Monsieur le Président,
Où sont-ils ces drones que l’on dit avoir été réceptionnés récemment ? J’espère qu’ils n’ont pas été simplement parqués quelque part, tels des ornements qui doivent servir au décor et non aux forces armées nigériennes.
Je me demande parfois si vous avez la moindre idée de l’état du pays à la tête duquel vous êtes depuis bientôt 15 mois. Quoi que conseiller informel, je me sens en devoir, comme vous avez pu le constater, de m’offrir des libertés, voire des permissions, pour vous rapporter les choses telles qu’elles sont, telles se présentent, sans fioritures. Mon pays, je dirais d’emblée, souffre de l’amnésie de ses dirigeants ou du refus de s’attaquer aux véritables défis de l’heure. Ces défis, vous les connaissez mieux que moi, étant du système qui, en une décennie, a agenouillé le Niger au profit d’une clientèle politique, devenue riche et orgueilleuse grâce à des pratiques qui ont valu à notre peuple misères, tragédies et morts en cascades. Ces défis, vous les connaissez mieux que moi puisque le 2 avril 2021, ils ont constitué l’essentiel de votre discours d’investiture, un engagement solennel, malheureusement, vous n’avez pas pu encore tenir et que vous ne tiendrez sans doute jamais. Le noeud gordien des problèmes auxquels notre pays est confronté est que vous avez sous-traité la sécurité du Niger avec des pays étrangers, particulièrement la France alors que, et vous le savez de toute évidence, les deux pays ont souvent des intérêts divergents, pour ne pas dire carrément opposés. La sécurité de notre peuple, hypothéquée depuis quelque temps, est un domaine déterminant dans lequel il y a tant à vous reprocher. Lorsque vous prenez la défense de la France en vous opposant de façon si outrancière à la position dominante du peuple nigérien, vous donnez l’impression d’être, hélas, ceux qui tirent les dividendes de ce partenariat dont le Niger n’enregistre que morts et désolations.
Monsieur le “Président”
Avez-vous connaissance du nombre de Nigériens de la région de Tillabéry qui ont, à la suite de ceux de Diffa, quitté leurs villages sous les exactions et les tueries des ennemis du Niger ? Ce sont, selon OCHA, 16 193 personnes, soit 2 602 ménages, qui ont été forcées de quitter leurs villages, rien qu’à Torodi et Makolondi et 672 écoles fermées à ce jour pour 62 610 élèves qui ont arrêté d’aller à l’école. Le jeudi 9 juin 2022, vous avez, à nouveau, fait à ces populations des promesses mirobolantes de retour dans leurs villages. À ce jour, rien n’a été entrepris de sérieux qui puisse les rassurer de s’y aventurer. Vous donnez ainsi raison à ceux qui ont immédiatement rétorqué que vous êtes en train de les conduire à l’abattoir. Moi, je constate simplement que, par-delà l’absence d’une suite attendue à votre déclaration, que les armes que vous avez déclaré avoir commandées tardent à venir, comme s’il n’y a aucune urgence à le faire. Il y a quelques semaines, j’ai appris, à partir des réseaux sociaux, que six des drones que vous avez commandés sont arrivés à Niamey, réceptionnés en bonne et due forme. Où sont-ils ces drones que l’on dit avoir été réceptionnés récemment ? Où sont-ils, ces avions et ces engins blindés, ces équipements militaires que vous avez tant vantés en vous affichant dans toutes les maisons de fabrication turques ? J’espère qu’ils n’ont pas été simplement parqués quelque part, tels des ornements qui doivent servir au décor et non aux forces armées nigériennes.
J’espère qu’il ne s’agit pas, comme le soutiennent certaines voix, d’une filouterie politique visant de simples effets d’éclat. J’espère surtout que, comme dans la lutte contre la corruption, vous n’avez pas été confronté à des obstacles de la même nature que ceux que vous avez évoqués avec les leaders des organisations de la société civile lors de votre seconde rencontre. Si d’aventure, on vous a convaincu ou contraint d’abandonner ce projet et que vous y avez accédé, je préfère ne pas dire ce que je pense. C’est si grave et vous imaginez ce que je peux ressentir, moi, un Nigérien jaloux de la souveraineté de son pays, de la sécurité et de la liberté de son peuple. Aucun sacrifice n’est de trop pour mettre ce peuple à l’abri de ce qu’il subit actuellement.
Monsieur le “Président”
Vous savez, la corruption et les détournements des deniers publics, je le pense, s’expliquent en grande partie par les rapports confus que vous entretenez avec la France. Partout, en Afrique, les dirigeants nigériens sont doigtés comme étant des hommes serviles qui ne tiennent même plus compte des intérêts de leur pays, se rangeant systématiquement derrière la France et sa politique indéfendable dans notre pays. Tous les témoignages des populations concordent à dire que l’armée française ne joue pas franc jeu avec nous. Vous le savez autant que moi, pour vos compatriotes, c’est la France qui se trouve derrière ce qui se passe, aussi bien dans notre pays qu’au Mali et dans tout le Sahel. C’est une conviction que vous ne pouvez leur enlever que le jour où ce pays se décidera à changer de paradigmes et à démontrer, par des preuves tangibles incontestables, que son armée sert à la préservation de la sécurité des Nigériens et non à la dégradation de celle-ci.
La France, vous l’avez-vous même laissé entendre, est loin d’avoir convaincu qu’elle n’a rien à voir avec ces terroristes qui sont financés, armés et probablement encadrés et renseignés par des forces militaires obscures et ennemies au Niger. Vous devez travailler à amener la France à revoir sa copie et à cesser de faire croire que c’est la Russie qui mène et commandite une campagne de dénigrement contre elle au Sahel. C’est déjà une insulte à notre intelligence en entretenant le fait que nous sommes incapables de comprendre les choses par nous-mêmes et que, si nous réagissons ainsi vis à vi de la France, c’est forcément parce qu’il y a une main étrangère derrière.
Monsieur le “Président”
Ce sont ces rapports tronqués entre la France et notre pays qui ont corrompu la gouvernance, aussi bien sur le plan politique qu’en matière de gestion financière. Tous les travers, c’est mon avis personnel, que l’on a connus dans ce pays depuis 11 ans trouvent leur source dans ces rapports plus que biscornus. Vous rendrez grandement service au Niger en ouvrant les yeux à vos partenaires français. Le Niger ne trouve pas son compte dans cette coopération et c’est tout à fait justifié que les populations nigériennes parlent de forces d’occupation.
Vous avez le devoir de parler à coeur ouvert avec le Président français, Emmanuel Macron, qui doit venir en septembre prochain au Niger. Vous devez porter la voix de votre peuple. Nous avons enregistré trop de morts et sommes en train de perdre le contrôle de pans entiers du territoire national. Quand est-ce que vous jugerez impératif de mettre la France au pied du mur ? Le sentiment antifrançais dont parlent les autorités françaises n’est pas né au hasard ; encore moins par des manipulations d’un autre pays qui lui serait hostile. Il est la résultante de la politique française, antinomique des intérêts de notre pays. Il est la résultante du refus obstiné de la France de se remettre en cause, en s’accrochant à des accords néocolonialistes qui spolient notre pays depuis des décennies. La France a tort, mais la France joue à la politique de l’autruche en refusant de relever la tête et de regarder, froidement, la réalité.
Mallami Boucar