Le 2 avril passé, Bazoum Mohamed a bouclé ses 12 premiers mois à la tête de l’État. Une date que le président consacre généralement à la présentation d’un bilan annuel de travail. Cette fois-ci, la tradition n’a pas été respectée. Le Président Bazoum en a décidé ainsi. Il était pourtant attendu sur ce bilan d’autant plus qu’il a pris des engagements fermes et fait des promesses. Des campagnes électorales ? Pas seulement. Lors de son investiture, le 2 avril 2021, il a solennellement dit aux Nigériens ce qu’il comptait faire, notamment dans le domaine de l’éducation, de la lutte contre le terrorisme et de la «guerre» contre la corruption. Des registres dans lesquels il ne brille pas particulièrement en dehors de vains discours répétés a l’envi. Pendant un an, il a continué à renouveler ses promesses, à prendre des engagements, oubliant qu’il était déjà, depuis 12 mois, dans ses fonctions et que ses compatriotes attendent plutôt de le voir à l’?uvre. Ila d’ailleurs plus déçu que convaincu, notamment sur la question de la lutte contre la corruption qui a connu récemment un épilogue scandaleux avec la décision de l’État de renoncer à se constituer partie civile dans l’affaire des milliards destinés à l’armement des Forces armées nationales mais détournés au profit d’individus nommément cités dans un rapport d’audit. Le Président Bazoum a-t-il grand-chose à dire au regard de tout ce qu’il envisageait de réaliser à la tête de l’État. Il est bien vrai qu’il lui reste encore quatre autres années. Cependant, les débuts renseignent beaucoup sur la fin. Aucun jalon sérieux n’a été posé à propos du vaste chantier annoncé.
Sur l’école nigérienne
« Je considère le défi de l’éducation comme notre plus grand défi », à cause du faible taux de scolarité et du taux élevé des échecs scolaires qui ont pour effet de priver des contingents très nombreux d’enfants et de jeunes de réelle chance d’éducation, a déclaré le Président Bzoum. À ce jour, à l’exception d’u internat pour filles à Tahoua, il n’y a rien eu sur la question. Les classes paillottes sont légion, y compris dans les grands centres urbains, les conditions d’apprentissage n’ont connu aucune amélioration et pire, on n’a pas encore vu les moindres prémisses du grand projet de réforme que Bazoum Mohamed a promis en vue de remédier à la grave crise à laquelle le système éducatif nigérien est confronté. « Pour mettre fin à cette situation, je ferai de l’éducation un domaine dont je m’occuperai personnellement autant que je m’occuperai de la sécurité ». Et Bazoum Mohamed d’énumérer les projets sectoriels de son grand projet : réactualisation de la carte scolaire, professionnalisation du corps enseignant, amélioration des résultats scolaires, scolarisation de la jeune fille, réforme curriculaire, mise sur pied d’une équipe d’architectes innovants pour la conception d’un modèle alternatif de construction des classes moins cher et plus adapté à notre environnement et ce en vue de mettre fin aux classes paillotes. Quand est-ce que le Président Bazoum va mettre la main à la pâte? Les chantiers sont aussi vastes que complexes et ce n’est pas en faisant et en renouvelant les promesses qu’ils connaîtront un début de conception, à plus forte raison d’exécution.
Sur la question de la gouvernance
« Ma conviction intime est que notre pays a devant lui un bel avenir, pourvu que nous soyons en mesure d’apporter les bonnes réponses à ses défis », a dit Bazoum Mohamed. Une vérité largement partagée par l’ensemble des Nigériens. Le tout nouveau président ne pouvait, donc, qu’être applaudi lorsqu’il précise : « je voudrais dire clairement ici que quiconque a une responsabilité dans l’administration publique répondra désormais tout seul et entièrement de ses actes. Son parti politique, sa «base», sa famille, sa communauté ne lui seront d’aucun secours au cas où son comportement devrait commander une mesure coercitive à son encontre ». Il y a une raison en cela. Pendant 10 ans, son prédécesseur, Issoufou Mahamadou, a fait la part belle à la corruption et aux détournements des deniers publics. En écoutant Bazoum Mohamed prendre l’engagement de ne pas tolérer ces pratiques, les Nigériens avaient rêvé d’une gouvernance éthique qui débarrasserait de l’État tous ces ripoux que l’ancien président a pris sous son aisselle et qu’il a protégés jusqu’au bout. Il fallait y croire, les proches collaborateurs de Bazoum Mohamed défiant quiconque de révéler un seul dossier de concussion dans lequel il serait impliqué.
Sur la lutte contre la corruption
Bazoum Mohamed a-t-il trompé les Nigériens. Rien n’est moins sûr. À ce jour, son combat contre la corruption, annoncé pompeusement et réitéré à maintes reprises, n’a presque jamais commencé. L’affaire Ibou Karadjé par laquelle il a voulu mystifier a été un fiasco pour lui. Il a dû abandonner le dossier « en plein vol », comme dirait le Premier ministre malien, Choguel Kokaïla Maïga. C’est son Premier ministre, pourtant cité dans l’affaire, qui a solennellement déclaré que le dossier est clos puisque le principal artisan est écroué et que tous ses complices sont identifiés. Pourtant, le 2 avril 2021, Bazoum Mohamed a déclaré ceci : « Mon credo sera de miser principalement sur la pédagogie de l’exemple en ne tolérant d’aucune façon le principe de l’impunité. Ainsi, Je serai implacable contre les délinquants parce que j’ai conscience du tort que porte la corruption au développement du pays ». C’est dire que le tout nouveau président est conscient de l’enjeu que représente la lutte contre la corruption. Un enjeu pour lui, d’abord et pour le régie qu’il incarne. « Elle constitue par ailleurs une grave source de discrédit pour un régime et comme telle, elle est un grand facteur d’insécurité ». Visiblement, les faucons du régime, trempés dans d’innombrables dossiers de malversations financières portant sur des centaines de milliards de francs CFA, ont été les plus forts. Ils lui ont imposé le respect de la doctrine du régime et Bazoum Mohamed est tranquillement rentré dans les rangs.
À propos des libertés et de la justice
Sur le plan des libertés et de la justice, le Président Bazoum a de quoi se reprocher. Outre qu’il n’a pu tenir les engagements qu’il a pris lors de son discours d’investiture et qu’il a renouvelés aux acteurs de la société civile qu’il a rencontrés à sa demande, le Président Bazoum n’a pas également pu donner à la justice sa liberté de juger. Récemment, dans le cadre d’une conférence des cadres qu’il a animée, le chef de l’État nigérien a déclaré, à la surprise générale, avoir libéré et/ ou fait libérer des terroristes qu’il a d’ailleurs immédiatement reçus au palais de la présidence. Au nom de la paix qu’il veut pour son pays, dit-il. Personne n’a jamais su pour quelles motivations et sous quelles conditions Bazoum Mohamed a posé un tel acte. Libérer ou faire libérer des terroristes et les recevoir au palais est un acte porteur de graves interrogations. Le ministre porte parole du gouvernement, qui a essayé de dédouaner le chef de l’État s’est, lui aussi, emmêlé les pinceaux en parlant de liberté provisoire accordée à ces terroristes dans le cadre d’une ordonnance judiciaire. Or, la liberté provisoire est solidement encadrée par la loi, notamment par une garantie de représentation. « Le terrorisme est un vrai malheur pour notre pays. Cela d’autant plus que ses bases sont hors de notre territoire et ceux qui en sont les chefs relèvent d’autres pays », a déclaré Bazoum Mohamed.
Pour la question des libertés publiques, le Président Bazoum, par deux fois, a rencontré les acteurs de la société civile pour leur donner une suite de l’engagement solennel qu’»il a pris le 2 avril 2021. « S’agissant de la liberté, je n’ai pas l’impression d’être particulièrement audacieux si je disais que je veillerai à ce qu’elle prévale pleinement, dans la limite des contraintes légales prévues à cet effet. En tout cas je m’engage résolument à mettre fin à certains malentendus qui ont pu avoir cours entre nous et certains acteurs de la société civile ces dernières années », a dit Bazoum Mohamed. Mais le Niger reste toujours sous le joug de l’interdiction des manifestations publiques et des répressions policières systématiques en cas de refus d’obtempérer. Les acteurs de la société civile qui l’ont cru au départ, sont sortis de la seconde rencontre, complètement déçus. C’est quelqu’un, a confié un d’entre eux, qui ne dispose pas des pleins pouvoirs, c’est nettement visible.
Et demain…?
Après un an à la tête de l’État, Bazoum Mohamed, on le constate, tarde à trouver ses marques. Ayant essayé et échoué sur la question de la lutte contre la corruption, notamment, il a manifestement signé forfait sur les grands enjeux qu’il a lui-même déclinés et décidé d’opter pour le plus facile. Le plus facile pour lui? C’est de laisser libre cours à la corruption et aux détournements des deniers publics tout en s’investissant dans un pilotage à vue. Le retour à la case départ? Peut-être oui et ce ne serait nullement contraire à la vision du président actuel. Alors qua la majorité écrasante des Nigériens ne veulent pas sentir Issoufou Mahamadou pour sa gouvernance scabreuse, Bazoum lui trouve toutes les qualités d’un bon leader : droiture, loyauté, générosité, rigueur et patriotisme. De quoi ramollir la foi de ses compatriotes quant à sa capacité à faire mieux que son prédécesseur. « Peut-être en pire », note un observateur. Comme quoi les Nigériens attendront longtemps avant de voir la fin de l’empire de la corruption et de l’impunité pour ses auteurs.
Doudou Amadou