Dr Elisabeth Sherif

« Les élections de tous les risques » ! C’est ainsi que beaucoup d’observateurs de la scène politique nigérienne, qualifient les élections de 2020-2021. D’autres diront, sans risques de se tromper, que ce sont des élections plutôt singulières. Chaque élection est, bien entendu, singulière. Mais ces élections organisées à la fin des deux mandats du Président Issoufou Mahamadou, présentent des particularités notoires sur toutes les étapes du processus, qu’il importe de souligner.
En effet, les élections 2020-2021 battent le record de la plus longue et profonde tension pré-électorale enregistrée dans le pays. Ce dernier traversant une saisissante interruption d’un dialogue politique serein depuis, précisément, 2013. Une situation, qui n’a pas été favorable à l’adoption des règles électorales consensuelles.
Et pour la première fois, dans l’histoire du processus électoral nigérien post-conférence national, les élections sont organisées, sous la base d’un code électoral qui n’a pas fait l’objet d’unanimité et avec des instances d’organisation et de validation des scrutins largement contestées par une partie non négligeable de la classe politique. Ce qui justifierait la crainte partagée par une partie des observateurs du jeu politique nigérien et de l’opinion publique, quant aux probabilités non négligeables d’une escalade de la tension, en cas de contentieux électoral.
Et c’est aussi pour la première fois que le chef de file de l’opposition n’a pas pu participer à la course présidentielle. Ennuis judiciaires pour certains. Disqualification stratégique du candidat gênant pour d’autres. Un fait, qui n’est tout de même pas indissociable du nombre record de candidatures enregistrées.
En effet, il y avait eu au total 8 candidats à la présidentielle de 1993, 5 en 1996, 7 en 1999, 6 en 2004, 10 en 2011, 15 en 2016 et…30 en 2020. Une bonne partie de ces candidatures, ont d’une certaine manière été encouragées, en partie pour galvauder la dimension inclusive de l’élection présidentielle. L’enjeu étant de combler et masquer le vide qu’occasionnerait l’absence du candidat de la 2ème force politique de la compétition. L’exploration des résultats du premier tour dans les 266 communes du pays, permet de constater que seulement quelques-uns de ces candidats inconnus du grand public, ont réussi à être sur le podium dans un nombre très limité de communes.
D’autre part, les élections de 2020-2021 comportent une dimension inédite, du point de vue technique également, avec l’introduction du vote biométrique, qui a nécessité une opération d’enrôlement des électeurs, dans les 8 régions du pays. Et l’établissement de ces nouvelles listes électorales, expliquerait en partie la hausse du taux de participation observé. L’hypertrophie liée à l’insuffisante réactualisation des listes électorales, faisant partie des causes majeures de l’abstention, qui représente une des principales caractéristiques du processus électoral nigérien.
En effet, le taux de participation de 69,68% enregistré lors de ce premier tour, tranche avec les taux observés lors des premiers tours antérieurs, aussi bien pour les 33% de 1993, 44% de 1999, 48% de 2004 et 52% de 2011, qui ont été presque unanimement acceptés par la classe politique, que pour les 66,04% de 1996 et les 62,82% de 2016, qui ont fait l’objet de significatives contestations. Cependant, l’examen des résultats dans les 266 communes, révèle une remarquable disparité du taux de participation entre les communes dans lesquelles le PNDS est arrivé en tête et celles qui ont été remportées par le RDR.
On peut à cet égard constater que les communes ayant eu des taux participation situés entre 70 et 99,99 % représentent près de 66% du nombre total des communes dans lesquelles le PNDS est arrivé en tête, alors qu’elles ne représentent que 32% du nombre des communes remportées par le RDR. D’où l’hypothèse de la dimension, pour le moins, troublante, des résultats observés dans les communes où le candidat du PNDS était arrivé en tête, qui a déjà été avancée par certains observateurs de la scène politique.
En dehors de la dimension singulière du taux de participation, le premier tour de 2020 présente aussi une autre particularité liée aux résultats et leur probable impact sur l’issue finale de la compétition. Celui-ci ayant consacré, à en croire les résultats officiellement publiés, la désuétude du schema 2 - 1 qui caractérisait le jeu électoral nigérien depuis 1999, dans toutes les élections dont les résultats n’ont pas fait l’objet de contestations.
Dans la configuration du schéma 2-1, l’issue finale se jouait entre les trois partis politiques qui se sont imposés au premier tour, avec le parti arrivé en 3ème position jouant le rôle du faiseur du roi. Conformément à ce schéma, le parti CDS-Rahama, à l’époque dirigé par l’ancien Président de la 3ème République et actuel candidat de l’alternance, avait été la force d’appoint du MNSD-Nassara, tout au long de la 5ème République. Et le parti MODEN-FA détermina l’issue de la compétition de 2011 en faveur du PNDS.
Visiblement, avec ses 39,30%, le parti au pouvoir semble devoir compter sur l’appui non seulement du 3ème parti, mais aussi du parti arrivé en 4ème position, pour s’imposer au second tour. Aussi, d’un point de vue strictement arithmétique et au regard de la tradition du respect des consignes de votes globalement observée jusque-là, le soutien déclaré du MNSD et du MPR, avec leurs scores respectifs de 8,95% et 7,07%, donne au candidat de la continuité une confortable avance sur son challenger.
Mais le report de voix sera-t-il aussi significatif que lors des élections antérieures ? Autrement dit, le candidat de la continuité, pourra t-il entrer en possession d’une partie substantielle des voix exprimées en faveur de ses alliés au 1er tour ? La question se pose, non seulement parce que cette élection cumule des faits inédits, mais aussi et surtout à cause de quelques éléments qu’il importe de souligner.
Tout d’abord, derrière ce pourcentage de 16,02 % que représentent les principaux alliés de la continuité, se trouvent aussi des électeurs qui ont publiquement exprimé leurs désaccords sur le ralliement de leurs leaders au candidat de la continuité. Un ralliement qualifié d’incohérent pour les modérés, d’égoïste et cupide pour les radicaux, au regard de toutes les critiques formulées, et démarches effectuées, par ces alliés contre le bilan du parti au pouvoir et son candidat.
Bien entendu, ce n’est pas la première fois que l’on assiste à des revirements spectaculaires entre les deux tours d’une élection présidentielle au Niger. Mais contrairement à ce qui a été observé en 2004 et 2011, les décisions des instances dirigeantes sont publiquement désavouées. Et la défiance n’a jamais été aussi médiatisée, ni atteint un niveau aussi palpable. Un état de fait qui n’est pas, par ailleurs étranger à la manière dont la question de l’éligibilité du candidat du pouvoir en place avait été gérée et tranchée par les autorités compétentes en la matière.
Il importe surtout de constater que ces contestations sont portées par des jeunes, qui constituent une frange importante du corps électoral, et qui ont par conséquent la capacité numérique et mobilisatrice, à même de déjouer les pronostics exclusivement fondés sur les chiffres du 1er tour.
D’autre part, la dimension surréaliste des résultats du 1er tour dans certaines communes du pays, soulignée par des observateurs de la scène politique, n’est pas complètement absurde. Les partisans de l’alternance ont, à cet égard, la possibilité de faire bouger considérablement les lignes établies par les différents scores du 1er tour, à travers la mise en place d’un dispositif efficace de suivi des opérations électorales sur toute l’étendue du territoire.
On dénombre par exemple près de 79 communes où le PNDS est arrivé en tête et qui ont des taux de participation se situant dans les 70%, 27 communes avec des taux se trouvant entre 80-89% et 10 communes dont les électeurs auraient participé à hauteur de plus 90 %, et jusqu’à 99,99, dans le cas de Tamaya.
Le contrôle des opérations de vote dans ces communes et dans toutes les autres communes du pays d’ailleurs, ne doit pas être délaissé aux partis politiques seulement et à la CENI. C’est une œuvre qui doit être unanimement perçue comme un devoir collectif, dont l’accomplissement permettrait de garantir la légitimité des résultats et de maximiser les conditions permettant de préserver la paix dans ce pays.
Aussi, tous les citoyens épris de paix et soucieux du développement économique du pays, ont encore quelques jours, pour redoubler d’efforts en vue d’écarter tous les risques d’irrégularité du scrutin, de violence, mais aussi de recentrer les débats sur les questions de fond, portant sur les préoccupations existentielles des populations. Et ceci dans le but de faire de cette élection présidentielle, une élection véritablement inédite, du point de vue de la qualité et de la légitimité du personnel politique qui en sera issu, ainsi que sa capacité à changer les conditions de vie des populations durablement éprouvées ces dernières années.
Vivement...

Par Dr Elisabeth Sherif

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