Après l’enseignant de Baban Katami qui a été poignardé par son élève, c’est le tour de la directrice de l’école Zaria 1 de Maradi (Et de son personnel ?) qui aurait été tabassée par des parents d’élèves. A Tahoua à l’école BOA, un voyou s’est introduit dans la cour de l’école, menaçant de poignarder une enseignante. Il aurait poignardé un élève dans sa tentative de fuite. A Niamey, dans une école dont nous tairons le nom, une enseignante a demandé à un élève de sortir de la classe. Le garnement lui a répondu en ces termes : «Est-ce que c’est la classe de ton père ?».
Cette vague de violence qui s’abat sur le monde enseignant est en train de semer la panique et de vives réactions de colère chez les acteurs de ce secteur à tous les niveaux. Une question reste suspendue sur toutes les lèvres, surtout chez ceux qui ont connu une école calme et rangée où la discipline prévalait en toutes circonstances : pourquoi cette violence sur les enseignants ? Question qui vaut son peson d’or car, il y a un temps, le maître d’école était considéré comme un surhomme, surtout en milieu rural où on le consultait pour toute affaire. Il lisait et écrivait les correspondances des villageois, ce qui lui conférait un statut au-dessus de toute la population, même les autorités coutumières qui le consultaient pour la gestion des affaires courantes comme le règlement des conflits champêtres et même des divorces. On lui donnait gratuitement un champ, on l’ensemençait, on le labourait et on lui ramenait la récolte chez lui. A l’occasion des fêtes, il recevait volailles, graisse et beurre d’animaux, lait et bien d’autres cadeaux. Ainsi, à la taille des services rendus, l’enseignant était entièrement pris en charge par la communauté au sein de laquelle il sert. L’enseignant était vraiment le chouchou de la société. Et aujourd’hui, avec un tel statut, personne ne peut comprendre qu’une telle personne puisse faire l’objet d’une quelconque menace, de surcroît une atteinte à son intégrité physique. Ce qui est d’autant plus incompréhensible est que cette menace n’émane de personne d’autre que les tous premiers bénéficiaires de ses services : les élèves et leurs parents. Ce phénomène, certes nouveau, vient augmenter aux autres problèmes structuraux qui minent le système éducatif nigérien. Pour le jeune criminel de Baban Katami, la cause était franchement banale : un simple rappel à l’ordre de cet élève pour son habillement extravagant. Car, il est bien clair et précis dans le règlement intérieur scolaire, il est exigé des élèves et même des enseignants «une tenue décente à l’école». De plus en tant qu’éducateur responsable, l’enseignant s’est senti le devoir de ramener son élève à la raison afin de lui faire apprendre les bonnes manières. Il a alors carrément renvoyé l’élève chez lui en lui demandant de se débarrasser des chaînettes qu’il a accrochées à son cou et à ses poignets. Rentré en pleurant chez lui, l’élève s’est plaint auprès de son père. Ce dernier, président du COGES et surtout en parent responsable, a arraché les artifices, les a mis en morceau avant de renvoyer l’enfant à l’école. L’enfant est donc retourné à l’école, non pas étudier mais pour poignarder à mort son enseignant. A ce niveau, quelle que soit l’issue de l’enquête, on ne peut que condamner cet enfant qui a mis fin à la vie de son maître d’école.
A Maradi à l’école Zaria, une jeune fille est entrée en intruse dans cet établissement. Le premier responsable, la Directrice, s’est donc senti en devoir de rappeler cette fille à l’ordre. Elle s’est adressée à la fille en ces termes : «ké yarouban watché» ; littéralement tu es la fille de qui ? En Haoussa une telle approche est considérée le plus souvent comme un affront, à la limite une insulte, malgré le contexte de Maradi qui reste une région où prévaut ce genre d’expressions. La fille s’est alors sentie offensée et elle a répondu : «Je suis la fille de ton père» ; ce qui représente une autre grossièreté, peutêtre même plus poignante que la première. La directrice s’est alors acharnée sur la jeune fille et lui a infligée une correction en terme de bastonnade. La fille est rentrée chez elle et, quelques minutes après, une vague irritée composée de parents d’élèves du quartier a fait irruption dans l’école. Le personnel enseignant, y compris la directrice a été copieusement tabassé par les parents d’élèves. Voilà les faits.
Occultons pour ce cas toutes les poursuites engagées par les syndicats du secteur éducatif de Maradi ou même au niveau national. Disons juste que les cas d’agression des enseignants deviennent de plus en plus fréquents et il urge de trouver des issues heureuses pour les protéger dans l’exercice de leur fonction. D’ores et déjà, il y a lieu de décider et d’adopter immédiatement une indemnité de risques pour ce personnel.Si l’enseignant peut-être agressé jusqu’à perdre sa vie dans l’exercice de sa fonction, nous ne trouvons rien de plus légitime que de lui octroyer une indemnité de risque. Au même titre que dans les zones sous état d’urgence où la vie des agents de sécurité est mise en danger, celle des enseignants aussi ne tient désormais qu’à un bout de fil. Toutes les situations précitées pourraient très bien conduire au désastre qui a eu lieu à Baban Katami. Soit. Comme on le voit, ce phénomène d’agression des enseignants a plusieurs ramifications qui sont presque toutes d’ordres structurels. Et, ce serait une gageure que de vouloir traiter objectivement de cette question dans ce papier. Néanmoins, nous nous pencherons sur un aspect qui nous paraît essentiel et sur lequel les gens se dérobent. Il s’agit principalement de la responsabilité des enseignants dans la survenance de ce genre de situations de violences à l’école. On dit chez nous que : «Quand on suit les traces du voleur, il faut aussi suivre celles du suiveur du voleur». A plusieurs niveaux et dans beaucoup de situations, les enseignants sont responsables de certaines situations malheureuses. Pour le cas de la Directrice de l’école Zaria 1, reconnaissons qu’elle a été imprudente de proférer en premier une insulte à la jeune fille. Elle connait bien son milieu et elle sait que ce genre de garnements sont prolixes en insultes. Si vous voulez faire l’expérience, provoquez une dispute entre vous et une petite vendeuse de cola à l’Auto gare de Maradi ; vous en sortirez dépouillé de toutes vos valeurs. De plus, nous connaissons bien ceux que nous désignons par «les enfants d’aujourd’hui» ; ils n’ont même pas de respect à leurs parents à plus forte raison un autre. Encore, nous connaissons bien les parents d’aujourd’hui qui, minés par plusieurs soucis, n’arrivent pas à transmettre de vraies valeurs éducatives à leurs enfants ; ils restent cependant réfractaires à tout rappel à l’ordre adressé à leurs enfants par une autre personne ; au contraire de ce qui se passait avant où même loin de ses parents, l’enfant est contrôlé et corrigé par son environnement immédiat ou lointain. Ceci dit, la Directrice a prêté le flanc en lançant cette insulte. En principe, l’enseignant a plusieurs ressources pédagogiques et morales pour prendre en charge ce genre de situation. Le seul hic à ce niveau est à se demander est-ce que nos enseignants de l’époque ont suffisamment de formation pour répondre à de telles situations ? Certainement non, car beaucoup sont recrutés sur le tas par l’intermédiaire de la contractualisation. Plus de 90% de nos enseignants atterrissent sur le tas sans avoir subi aucun encadrement pédagogique. De plus, ces enseignants sont tellement versés dans la gestion du quotidien qu’ils ne pensent même à des activités de renforcement de leurs capacités. Ils se trouvent beaucoup plus d’intérêt à pratiquer des cours de maison pour joindre les deux bouts. Ceci fait qu’un grand nombre reste dans le tâtonnement pédagogique avec un enseignement au rabais. Ils restent à l’affût, hésitant et craignant une question ou une observation impertinente d’une élève caïd et cultivé. Ils sont constamment sous tension et à la moindre incartade d’un enfant, ils réagissent violemment tant physiquement que verbalement. Dans un tel contexte, convenez avec moi que le châtiment corporel serait une aubaine et une voie par laquelle l’enseignant se défoulerait sans retenue sur l’enfant. Bon vent les dégâts. Cet excès de violence que manifestent les enseignants sur les élèves est source de plusieurs dérèglements. En effet, violence et frustrations ne peuvent que produire des conséquences désastreuses. L’actualité internationale reste suspendue à ce drame aux Etats-Unis où un enfant à provoquer la mort de dix-neuf (19) personnes dont sa grand-mère. Motif ; il a été frustré pour avoir été nargué par son entourage sur son état de bégaiement.
Pour finir, l’appel à lancer s’adresse à tous les acteurs du monde scolaire. En effet notre système éducatif est en crise sur pratiquement toutes ses composantes. Pour les enseignants, ils doivent cerner et corriger toutes les situations et les comportements susceptibles de leur attirer la foudre des élèves et de leurs parents. N’oublions pas aussi la pression de l’encadrement pédagogique avec des conseillers et des inspecteurs zélés qui n’ont pas encore compris que leur rôle est celui de collaborer efficacement avec les enseignants pour les aider à peaufiner leurs pratiques pédagogiques. Certains restent toujours à la période néocoloniale où les encadreurs usaient de tyrannie sur les enseignants. Tous les partenaires de l’Ecole, l’Etat en premier, doivent comprendre que l’enseignant ne saurait réussir son travail s’il est sous une quelconque pression. Que Dieu fasse en sorte que chacun remplisse ses prérogatives de façon efficace pour que nos enseignants puissent exercer convenablement leur métier sans crainte aucune.
Amadou Madougou