des bandes armées sur lesquelles on s’interroge, ont dû quitter leurs terroirs naturels pour se réfugier plus à l’intérieur. Ils fuient face à l’incapacité de l’État à assurer leur sécurité et la défense de l’intégrité du territoire national. Aussi curieux que cela soit, ils fuient également parce que nombreux d’entre eux ont presque acquis la conviction que ceux qui les massacrent, emportent leurs troupeaux et incendient leurs greniers bénéficient de complicités avérées. Des populations ont à ce propos témoigné que leurs troupeaux ont été emportés par des hommes armés, pratiquement sous les yeux des forces de défense et de sécurité venus à leur secours mais à qui instruction leur airait été donnée de ne pas dépasser les limites de la localité attaquée. C’était le cas à Banibangou.

Sous Issoufou Mahamadou, la délinquance économique a atteint des proportions inimaginables, hypothéquant l’avenir de générations entières. L’insolite évènement mis en lumière par la télévision publique sénégalaise n’est pas le fait du hasard. C’est la conséquence d’une décennie entière dédiée aux détournements, à la spoliation, aux trafics d’armes et de drogue, etc., sur fond d’impunité et de politique antisociale.

Doudou Amadou